Yoshiyama est une
étudiante qui voit sa vie bousculée par d'étranges rêves prémonitoires suite à
sa perte de connaissance dans le laboratoire de son lycée. Elle confie alors
son secret à son ami Fukamachi…
Nobuhiko Obayashi reste essentiellement connu (du moins pour
le cinéphile occidental) pour House (1977),
premier film furieux et inventif oscillant entre délire pop expérimental, conte
gothique azimuté et troublant coming of
age adolescent. Le réalisateur y déployait tout son passif dans le cinéma d’avant-garde
dans un tout accessible et délirant à la fois. Par la suite Obayashi mènera une
longue et intéressante carrière même si moins saluée que son coup d’éclat
initial. Au Japon néanmoins Toki o Kakeru
Shōjo est une œuvre au moins aussi populaire que House. Le film est l’adaptation d’un roman de Yasutaka Tsutsui,
maître de la science-fiction japonaise et notamment connu pour le magistral Paprika (2007) que Satoshi Kon
transposera d’un autre de ses ouvrages. Le film croise habilement la veine expérimentale d’Obayashi
avec les thématiques SF autour du réel disloqué de Yasutaka Tsuitsui, les deux
se rejoignant dans les questionnements adolescents du récit.
Kazuko (Tomoyo
Harada) est une lycéenne japonaise candide formant un triangle amoureux qui s’ignore
entre l’attachant mais balourd Goro (Toshinori Omi) et le sensible Kazuo (Ryōichi
Takayanagi). Les premières minutes nous donne quasiment les clés du mystère à
venir avec cette scène poétique où Kazuko admire les étoiles en compagnie de
Goro avant que Kazuo surgisse pour captiver l’attention de la jeune fille. Un
Kazuo charmant de douceur qui s’éclipse pour aller cueillir des fleurs manquant
de rater le train de retour d’expédition scolaire. Cette entrée en matière
laisse croire que Obayashi n’a pas mis la pédale douce sur l’expérimentation
formelle puis qu’en deux séquences on passe du noir et blanc à la couleur, du
format 4/3 au 1.85, et que l’artificialité de ce ciel étoilé ainsi que les
incrustation bariolée au fenêtre du train vont nous plonger dans un monde aussi
délirant que House.
Il n’en sera rien, l’ensemble demeure assez sobre et l’étrange
ne s’invite que progressivement après que Kazuko ait perdu connaissance en
respirant un curieux parfum de lavande en salle de chimie où elle traquait un
intrus. Le récit croise alors un quotidien dont la paisibilité s’altère peu à peu
pour Kazuko. Des accélérations inattendues ou effets de montages cut viennent
zébrer les instants de vie anodins, faisant perdre pied à Kazuko. Ces
dérèglements imperceptibles pour son entourage finissent par avoir des
conséquences qui vont faire douter l’adolescente de sa raison puisqu’elle semble
vivre de façon prémonitoire deux fois les mêmes journées. Obayashi joue à la
fois de la répétitivité (les scènes de réveil dans un effet qui annonce le Un Jour sans fin d’Harold Ramis (1993))
et de l’imperceptible avec le comportement volontairement ou pas décalé de
Kazuko au fil de sa prise de conscience.
Elle est constamment prise de cours, qu’elle
puisse anticiper ou pas les évènements à son avantage : sauver Goro d’un
incident, mieux répondre à l’interro surprise d’un professeur mal négociée
initialement. Ce trouble permanent repose sur l’argument fantastique du
film, mais aussi sur celui plus sentimental. Le bourru Goro est typique d’un
adolescent de son âge dans sa maladresse et son naturel quand à l’inverse Kazuo
semble le petit ami idéal, prévenant et attentionné mais semblant pourtant
maintenir un certain recul alors qu’on pourrait basculer dans la romance. La
réalité déréglée de Kazuko se conjugue ainsi à ce trouble amoureux et
occasionne de beaux moments de romance suspendue. Le fait que la gêne de notre
héroïne soit moins manifeste lorsque les évènements se rejouent en compagnie de
Kazuo est d’ailleurs une forme d’indice…
Obayashi tourne le film dans sa ville
natale, baignant l’ensemble d’une atmosphère nostalgique et provinciale
troublante autant due au réel qui échappe à Kazuko que d’éléments plus
personnels et intimes pour le réalisateur. En effet, aux évènements anodins qui
se rejouent pour Kazuko s’y ajoutent d’autres plus dramatiques autour de la
solitude et du deuil à travers ce couple de vieillards seuls au monde ou ayant
encore leur petit fils selon les niveaux de réalité. A l’apaisement concret
avec un proche bien vivant succède alors un épilogue plus amer et mélancolique
où le doux parfum des fleurs et les objets du disparu entretiennent la mémoire.
C’est une forme d’apprentissage pour Kazuko qui à travers l’aventure dit un peu
aussi adieu à son enfance pour devenir une jeune femme, le renoncement à un
doux souvenir d’enfance jouant à la fois sur son cheminement intime et l’élément
SF de l’histoire. Obayashi parvient à mener de front ces deux facettes qui
culminent dans un étourdissant final où Kazuko remonte le temps pour revenir à
l’incident initial. Le réalisateur use de photographies qu’il anime en
stop-motion pour donner une dimension saccadée et mentale de ce voyage temporel
enfin conscient où Kazuko revisite son enfance pour mieux la quitter.
Les
incrustations et quelques éléments animés sont certes un peu kitsch mais
distille la même magie que dans House,
l’extravagance et l’excentricité cédant à une pure approche émotionnelle ici.
La jeune Tomoyo Harada dans son premier rôle au cinéma est absolument
remarquable d’innocence et de fragilité, notamment dans l’ultime renoncement
final. Obayashi signe là une œuvre culte largement exploitée par la suite, d’abord
dans un téléfilm adaptant le roman en 1985, un nouveau film cinéma en 1997 (où
Tomoyo Harada est la narratrice) et 2010 et surtout la suite/remake
brillantissime (qui égale voire dépasse l’original) qu’est le film d’animation La Traversée du temps (2006) qui mettra
la carrière de Mamoru Hosoda sur orbite.
Sorti en bluray japonais et en dvd anglais doté de sous-tires anglais
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