jeudi 7 août 2014
Âmes perdues - Anima persa, Dino Risi (1976)
Le jeune Tino arrive à Venise où il va vivre avec son oncle (Vittorio Gassman) et sa tante (Catherine Deneuve), qui habitent dans un vieux palais splendide autrefois mais délabré aujourd'hui. La nuit, Tino entend d'étranges bruits de pas qui semblent venir des combles de la maison, puis une mélodie jouée sur un piano. Curieux de savoir ce qui se passe dans cette maison mystérieuse, il découvre peu à peu un passé qui ne cesse de hanter ceux qui y vivent.
Même en abordant des sujets sérieux et en se teintant d'une certaine gravité, la majorité des films de Dino Risi s'inscrivait dans son genre de prédilection de la comédie, quitte à brutalement basculer par un rebondissement (Le Fanfaron (1962), Au nom du peuple italien (1971)) ou changement de ton inattendu (le dernier sketch des Monstres (1963), Parfum de femme (1974)). Âmes perdues représente donc un vrai changement pour le réalisateur qui y aborde frontalement le drame sans qu'aucun rire vienne apporte une distance cynique et désabusée à l'ensemble. Le film est l'adaptation du roman éponyme de Giovanni Arpino (déjà adapté par Risi avec Parfum de femme) et permet à Risi de renouer avec sa formation initiale de psychiatre puisqu'il y aborde le thème de la folie qui sera justement au cœur de ses œuvres suivantes comme Fantômes d'amour (1981) ou Le Fou de guerre (1985).
Le jeune Tino (Danilo Mattei) arrive à Venise afin de suivre des études de peinture et doit être logé chez son oncle Fabio (Vittorio Gassman) et sa tante Elisa (Catherine Deneuve). Sa tante est à la fois chaleureuse et effacée face à l'autorité de son époux, qui quant à lui sous la sévérité et la distance de façade s'avère avenant et érudit pour lui faire découvrir le passé de ce Venise mystérieux et chargé d'Histoire. Une histoire qui s'illustre d'ailleurs déjà dans leur demeure, un vieux palais à moitié délabré regorgeant de pièces, de passages et d'objets représentant ce poids du passé. Ce passé des lieux va pourtant prendre un tour bien plus inquiétant lorsque les nuits seront hantées par d'étranges bruits, hurlements et une étrange mélodie au piano qu'entend régulièrement Tino.
Il aura un début d'explication en apprenant que le frère dément de Fabio est enfermé dans les hauteurs du palais mais cela ne suffit pas à comprendre qui joue ainsi du piano. Risi instaure un climat pesant et inquiétant, une atmosphère gothique lorgnant sur les classiques anglo-saxons du genre (on pense évidemment à Jane Eyre avec un fou enfermé dans les combles et personnification cachée de la culpabilité des habitants) où les cadrages mettent en valeur les décors tout en leurs donnant une aura mystérieuse par cette photo grisâtre et diaphane de Tonino Delli Colli jouant merveilleusement sur les ombres.
Ce côté gris et fantomatique se propage à l'illustration de la ville de Venise (on pense forcément à Ne vous retournez pas (1973) de Nicolas Roeg) où seules les scènes de cours de Tino (et ses camarades chevelus raillés par Gassman le temps d'une scène en rappelant une autre hilarante d'Au nom du peuple italien) cède à une imagerie contemporaine. Pour le reste Venise s'avère une ville désertique dont chaque bâtiment est rattaché à un souvenir macabre (la ballade avec Gassman), où chaque élément du passé évoque la facette la plus noire de l'homme (cet asile imposant surgit des flots) plutôt que sa gloire ancienne.
Tous ces éléments constituent dans indices quant à l'énigme entourant le film. Risi après avoir posé l'ambiance laisse certes planer le doute quant à une explication surnaturelle mais plutôt que de multiplier les phénomènes étranges il fait vaciller la raison du couple Vittorio Gassman/ Catherine Deneuve qui se désagrège sous nos yeux. La discrète et douce Elisa semble ainsi comme littéralement s'évaporer au fil du récit (le teint pâle de Catherine Deneuve en devenant presque translucide), comme rongée par la brutalité de son époux mais surtout par un lourd et insoutenable secret.
Un même secret qui rend imprévisible Fabio et fait se zébrer l'armure de tranquille froideur qui le constituait jusque-là. Vittorio Gassman est extraordinaire dans la bascule stupéfiante qu'effectuera son personnage et si l'on peut deviner en partie la résolution (les apparitions du frère fou nous mettant sur la piste), la vérité s'avère plus tétanisante encore quant au lien unissant les époux. La nostalgie est une illusion, le passé une malédiction pour ceux qui le chérissent et ce/ceux qui le représente(nt) et s'y rattacher ne nous guide vers rien d'autre que la folie. Un grand Risi.
Sorti en dvd zone 2 chez SNC/ M6 Vidéo
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