Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 20 novembre 2012

Bon Voyage - Jean-Paul Rappeneau (2003)


En 1940, Frédéric Auger, jeune écrivain, reçoit un appel de la star du cinéma français Viviane Denvert, ancien amour, qui lui demande de venir chez elle immédiatement. Une fois sur place, il découvre un cadavre dont elle souhaite se débarrasser ! Encore amouraché, il accepte de s'en occuper, mais est arrêté et envoyé en prison. Quelques mois plus tard, alors que les Allemands s'approchent de Paris, la prison est évacuée et Frédéric Auger aidé par Raoul, s'échappe. Tentant de rejoindre Viviane Denvert à Bordeaux, Frédéric Auger retrouve Raoul et fait la connaissance de Camille qui avec le professeur Kopolski doit transporter le stock d'eau lourde français en Angleterre, de Bordeaux par bateau, pour le protéger des Allemands.


Bon Voyage est un des échecs commerciaux les plus injustes de ces dernières années pour ce qui est sans conteste le plus beau film français de la décennie 2000. Une suite de décisions malheureuses (une sortie trop précoce en avril après avoir renoncé à aller à Cannes malgré la critique dithyrambique où le casting prestigieux aurait attiré l’attention) et le contexte historique du film peu attrayant au premier abord causeront dont une carrière en salle mitigée pour ce qui était pourtant un classique moderne en puissance. Depuis, Rappeneau déjà peu prolifique (sept films à peine en 40 ans de carrière) n’a plus rien réalisé malgré l’amorce de plusieurs projet. Peut-être a-t-il aussi le sentiment d’avoir tout dit dans Bon Voyage, tant le film représente la quintessence de son art.

Bon Voyage conclut en quelque sorte pour le réalisateur une trilogie historique sur la France en crise démarrée avec La Vie de Château (1966) et poursuivie dans Les Mariés de l’An Deux (1971). Le premier se déroulait dans une France provinciale sous l’Occupation tandis que le second  reculait dans le temps pour nous plonger dans un pays dans le tumulte post révolutionnaire. Les deux films usaient de ce contexte pour alterner descriptions mordantes des écarts de ces périodes agitées et chassé-croisé amoureux trépidant avec les couples Philippe Noiret/Catherine Deneuve puis Jean-Paul Belmondo/Marlène Jobert.

Bon Voyage s’avère encore plus riche et bien plus personnel pour Rappeneau qui s’attaque à un cadre peu exploré par le cinéma français, celui de la confusion ayant eu court entre la défaite française de 40 et l’arrivée des allemands et donc les bouleversements ayant amenés à la capitulation et la collaboration avec l’ennemi. Pour Rappeneau né en 1932, ce moment est synonyme de souvenirs d’enfance mouvementé et il parviendra à nouveau à croiser point de vue acéré sur ce moment crucial avec une intrigue romanesque palpitante.

Plusieurs genres se bousculent au sein de Bon Voyage, Rappeneau n’ayant jamais approché plus près son modèle, le Lubitsch de To be or not to be. Romance, espionnage et politique se mêlent donc au gré des pérégrinations d’une dizaine de personnages. On trouve y trouve la star de cinéma Viviane Denvert (Isabelle Adjani) qui va peu avant la défaite mêler son amour d’enfance Frédéric (Grégori Derangère) à un meurtre qu’elle a commis, le faisant malgré elle emprisonner à sa place. La débâcle de 40 permettra à Frédéric de s’évader en compagnie du voyou Raoul (Yvan Attal) et à l’instar du gouvernement et de la bourgeoisie parisienne il se rendra à Bordeaux retrouver Viviane désormais protégée du ministre de l’intérieur Beaufort (Gérard Depardieu). Là sa route croise celle Camille (Virginie Ledoyen) agrégée tentant de faire fuir le pays par tous les moyens au professeur Kopolski qui doit protéger des allemands le secret de l’arme nucléaire représenté par l’eau lourde qu’il transporte.

Voilà une intrigue pleine comme un œuf que Rappeneau va mener avec son brio coutumier sur un script brillant écrit avec Patrick Modiano. L’arrière-plan de cette France plongée dans le chaos crée une urgence de tous les instants derrière les course poursuites se dévoilent quelques tableaux saisissants : le tumulte de la ville de Bordeaux plongée dans la crainte de l’invasion allemande et de la décision du gouvernement, ce même gouvernement usé, résigné entre politiciens opportunistes et ambitieux, par les indécis apeurés suivant aveuglément les consignes de capitulation. L’agitation de la bourgeoisie parisienne venue se réfugier en province mêlant patriote et futurs collaborateurs est brillamment croquées au détour de quelques situations et dialogues, la France populaire anxieuse et subissant déjà les privations aussi avec des visions saisissantes de rues bondées dans ce funeste juin 1940.

