Le détective Philippe
Marlowe n’a pas de chance. Pendant qu’il accompagne son ami Terry Lennox au
Mexique, la femme de celui-ci est retrouvée morte. De retour à Los Angeles,
Marlowe est bouclé pour complicité de meurtre, puis relâché lorsqu’on apprend
le suicide de Lennox qui a rédigé des aveux. Bien décidé à innocenter son ami
défunt, Marlowe se lance dans une enquête effrénée qui le conduira à côtoyer un
alcoolique notoire, un gardien de parking spécialiste en imitations ringardes,
un caïd patibulaire et toute une galerie de personnages plus cinglés les uns
que les autres. Mais pire que tout : le chat de Marlowe s’est fait la malle…
Dans la logique démystificatrice du Nouvel Hollywood émergeant
durant les années 70, Robert Altman se sera plu à déconstruire les genres et
les icônes dans ses grands films de l’époque. Le film de guerre prend un tour
potache et chaotique dans M.A.S.H.
(1970) et le mythe de l’Ouest s’effondre dans la vision antihéroïque de John McCabe (1971). Avec The Long Goodbye, Altman va s’attaquer
au héros mythique de Raymond Chandler, le détective privé Philip Marlowe
immortalisé à l’écran par Humphrey Bogart dans Le Grand Sommeil (1946) de Howard Hawks. Plutôt qu’une adaptation
fidèle et un film noir rétro façon Chinatown
(1974) de Roman Polanski, Altman va opter pour une transposition moderne du roman
éponyme de Chandler. L’accueil critique sera tiède à la sortie du film, avec
comme reproche principal la trahison de l’esprit de Chandler à travers la
prestation d’Elliott Gould loin du modèle viril et charismatique imposé par
Bogart.
Le vrai problème n’est pourtant pas Marlowe, mais l’environnement
contemporain dans lequel il évolue et où les préceptes définissant le
personnage n’ont plus lieu d’être. C’est précisément ce qui intéresse Altman, ce
décalage permanent de Marlowe avec son époque et dans une intrigue où il aura
constamment un temps de retard. Le réalisateur l’exprime dès le départ dans la scène
d’ouverture voyant Marlowe se réveiller et longuement essayer de nourrir son
chat, échouant à le duper quant à la présence de sa terrine favorite. Le matou
ne s’en laisse pas compté et quitte la maison pour ne plus reparaître du film, une
manière de moquer ironiquement la perspicacité de Marlowe qui sera mis à mal
tout au long du récit. L’intrigue est assez nébuleuse et tourne autour de la
disparition mystérieuse puis du suicide trouble de Terry Lennox, ami de Marlowe
accusé d’avoir assassiné son épouse. Ne croyant pas en la culpabilité de son
ami défunt, notre héros mène l’enquête qui l’amènera à côtoyer le couple
destructeur formé par l’écrivain alcoolique Roger Wade (Sterling Hayden) et son
épouse Eileen (Nina Van Pallandt).
Altman nous offre en fait une photographie de cette Amérique
des 70’s où la droiture de Marlowe est un vestige du passé jamais en accord
avec la décadence contemporaine. L’ensemble du film est un renvoi permanent
entre le paradis perdu du passé et la dégénérescence et la perte d’idéaux du
présent. Ce passé glorieux est le plus souvent associé à la légende
hollywoodienne où Altman place des clins d’œil cinéphile distancié comme ce
gardien se plaisant à (mal) imiter les stars oubliées de l’âge d’or et que seul
Marlowe parvient à reconnaître. Le cadre tape à l’œil du temple de la
superficialité qu’est la Californie n’est
ainsi pas innocent et montrera ainsi les travers des idéaux du présent. L’appel
à l’hédonisme et aux utopies hippie est ainsi raillé avec les voisines
dénudées, adepte du yoga et de la fumette de Marlowe.
L’institution du mariage
et du couple s’avère un véritable enfer de violence et d’incompréhension avec
les personnages de Sterling Hayden et Nina Van Pallandt. Seul domine la valeur
de l’argent et de la cupidité représenté par le mafieux juif Marty Augustine
(Mark Rydell) pas avare de contradiction puisque la même séquence le voit se
plaindre de ne pas avoir pu se rendre à la synagogue avant de défigurer gratuitement
sa petite amie quelques minutes plus d’un coup de bouteille dans un
traumatisant débordement de violence.
La photo de Vilmos Zsigmond évoque un cauchemar vaporeux
en se délestant de toute l’imagerie lumineuse et ensoleillée associée à la
Californie. La plage est un mirage lointain dans les scènes de jour et un lieu
de mort dans les passages nocturnes notamment. Ce flou est aussi entretenu par
la mise en scène peu conventionnelle d’Altman avec son montage déroutant, ces
dialogues filmés d’un point de vu extérieur au propre comme au figuré tel cet
échange du couple vu en parti à travers le reflet d’une vitre. Tous les
symboles d’une Amérique/Californie fière et glorieuse sont là mais sous un jour
décadent, illustrant parfaitement l’état d’esprit d’un moment où le pays vit
une sorte de retour sur terre et désillusion quant aux grands engagements d’antan.
Philip Marlowe n’a cependant lui pas changé et c’est la
figure des années 40 qui traverse le récit désabusé face à un monde qu’il ne
reconnaît plus. Les petits mots d’esprit qui faisait mouche dans les films noir
classiques tombent tous à plat ici (Marlowe narguant la police lors de son
interrogatoire), les adversaires de Marlowe sont plus désarçonnés par sa
nonchalance que par sa vivacité de corps et d’esprit. Elliott Gould avec ses
allures ahuries semble toujours comme découvrir pour la première fois toutes
les bizarreries et excentricités de son époque se présentant à lui et qu’il
salut par son leitmotiv blasé It’s ok
with me. Il restera pourtant notre point d’ancrage tout au long du film car
le seul poursuivant encore des valeurs justes.
L’humour du personnage naît de
son décalage mais jamais de son cynisme et son attitude bienveillante (la scène
où il bloque une rue pour ne pas écraser un chien) dénote toujours avec l’absence
de scrupules de tous les autres protagonistes. Le but même de son enquête est
guidé par la plus noble des causes, l’amitié à son ami dont il ne peut croire
en la culpabilité. Lorsque cet ancrage sera à son tour mis à mal, sa réaction
sera toute aussi sincère et directe dans un final surprenant où il se met enfin
en action et use de son arme. Dès lors il peut partir et disparaître à l’horizon
dans la superbe image finale, esquissant un pas de danse à la Chaplin puis s’estompant
comme le fantôme qu’il est désormais dans un monde devenu fou. Sous l'aspect décalé et rigolard, Le Privé est une oeuvre désenchantée et d'une grande mélancolie.
Sorti en dvd zone 2 français et blu ray chez Potemkine
ce film, je l'ai vu et l'ai aimé. Le chat sur Eliot Gould, c'est Mozart
RépondreSupprimerquand il trouve que j'ai trop dormi.
Quand il y a un chat dans un film, le réalisateur est d'emblée gagné pour moi.
Ça n'arrive pas assez souvent.