Dom Cobb est un voleur
expérimenté – le meilleur qui soit dans l’art périlleux de l’extraction : sa
spécialité consiste à s’approprier les secrets les plus précieux d’un individu,
enfouis au plus profond de son subconscient, pendant qu’il rêve et que son esprit
est particulièrement vulnérable. Très recherché pour ses talents dans l’univers
trouble de l’espionnage industriel, Cobb est aussi devenu un fugitif traqué
dans le monde entier qui a perdu tout ce qui lui est cher. Mais une ultime
mission pourrait lui permettre de retrouver sa vie d’avant – à condition qu’il
puisse accomplir l’impossible : l’inception. Au lieu de subtiliser un rêve,
Cobb et son équipe doivent faire l’inverse : implanter une idée dans l’esprit
d’un individu.
Après l’immense succès de The Dark Knight (2008), brillant deuxième volet de sa vision de
Batman, Christopher Nolan voyait enfin l’opportunité de réaliser Inception. Fasciné par le monde des
rêves et les possibilités narratives et visuelles qu’il offre, Nolan travaille
au script du film depuis dix ans mais la Warner l’aura laissé s’aguerrir sur
des productions d’envergure avant de lui donner les clés de cet ambitieux
projet personnel. Cela laissera le temps au réalisateur de peaufiner son
concept au final bien éloigné du film d’horreur qu’il envisageait au départ.
Nolan est le cinéaste cartésien et cérébral par excellence et la fantaisie, l’étrangeté
et l’imprévisibilité du monde des rêves semblent bien éloigné de son univers.
Il va ainsi insérer cette thématique du rêve dans deux genres associés à des cadre plus réalistes, le film de casse et celui d’espionnage façon Mission : Impossible. Le rêve prend
ainsi un tour plus concret associé à ces deux éléments où le héros Dom Cobb
(Leonardo Di Caprio) est un spécialiste pour façonner une illusion à ses
victimes où il peut s’immiscer dans leur subconscient durant leur sommeil pour
subtiliser des secrets.
Les dérapages onirique sont ainsi limités puisque l’objectif
est de dissimuler à la cible qu’elle rêve et de donner au songe l’illusion de
la réalité. L’imagerie plus étrange et
inattendue ne peut surgir que si les manipulateurs se laissent submerger par
leurs émotions et font vaciller l’illusion pour se faire démasquer par leur cible.
L’équilibre entre ce réalisme, cette maîtrise et ce contrôle face à
un dérèglement psychique bien humain, c’est justement une des grandes
thématiques de Nolan. L’organisation minutieuse du héros amnésique de Memento (2000) n’est qu’un voile perpétuel
masquant un deuil inconsolable. Sa vision de Batman joue justement entre l’aspect
hyper technologique et réaliste de son arsenal et celui purement terrifiant
et surnaturel du personnage pour ses ennemis, The Dark Knight voit le Joker détruire l'ordre rétablit par le super héros. Dans Inception,
le remord et la culpabilité de Dom Cobb viendront mettre à mal l’aspect froid
et technologique appliqué au principe.
La première partie est une longue introduction servant à
poser toutes les règles de ce cadre du rêve pour nos voleurs onirique. La
spectaculaire scène d’ouverture donne notamment une idée du potentiel possible
de l’illusion où Cobb et son équipe vont carrément enchâsser deux rêves pour
voler un secret industriel au magnat Saito (Ken Watanabe). Cobb va pourtant se
voir proposer par sa cible un défi inédit : ne pas voler une idée mais au
contraire en insérer une dans le subconscient, soit une inception. Forcé de
recruter une équipe de virtuose Cobb déroule donc notamment les possibilités à
la nouvelle venue et architecte du rêve Ariadne (Ellen Page). Nolan reprend les
motifs narratifs du premier Matrix
(1999) où le dialogue et le jeu sur l’environnement apprennent le
fonctionnement de l’univers.
Là aussi le concret se dispute à l’irrationnel
avec cette vision de l’architecture parisienne littéralement pliée en deux par
la force de l’esprit, avant qu’un rappel à l’ordre nous informe que ce genre de
prouesses réveille l’attention de l’individu piégé et les défenses de son
inconscient rendant soudainement hostile tous les figurants/projections humaines
du rêve. La menace principale de la mission pointe ainsi en filigrane à savoir
le fantôme de Mal (Marion Cotillard) la femme décédée qui ne cesse de hanter
les profondeurs du subconscient de Cobb. Nolan parvient sous cette sophistication à
donner un vrai aspect ludique (également dans des éléments comme les totem où la chanson d'Edith Piaf ingénieusement utilisée) à travers la présentation de l’équipe et de l’élaboration
du plan où l’on retrouve ce fameux plaisir du caper movie à une échelle différente.
Ellen Page nous sert de
référent réfléchi et ingénu en découvrant cet univers avec le spectateur, Joseph-Gordon
Levitt de maître ès science et calcul, Tom Hardy d’illusionniste de génie
(Martin Landau dans Mission Impossible
en gros) et d’homme d’action tandis que Leonardo Di Caprio est le chef, l’organisateur
de cette somme de talent mais aussi un facteur imprévisible par son esprit
perturbé. L’enjeu est plus grand encore pour Cobb puisque la réussite de la
mission pourrait lui permettre de rentrer au Etats-Unis et revoir ses enfants.
Cela est pourtant justifié par le postulat
(ne pas laisser deviner à la victime qu’elle rêve justement) et surtout ne rend
que plus fort le surgissement de l’irrationnel. Si les gardes fous du
subconscient façon hommes de mains surarmés manque de folie, ce train surgissant
soudainement en pleine ville, ce corridor oubliant toute les règles de gravité
ou dans un registre plus léger Tom Hardy imaginant une arme plus destructrice
que Joseph Gordon Levitt, tout cela montre le dérèglement d’un monde en
apparence maitrisé. Plus l’on va loin dans le songe, plus l’imagerie
se fait décomplexée, Nolan faisant jouer sa fibre cinéphile.