C’est bien les aventures de nos héros et la fougue que met Rappeneau  à les raconter qui évite au film de sombrer dans une tonalité funèbre de rigueur. Là aussi on retrouvera des figures bien connues. Isabelle Adjani en starlette égocentrique et manipulatrice offre une de ses plus épatantes prestations récentes. Tout en minauderies et de séduction calculée elle agace autant qu’elle émeut par cette valse entre sentiments sincères (les quelques moments d’abandon avec Frédéric où elle tombe le masque et redevient l’amoureuse d’antan son réellement touchants) et attrait pour le luxe ne perdant jamais de temps pour se trouver un nouveau riche et puissant protecteur. 

Elle incarne la facette typique de « l’emmerdeuse », type de personnage cher à Rappenau dont les écarts exaspèrent et séduisent le héros masculin (Catherine Deneuve dans La Vie de Château et Le Sauvage, Marlène Jobert dans Les Mariés de l’An Deux où « l’emmerdeur » paternel Yves Montand dans Tout feu tout flamme), le forçant à évoluer. Rappeneau change cependant la donne ici puisque l’emmerdeuse s’avère néfaste et le salut du héros ne repose plus dans le rapprochement avec elle mais par son abandon. 

A la place des gifles et des portes qui claquent habituelles,  on aura ainsi une romance tout en non-dit et en regard entre Grégori Derangère et Virginie Ledoyen. Derangère jeune premier tout en panache et en maladresse est épatant (et obtiendra le César du meilleur espoir) et Virginie Ledoyen cachant son émoi derrière ses lunettes et son franc-parler très attachante aussi. On saluera aussi Yvan Attal naturel et décontracté en voyou gouailleur.

Le rythme est mené tambour battant, les rebondissements s’enchaînent dans une intrigue d’espionnage rondement menée où Rappeneau multiplie les moments de suspense plein d’énergie : Frédéric reconnu et obligé de fuir en plein restaurant, l’affrontement avec des espions nazis au petit matin, une poursuite en voiture dans les rues de Bordeaux… Comme dans les deux précédents films de la trilogie, Rappeneau soigne son arrière-plan historique par sa maîtrise technique (cadrages millimétrés, montage virevoltant, effets spéciaux invisibles et reconstitution soignée) et sa vision ironique des bouleversements d’alors.

Cependant il n’oublie jamais qu’il n’est pas historien mais conteur et les enjeux reposeront toujours sur le parcours individuel de ses personnages. En devenant un héros de la résistance Philippe Noiret retrouvait l’amour et le respect de sa femme dans La Vie de Château, Belmondo ne traversait les soubresauts de la Révolution que pour mieux renouer avec Marlène Jobert dans Les Mariés de l'An Deux. Il en va de même ici où le réalisateur ne cède pas la facilité de conclure son film sur la Libération. La France est toujours occupée mais son couple s’est enfin avoué ses sentiments, la Grande Histoire elle, peut continuer…

Sorti en dvd chez ARP

9 commentaires:

  1. "Intrigue pleine comme un oeuf" : C'est bien le problème, toujours, avec Rappeneneau. Il confond qualité et quantité. Et là, c'est tellement bourratif qu'on dit "N'en jetez plus, siou plaît!". Ce scénario c'est l'overdose de la mécanique et du fourre-tout. Plus aucune place pour l'émotion.
    "Menée tambour battant" : ... et, du coup, tout ça sonne vraiment très creux.
    Je sais, je suis dure avec Rappeneau, mais y en a marre de cette surestimation du vide. L'échec de ce film n'est que justice.
    Reste Gregori Derangère. Excellent. Charmant, façon le James Stewart des années 46-48. A se demander dans quelle mesure ce film n'a pas bousillé sa carrière ! Lisa Fremont.

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  2. C'est sûr que c'est sans doute là son scénario le plus chargé mais c'est ambitieux et vraiment bien construit dans les va et vient entre les genre, le ton léger et l'atmosphère de défaite. C'est un peu typique de son style surtout dans cette veine romanesque historique, les intrigues modernes étant un peu plus épurée comme "Le Sauvage".

