Dans le futur, un
nouveau traitement psychothérapeutique nommé PT a été inventé. Grâce à une
machine, le DC Mini, il est possible de rentrer dans les rêves des patients, et
de les enregistrer afin de sonder les tréfonds de la pensée et de
l'inconscient. Alors que le processus est toujours dans sa phase de test, l'un
des prototypes du DC Mini est volé, créant un vent de panique au sein des
scientifiques ayant développé cette petite révolution. Le Dr. Atsuko Chiba,
collègue de l'inventeur du DC Mini, le Dr. Tokita, décide, sous l'apparence de
sa délurée alter-ego Paprika, de s'aventurer dans le monde des rêves pour
découvrir qui s'est emparé du DC Mini et pour quelle raison.
Satoshi Kon réalisait son ultime chef d’œuvre avec ce
magistral Paprika en forme d’aboutissement
pour un génie au sommet de son art. Kon s’était toujours réclamé d’artistes
ayant plus d’une fois explorés sous diverses formes la thématique des liens
poreux en rêves et réalité, Philip K. Dick en littérature notamment ou encore
Terry Gilliam au cinéma et plus particulièrement sa trilogie de l’imaginaire (Bandits bandits (1982), Brazil (1985) et Les Aventures du Baron de Münchausen (1988)). Le réalisateur allait
devenir une référence à son tour en pliant ce questionnement à son imaginaire,
que ce soit sous la forme d’un étourdissant thriller schizophrène explorant
certaines tares de la société japonaise avec Perfect Blue (1997) ou alors en adoptant un récit romanesque et
référentiel faisant voyager dans l’histoire du cinéma japonais pour le
magnifique Millenium Actress (2001). Avec
Paprika, Kon allait s’attaquer à une
autre de ses influences à savoir l’auteur de SF japonais Yasutaka Tsutsui dont il
adapte le roman éponyme. Paru en 1991, le roman fut très tôt envisagé pour une
adaptation mais les visions surréalistes de Tsuitsui nécessitaient un budget
trop imposant pur une transposition en prise de vues réelles. Voyant les liens
entre leurs univers et souhaitant voir son histoire portée à l’écran, Tsuitsui
sollicitera ainsi directement Satoshi Kon pour adapter Paprika à l’occasion d’une convention d’animation. Grand admirateur
du roman, le réalisateur en tirera son dernier film et œuvre somme.
Dans un futur proche des scientifiques créent une machine,
le DC Mini, permettant d’explorer les rêves d’autrui et donc leur inconscient
dans l’idée d’un traitement psychothérapeutique. La machine a été conjointement
conçue par l’inventeur de génie mais très immature Dr Tokita et par sa collègue
plus réservée et glaciale Atsuko Chiba qui en fait l’usage le plus brillant,
accompagnant et aidant les patients dans leur songe sous l’apparence de son
alter-ego enjoué Paprika. Le précieux outil encore en phase de test va être
dérobé par un mystérieux individu dont l’usage néfaste va provoquer des réactions
malencontreuses, mélangeant et insérant les rêves dans l’inconscient des
utilisateurs qui perdent pied avec une réalité qu’il ne distinguent plus.
Atsuko va devoir ainsi explorer sans s’y perdre le monde des rêves afin de
démasquer le voleur. Satoshi Kon opère en plusieurs phases pour faire basculer
son récit.
La séquence d’ouverture nous familiarise avec le concept par une
perte de repère totale dans un rêve teinté de psychanalyse où s’entrecroise une
scène de cirque virant au cauchemar et un tourbillon référentiel cinéphile où
on reconnaîtra des reprises de moments de Tarzan,
du James Bond Bon Baiser de Russie
(1963) ou encore Vacances Romaines (1953)
de William Wyler. On comprendra par la suite que l’on est dans le rêve de
Konokawa, un policier suivant une thérapie grâce au DC Mini. La séquence
déploie les peurs, fêlures et inhibitions de son inconscient qui se manifestent
par le goût et la connaissance pour le cinéma devinée dans son rêve mais qu’il
renie une fois réveillé, jurant qu’il déteste le Septième Art et signifiant
par cette contradiction son problème à résoudre.
Le scénario déploiera la même
subtilité pour exprimer sobrement les douleurs secrètes de chacun. La fantaisie
et l’enjouement de Paprika surprennent ainsi au vu de la réserve froide d’Atsuko
et de la dureté avec laquelle elle traite Tokita, homme enfant génial
indifférent au monde qui l’entoure.
