Deuxième film de la regrettée Christine Pascal, La Garce est une des tentatives les plus
réussies de film noir à la française, reprenant les codes du genre sans singer
le cinéma américain et en les réinscrivant avec brio dans un contexte français.
Le côté sensuel et vénéneux s’exprime d’ailleurs sous un jour suggestif rétro
et de façon plus explicite dans ce que le cinéma contemporain autorise
désormais. Lucien Sabatier (Richard Berry), jeune inspecteur de police voit sa
vie basculer le jour où il croisera la belle Aline (Isabelle Huppert). Seule et
abandonnée sur une route pluvieuse, Aline est recueillie par Lucien qui fait sa
ronde. Une tension érotique s’installe rapidement entre, Lucien ne contrôlant
pas son violent désir et abusant d’Aline.
La pulsion de Lucien est montrée dans
toute sa crudité tandis que l’on est surpris par l’attitude provocante d’Aline
dans ce qui est pourtant un viol. Lucien ne tardera pas à payer pour son
dérapage puisque Aline s’avère mineure et orpheline et que sa plainte va
conduire notre policier en prison pour six ans. Reconverti en détective privé à
sa sortie il est chargé d’espionner une femme soupçonnée d’espionnage
industriel dans une boutique du Sentier et à sa grande surprise l’intéressée s’avère
être Aline sous une nouvelle identité. Un mystère qui va remettre en cause les
circonstances de leur fatidique première rencontre.
Christine Pascal signe un captivant et nébuleux scénario où
l’argument policier est entièrement placé sous le signe du désir. C’est lui qui
provoque le drame initial, c’est par ce même désir que Lucien plutôt que de
dénoncer la duperie avérée d’Aline va retomber dans une folie obsessionnelle et
la traquer. Cet aspect charnel révèlera une histoire d’amour étrange et
complexe en forme de triangle amoureux entre Lucien, Aline et son âme damnée
Max (Vittorio Mezzogiorno). Les retrouvailles inattendues entre Lucien et Aline
ne doivent rien au hasard et relève d’un complot venant également d’un amour
déçu. Christine Pascal instaure un climat urbain à la fois réaliste (le travail
clandestin, l’antisémitisme ouvertement évoqué) et abstrait avec un usage
brillant du quartier du Sentier et de ses us et coutumes mais la tournure de l’intrigue
en fait un arrière-plan prétexte aux passions des protagonistes. Le manichéisme
s’estompe d’ailleurs sous ce prisme intime où les liens se font et se défont
par sincérité ou calcul personnel.
Isabelle Huppert symbolise à merveille cette dualité par son
attitude séductrice et réservée à la fois où l’interlocuteur masculin ne saura
jamais s’il doit y lire l’attirance et le rejet. Elle est un miroir opaque du
désir qu’ont d’elle les hommes et sait constamment en jouer dans cette
incarnation très surprenante de la femme fatale. Richard Berry incarne lui l’aspect
le plus expressif de cette passion, l’étouffant constamment tant son expression
s’avère brutale (le viol mais aussi une scène d’amour n’existant que par la
volonté de soumission) et parvient à exprimer une réelle humanité par cette
amour irrépressible.
Une sorte de variation française du James Stewart de Vertigo
où lui aussi poursuit le fantôme d’un passé douloureux. Vittorio Mezzogiorno
amène une touche plus subtile, l’élégance et la prestance de son personnage ne
lui faisant exprimer ses sentiments que par le matériel, que ce soit un bouquet
de fleur, une boutique ou un faux passeport.
La résolution du dilemme amoureux
ne pourra intervenir que lorsque la glaciale Aline daignera face à la perte
possible oser révéler son émoi, sans que l’on y devine un intérêt ou une
manipulation de plus. Ce n’est pas pour autant que ces amants maudits pourront
s’épanouir. S’ouvrir signifie se montrer faible, on aura pu le constater pour
chacun des personnages à divers degré. Le plus glacial d’entre eux démasqué, il
préférera la fuite que l’abandon. Reste alors l’attente car dans La Garce, cette passion ne s’exprime
jamais mieux que dans l’insatisfaction et la douleur.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
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