    Toutes les directions sont également prenantes donc tant qu'il ne s'y perd pas (et nous avec) ce trop plein ne me gêne pas du tout au contraire (et puis il y a au moins autant de directions dans le modèle avoué de Rappeneau ici, To be or not to be).

    Par contre d'accord pour Grégori Derangère qui aurait sans doute eu une autre carrière si le film avait marché malgré son César. Mais bon il est encore jeune et peut faire de grandes choses !

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  3. Ses intrigues modernes, "plus épurées" selon vous (moi je dis "vides et creuses), placent plutôt leur trop-plein dans la surenchère de cris, de coups de gueule surjoués, d'agitation plaquée. La coupe est pleine avec "Tout feu tout flamme" qui est proprement insupportable. Tout cela sonne le faux, l'imposture, le clinquant.
    N'est pas Lubitsch qui veut.
    D'autant que le vieil Ernst lui-même, ne réussit qu'inégalement, dans "To be", la perfection de ce grand écart, (le plus souvent, oui, et ce n'est déjà pas mal, mais pas toujours néanmoins),de ce "jeu dangereux" entre le drame et le rire. Les personnages de Lubitsch restent humains et sensibles. Ceux de Rappeneau finissent, au mieux, en pantins téléguidés.
    Désolée, même s'il louche vers lui, Rappeneau est à Lubitsch... disons, je ne sais pas... ce que Jean Girault est à Max Ophüls ? (et je crois que je préfère encore Jean Girault à Rappeneau, c'est dire ! Au moins, il n'a pas cette exaspérante arrogance du "grand auteur" auquel la critique n'ose jamais rien dire) .
    L.F.

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  4. Et bien définitivement pas votre tasse de thé le cinéma de Rappeneau ^^. J'adore justement cette hystérie et ce mouvement perpétuel dans "Tout feu tout flamme" (déjà évoqués sur le blog) ou même "Le Sauvage" et sa première demi-heure survoltée avant de se calmer lors de l'arrivée sur l'île du couple. Question de sensibilité, ce côté virevoltant et énergique m'enchante et à plutôt tendance à vous agacer. Et paradoxalement j'aime moins quand il fait dans le classicisme plus attendu dans le pourtant plébiscité "Cyrano de Bergerac".

    Et autant j'aime défendre certains grands artisan du cinéma français peu regardé par la critique comme Georges Lautner ou Yves Robert mais Jean Girault pas trop ma tasse de thé malgré quelques films sympathiques, vraiment pas le même cinéma que Rappeneau.

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  5. En vérité Jean Girault n'est pas vraiment ma tasse de thé non plus. Je voulais juste dire que Rappeneau l'était encore moins! En fait, je trouve son cinéma glacé et glaçant. C'est un froid qui s'évertue à évoquer la passion, n'y parvient pas... et la remplace par l'écran de fumée de l'énervement et de l'hystérie.
    Un type comme Howard Hawks pourrait avoir ce travers. Et c'est tout le contraire pourtant! Tout le monde y parle en même temps et court partout et en désordre... Mais ses personnages, son cinéma savent nous toucher.
    Chez Rappeneau, on voit tout le temps les fils qui agitent ses créatures. Et mon opinion vaut également pour Cyrano (c'est là, pour la critique, qu'il est devenu in-tou-chable!)qui est un film pesant, indigeste, et grotesque.
    Mais bon. Je crois que je vous rejoins uniquement sur vos chroniques des cinémas américain et italien. Le cinéma français, ma foi... d'hier, d'avant-hier ou d'aujourd'hui, il me laisse circonspecte... et souvent en état de dyspepsie somnolente. LF.

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  6. Pas de mal on ne peut pas être d'acoord sur tout et j'imagine (j'espère^^) qu'il y a quelques exception qui trouve grâce à vos yeux dans le cinéma français !

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  7. Oh oui. Il y en a, bien sûr. Pas nombreux, mais des gens que j'estime énormément. Jacques Becker par exemple. Sauf erreur de manip , je ne le vois pas dans vos listes. Pensez-vous lui consacrer un sujet un de ces jours ? Son absence est un vrai trou dans vos chroniques. Amicalement, Lisa Fremont.


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  8. Non effectivement pas encore évoqué ce réalisateur sur le blog mais j'aime beaucoup aussi donc ça ne saurait tarder notamment l'excellent "Le Trou"...

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  9. Eh bien, combler ce trou par "Le Trou", on a le droit d'appeler ça un "tour" de force !..
    LF.

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