La perception de la réalité opérera en trois temps. Tout d’abord
les dérèglements du DC Mini interviennent dans le réel en altérant la
personnalité des individus envahis par les rêves d’autrui alors qu’ils sont
bien conscients et éveillé. La réalité est intacte mais les comportements
deviennent aberrants et absurde de façon imperceptible à l’image du personnage
du professeur Shima dont le comportement et le phrasé se fait soudainement
incohérent et le voyant se jeter par la fenêtre dans une pure folie extatique.
Dans le monde du rêve, cette perte de raison se manifeste par l’intégration d’une
farandole surréaliste dont l’orchestre joue une partition hallucinée (fabuleux score de Susumu Hirasawa alternant étrange, élégance et folie) et absorbe
la personnalité de celui s’étant laissé prendre au piège.
Cette procession ira
grossissante au fil du récit alors que le contact avec le réel se fait de plus
en plus indistinct, une sorte de mélange monstrueux de toutes les bizarreries
peuplant l’ensemble des rêves des malheureux utilisateurs du DC Mini que ce soit objets
en mouvements ou animaux étranges. Dans un deuxième temps c’est ce contrôle du
cadre du rêve qui sera malmené, l’orchestre infernal s’introduisant dans les
rêves des patients connectés pour les faire sombrer dans une folie multicolore
et cacophonique. Enfin, la dernière partie verra l’intrusion du rêve dans le monde
réel, aspirant la population, l’architecture et l’ensemble de l’environnement
concret dans la démence de celui contrôlant la machine.
Satoshi Kon fait de ce cadre du rêve un lieu oppressant et
cauchemardesque dès qu’il est question d’en prendre le contrôle où d’y
maîtriser ses émotions. Les personnages sont ainsi en quelque sorte punis au
départ de leur volonté d’encadrer par une technologie ce qui relève de la plus
pure des liberté en dépit de leurs bonnes intentions, et voient leur création se
retourner violemment contre eux entre des mains malfaisantes. Pourtant lorsque
les évènements déraperont et que les héros devront « lâcher prise »
pour s’en sortir, ils pourront résoudre leurs traumas et dilemme à l’image du
policier Konokawa dont la culpabilité enfouie dans un lointain passé se
révèlera de manière bouleversante en malmenant la structure répétitive du rêve
cinéphile d’ouverture.
Le symbole de cette idée, c’est bien sûr Atsuko si
réservée et distante dans le réel et si inventive, rieuse et sautillante dès qu’elle
endosse l’identité de Paprika dans le rêve. Lors de la collusion rêve/réalité
de la dernière partie, la séparation se fera entre elle et une Paprika
désormais autonome, obligeant l’héroïne à révéler ce qui l’anime (et que l’on
aura perçu sous la retenue dès le début), l’amour.
Satoshi Kon retrouve là tous les motifs visuels et narratifs
de ses œuvres précédentes, mais poussés à un niveau de maîtrise et d’exubérance
qui laisse pantois. La perte de repère relève donc autant des peurs et de l’angoisse
de Perfect Blue que du plaisir et de
la jubilation de Millenium Actress,
symbole de cet inconscient oppressant, apaisant et/ou imprévisible selon l’état
d’esprit. Les frontières ténues entre le rêve et la réalité se manifestent dès
le départ (Paprika interpellant Atsuko dans la réalité, avec ce plan signature
repris de Perfect Blue où Atsuko s’observe dans une glace et y voit le reflet
de Paprika) de manière perceptible avant de nous emporter dans un tourbillon où
l’on ne distingue plus la différence.
Un élément de décor étrange faisant tout
vaciller, un montage malin sautant le moment où l’on pourrait se rendre compte
de la bascule ou dialogue trop étrange pour être vrai, tout est fait pour nous
empêcher de nous raccrocher à quoi que ce soit. L’intrigue est rigoureusement
maîtrisée mais son avancée se fait dans une progression incohérente,
surprenante et reproduisant la nature insaisissable du songe. Nulle logique à
laquelle se raccrocher et à l’image des personnages se trouvant enfin en
lâchant prise, le plaisir de Paprika se savoure en s’abandonnant au trip que
nous propose Satoshi Kon. Brutalement emporté par un cancer en 2010 alors qu’il
préparait son prochain film, Satoshi Kon achève donc prématurément sa carrière
sur ce chef d’œuvre, un des grands films des années 2000 et une influence
majeure et avouée de Christopher Nolan pour son brillant Inception (2010).
Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Sony
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