Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 11 juin 2019

All About Lily Chou-Chou - Rirī Shushu no subete, Shunji Iwai (2001)


Hasumi est un jeune trop calme pour son âge. Sa faculté à demeurer impassible devant les difficultés et à ne pas répondre aux coups et aux provocations va vite faire de lui le souffre-douleur idéal de ses camarades. Il tient le coup grâce à sa passion pour la pop star Lily Chou-Chou, dont les chansons lui permettent de s'évader, de vivre, d'espérer. Cette passion, il la partage avec son camarade Hoshino et avec des millions d'autres fans, qui se retrouvent anonymement sur Internet pour discuter de leur amour pour la mystérieuse chanteuse...

L’adolescence représente souvent chez Shunji Iwai une sorte de paradis perdu innocent qu’il magnifie de son esthétique vaporeuse, et baignant dans une nostalgie justifiant l’usage de flashbacks de Love Letter (1995) et April Story (1998). Cela va changer avec All About Lily Chou Chou qui va donner un visage bien plus torturé à l’âge ingrat. A l’origine, il s’agit d’un roman que Shunji Iwai publie sur internet dans un site qu’il baptise Lilyholic. L’innovation viendra de la dimension interactive qu’il adjoint à la fiction puisque les lecteurs pourront réagir aux évènements du roman ou encore discuter entre sur des chats et forum du site. L’expérience s’interrompt après un rebondissement dramatique du livre et va se poursuivre avec le film. Au centre du récit, omniprésente et invisible, la pop star Lily Chou Chou, objet de fascination et d’idolâtrie pour les ados en plein doute.

Le film use d’une narration fragmentée dans sa temporalité mais aussi ses canaux d’expression. Shunji Iwai use en effet des vrais échanges en ligne publiés sur son site qu’il entrecoupe aux péripéties du film. L’obsession pour Lily Chou Chou et sa musique compense donc un quotidien sinistre pour le jeune Yuichi (Hayato Ichihara), souffre-douleur de ses camarades et plus particulièrement du tyrannique Hoshino (Shugo Oshinari). La première partie du film s’axe ainsi sur les maltraitances subies en silence par Yuichi qui déverse son mal-être dans les chats, Iwai usant d’un montage épileptique (avec les discussions apparaissant en blanc sur fond noir) pour appuyer l’intensité et la force avec laquelle s’exprime cette souffrance. Lily Chou Chou n’est cependant qu’un point d’entrée, un fil rouge pour exprimer un mal bien plus profond. 

Un flashback introduit alors les même protagonistes trois années plus tôt, alors tous chaleureux camarades faisant leur premier pas au collège. Hoshino s’avère lui aussi une ancienne victime de brimades, un passif qu’on pense le voir surmonter avec l’amitié de Yuichi et des autres. Les premiers rires, émois amoureux et bêtises ne sont assombris que par les retrouvailles avec d’anciens oppresseurs mais tout cela paraît être bien anecdotique. Lily Chou Chou est aux prémices de son succès en toile de  fond et n’envahira les pensées des protagonistes que quand le réel deviendra insupportable. C’est un évènement lors du moment le plus heureux du groupe d’amis, un voyage à Okinawa, qui altère la personnalité d’Hoshino devenant alors un être brutal et morbide. Ce que l’on pense être une libération (répondre enfin aux provocations d’un agresseur) ne fait que déplacer plutôt qu’arrêter le cycle de la violence, Hoshino prenant la place des harceleurs en pire. Shunji Iwai est avec ce film le premier réalisateur japonais à tourner en caméra numérique et change grandement son approche esthétique. 

Les ambiances cotonneuses et vaporeuses gorgées de filtre qui distillaient cette tonalité rêveuse et nostalgique sont bien plus intermittentes (et d’autant plus précieuses puisque traduisant les rares moments apaisés). La photo de Noboru Shinoda est plus crue dans sa capture des ambiances rurales mais certainement pas pastorale, le point de vue de Yuichi passant par des cadrages claustrophobes ou alors flottants pour traduire la confusion de son esprit. Shunji Iwai a en amont et au cœur même du film anticipé l’importance d’internet en échappatoire autant que prison pour les adolescents torturés. Avant les réseaux sociaux et l’invasion des smartphone, le réalisateur devine également la place de l’obsession de l’image enregistrée pour retenir un instant heureux ou horrible visant à soumettre et humilier l’autre. 

Le voyage à Okinawa est entièrement constitué d’images brutes filmées au caméscope par les personnages, il est sous-entendu que certains subissent un chantage du fait de vidéos compromettantes (la faussement délurée Shiori (Yu Aoi)) quand l’on n’assiste pas à leur filmage même avec une glaçante scène de viol subit par Kuno (Ayumi Ito). Le film est en résonnance aussi avec des maux plus spécifique au contexte fin 90’s et début 2000 au Japon avec la prostitution lycéenne, et offre un contemporain tout aussi sombre du Suicide Club de Sono Sion sorti la même année – voir des films de Gregg Araki ou Harmony Korine si l’on étend le propos.

Il n’y a pas de vrais méchants ou gentils (du moins dans les figures les plus approfondies) dans All About Lily Chou Chou. Chacun des personnages réagit comme il le peut à la douleur qui le ronge, infligeant une violence qu’il autrefois subie (Hoshino), spectateur silencieux et soumis aux évènements (Yuichi), affichant contentement de façade (Shiori) ou faisant face même en ayant affronté le pire pour Kuno. Et pour presque chacun d’eux, les paroles, la musique et les concepts abstraits de Lily Chou Chou constituent une béquille face à la laideur qui les entoure. 

La bande-son fut d’ailleurs le fruit d’un travail approfondi, le ton et la nature des mélodies de Lily Chou Chou étant le pendant sonore des émotions crues et des concepts abstraits comme l'ether. La bande originale de Takeshi Kobayashi façonne donc une dream pop hypnotique, la chanteuse Salyu donnant une voix au vrai et crucial personnage qu’est Lily Chou Chou. Si le film s’avère nettement plus pessimiste et tourmenté que les œuvres précédentes de Shunji Iwai, celui-ci nous accorde néanmoins une candeur et une échappatoire lumineuse possible dans une magnifique dernière scène. 

Sorti en dvd et bluray chez Criterion et doté de sous-titres anglais 

 

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