À la fin de la Révolution Culturelle, un jeune homme de la ville est envoyé à la campagne pour réaliser son tour de travail agricole. Arrivé dans la région montagneuse isolée du Yunnan, à sa surprise, on lui demande de devenir instituteur, alors même qu'il lui manque les qualifications nécessaires. Il décide alors de ne pas suivre le programme des livres Mao, qu'il juge peu intéressant car il comprend des exercices tels que recopier les caractères du dictionnaire1. Il choisit donc d'apprendre à ses élèves à penser par eux-mêmes le monde qui les entoure. Cependant, l'autorité a vent de ses pratiques enseignantes non conformes et le réprimande sévèrement.
Le Roi des enfants vient conclure une trilogie initiée avec les deux premiers films (Terre jaune (1984) et La Grande Parade (1986)) de Chen Kaige dans leur mélange d’intimisme autobiographique et de questionnement sur la Révolution culturelle. Il s’agit d’une adaptation de la nouvelle éponyme de Ah Cheng publiée en 1984. Cette nouvelle conclut également pour l’écrivain une trilogie littéraire (deux autres nouvelles précèdent, Le roi des échecs et Le roi des arbres) où il s’interrogeait sur la place de la culture, et par extension le libre-arbitre, après l’uniformisme réclamé par la Révolution Culturelle. Le récit à une résonnance biographique à la fois pour l’écrivain et Chen Kaige puisque tout deux vécurent l’expérience du héros de l’histoire étant assigné durant la Révolution Culturelle à être enseignant dans la même région rurale du Yunnan. La nouvelle comme le film sont donc des témoignages à la fois d’un vécu mais aussi d’un certain recul, une dimension critique de différents éléments de cette expérience commune.
Nous suivons Lao Gan (Yuan Xie), jeune homme d’une relative instruction qui est démobilisé de son travail agricole pour aller enseigner dans la région isolée du Yunnan. Il comprend assez vite les raisons de ce choix malgré sa totale inexpérience de l’enseignement. En effet, sa seule tâche est de faire apprendre par cœur les directives du livre de Mao, ce à quoi se plient avec complaisance les autres enseignants satisfaits de leur position. Interpellé par Wang Fu (Xuewen Yang), un de ses élèves avide de savoir, Lao Gan après s’être plié à la règle va alors emprunter sa propre voie et ainsi se rapprocher de sa classe. Le discours stéréotypé va laisser place à un apprentissage tenant compte des lacunes de des élèves en leur faisant souligner les termes qu’ils ne comprennent pas dans le livre de Mao. Puis Lao Gan va progressivement, par des exercices simples, leur laisser exprimer leur individualité. L’idée est de dégager non pas une rivalité, mais une émulation dans la classe. Leur demandant d’écrire un texte narrant le trajet de chez eux à l’école, Lao Gan vante autant la concision de l’un que la richesse de détail d’un autre pour décrire son expérience, à sa manière. Il se place à leur échelle et se considère tout autant en apprentissage dans cet art de la transmission du savoir qu’eux dans la capacité à l’assimiler.Les scènes de classe dans leur découpage témoignent initialement du schisme entre l’enseignant et les élève, les plans sur la silhouette isolée de Lao Gan trouvant une réponse dans un contrechamp en plan d’ensemble sur la classe qui forme une unité uniforme. La rébellion initiale de Wang Fu est d’ailleurs uniquement sonore, sans révéler le visage du garçon dans l’ensemble homogène de la classe. Ce n’est que lorsque Lao Gan changera sa méthode que les contrechamps isolant chaque élève interviendront de façon plus marquée. De même le rituel de faire lever ou s’asseoir les élèves s’inscrit d’abord dans une notion classique d’autorité sur le collectif. Par la suite Lao Gan ne fera lever un élève que quand il voudra s’adresser spécifiquement à lui, qu’il le traitera et s’attendra à ce qu’il parle en tant qu’individu propre et non plus maillon anonyme d’un ensemble. C’est limpide et captivant, d’autant que Yuan Xie est parfait en enseignant modeste, gauche et rieur face aux vrais élèves d’une école du Yunnan où fut tourné le film – accentuant le côté retour aux sources pour Chen Kaige. Chen Kaige travaille cette idée d’individu et de collectif en harmonie par un travail sur le paysage, offrant des panorama magnifiques des monts brumeux et verdoyant du Yunnan. Les cours de Lao Gan se prolongent à l’extérieur en recherchant une forme de communion avec la nature, là aussi traduit formellement par des plans larges où l’on distingue simplement les silhouettes de Lao Gan et sa classe tandis que le dialogue exprime leurs interrogations plus intimes. La distance et la proximité, le groupe et l’être indépendant, tout cela s’exprime par la seule force de l’image avec brio. Tout en construisant de beaux personnages annexes (Lai Di (Caimei Zhang) amie de Lao Gan, fausse caution comique initiale et vraie aspirante à l’émancipation) Chen Kaige s’approprie plus spécifiquement le récit en creusant un sillon légèrement différent de la nouvelle de Ah Chen. La conclusion est la même avec l’autorité du Parti venant mettre un terme à la parenthèse enchantée du récit, mais la nouvelle restait malgré tout sur une note positive. Chen Kaige par la symbolique et les métaphores visuelles apporte une note plus pessimiste. Ayant vécu cette expérience rurale quelques années avant Ah Chen, Chen Kaige a pu constater (et d’autant plus en revenant sur les lieux pour le tournage du film) que son passage n’a entraîné aucune conséquence pour l’avenir de ses élèves et de la région dont l’austérité reste similaire (élément déjà présent dans la temporalité incertaine de Terre Jaune). La séquence finale qui suit le départ de Lao Gan nous montre ainsi une vue d’ensemble des forêts montagneuses du Yunnan embrasées par les flammes, allusion concrète à la déforestation industrielle de la région (constatée par Chen Kaige à son retour sur les lieux) et également métaphore de cette génération sacrifiée qui aura vécue un bref moment de libre-arbitre par la seule abnégation d’un enseignant volontariste.Sorti en bluray chinois doté de sous-titres anglais
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