La bagarre en
apesanteur rappelle évidemment Matrix, la forteresse enneigée et les poursuites
à ski lorgne vers le James Bond de Au
Service Secret de sa Majesté (1969) et l’intérieur du coffre-fort contenant
la catharsis de Robert Fischer évoque la chambre du final de 2001, l’Odyssée de l’espace (968). On
sent une vraie jubilation et un plaisir de narrateur communicatif dans la façon
dont Nolan fait déraper le récit et laisse éclater son imaginaire.
Dès que l’on aborde le thème du rêve dans la fiction, le
principal questionnement repose sur la différence possible ou impossible à
faire entre réel et illusion. C’est un thème central dans les œuvres ayant
influencées Nolan comme Matrix donc, Dark City (1998) ou Paprika (2007 et dont des pans entier sont évoqués par Inception). Nolan trouve sa force et
originalité en se délestant de toute vertu philosophique et pompeuse pour
essentiellement jouer sur le facteur émotionnel. Di Caprio, à fleur de peau et
torturé est parfait pour véhiculer cela.
Cobb n’est pas seulement rongé par le
spectre de sa femme disparue, mais par la responsabilité qu’il a dans cette
mort et c’est cette culpabilité qui rend ses interférences si dévastatrices.
Marion Cotillard dégage à merveille cette folie et séduction, sorte de femme
fatale obsédante dont la passion pourtant sincère est synonyme de chaos. Elle
est l’incarnation concrète et le fil conducteur de l’expression d’un esprit
torturé et on s’étonne de la cohérence de Leonardo Di Caprio qui incarnera la
même année un personnage souffrant de la même problématique dans le formidable
Shutter Island de Martin Scorsese.
En dépit des frontières en apparence bien établies, Nolan
perturbe notre perception bien plus en amont tout au long du film. Dès la
première expérience, il nous est rappelé qu’un rêve n’a pas forcément de début
ou de fin, que le temps qui s’y écoule est totalement différent de celui de la
réalité. C’est du coup l’exact principe d’un film et de ses ellipses nous
emmenant d’un lieu/moment à un autre et qui rendra chaque transition suspecte.
Quelle différence entre les agents protecteurs du subconscient et les hommes de
mains d’entreprise nébuleuse qui traque Cobb dans la réalité ?
Certains
dialogues pourtant imprimés dans le trauma de Cobb s’avère initialement
prononcés par d’autres l’ignorant dans le film (« Don't you want to take a
leap of faith? » lancé par Saito précédent le « I'm asking you to
take a leap of faith » prononcé par Mal lors de son traumatisant suicide),
la géographie incertaine du récit et de certain personnage (Michael Caine à la
fois à Paris et aux USA et enjoignant mystérieusement à Cobb de revenir à la réalité…).
Deux perceptions et interprétations courent ainsi tout au long du film, chacune
résolue par la catharsis de Cobb lorsqu’il s’enfoncera dans les limbes de son
esprit (seul déception du film d’ailleurs on imagine mal un monde aussi commun
créé à sa guise et sans entrave par un esprit humain) enfin affronter Mal et
surmonter sa douleur. Tout d’abord la trame principale et ce happy-end idéal
qui se suffit à lui-même. Et puis l’idée que l’ensemble du film était un rêve
et que l’inception consistait à résoudre le traumatisme de Cobb et le faire
sortir du monde des rêves. Dans les deux cas, Nolan nous laisse dans une
merveilleuse expectative avec cette toupie qui tourne, tourne, prête à tomber,
ou pas… Vertigineux mais jamais prétentieux car profondément intimiste sous sa
grande machinerie, Inception est une œuvre
passionnante et la plus grande réussite de Christopher Nolan.
Sorti en dvd zone 2 français et blu ray chez Warner
Bonsoir Justin,
RépondreSupprimerCeci devrait vous intéresser, en rejoignant votre lecture d' "Inception"... :
http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/08/memento-la-memoire-dans-la-peau.html?view=classic
Bonne lecture et à bientôt !
Texte passionnant ça donne envie de revoir Memento ! C'est vrai que tout Inception est déjà là, la structure alambiquée au service d'un récit de deuil, les méandres de la mémoire comme malédiction et seul lien avec l'être aimé disparu. Le petit thriller virtuose a juste laissé place à la superproduction ambitieuse.
RépondreSupprimerOuch ! Je suis totalement passée à côté du film, moi... en éjectant mon DVD au bout de 20 minutes, tellement le côté virevoltant m'a exaspérée.... (Zhonte)
RépondreSupprimerC'est dommage d'avoir stoppé si tôt car si le côté virevoltant peut perdre devant l'énorme scène d'ouverture, le réalisateur fait tout ensuite pour nous faire efficacement assimiler les règles de cet univers de façon limpide. C'est virtuose mais toujours clair à suivre, un gros tour de force narratif. Peut être en moins pesant que Inception (mais pour le coup complètement fou et flottant comme un long rêve) je vous recommande vivement le film d'animation Paprika qui est une des grandes inspiration de Nolan pour son film. J'en parlais ici
RépondreSupprimerhttp://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2014/08/paprika-papurika-satoshi-kon-2006.html
Bel article! Moi une fois que j'ai compris je m'ennuie un peu (notamment la séquence à la james bond dans la neige)...
RépondreSupprimerHier soir en regardant le Mission Impossible de De Palma j'étais frappé de la ressemblance entre les films. Illusion, simulacre, déguisement, faux-semblants, comme un hommage au cinéma...