Lowell Bergman, célèbre
journaliste d'investigation et producteur de l'émission "60 minutes",
reçoit un dossier envoyé par un employé anonyme de Philip Morris. Y sont décrits
les méfaits de la nicotine et la dépendance qu'elle crée. Bergman contacte
Jeffrey Wigand, un scientifique travaillant pour Brown et Williamson, le troisième
fabricant de cigarettes des Etats-Unis. Ils vont ensemble faire éclater l'un
des scandales les plus retentissants de l'histoire du tabac.
Heat (1995) avait
constitué pour Michael Mann un véritable aboutissement artistique. Toutes les
recherches esthétiques ainsi que le sillon thématique du réalisateur dans
toutes ses tentatives précédentes (Le Solitaire (1981), Le Sixième Sens
(1986) au cinéma et les trois premières saisons de Deux Flics à Miami et Les
Incorruptibles de Chicago à la
télévision) trouvaient leurs plénitude avec le polar ultime que constituait Heat. Mann était bien conscient de l’impossibilité
d’aller plus loin dans son genre roi et ne reviendrait au polar qu’en 2004 avec
Collateral pour amorcer une mue
esthétique inaugurant un nouveau cycle captivant avec Miami Vice (2006) et Public
Enemies (2008). Avant cela, Mann devait se réinventer, lui qui n’avait
quitté les rives du polar qu’à deux reprises pour un échec dans le fantastique
(La Forteresse Noire (1983)) et un
grand succès avec le film d’aventure Le
Dernier des Mohicans (1992).
Avec The Insider,
Mann s’attaque ainsi au « film-dossier » avec cette illustration d’un
des plus grands scandales de santé et médiatico -financier de l’histoire
américaine contemporaine. Le scénario d’Eric Roth transpose l’article The Man Who Knew Too Much de Marie
Brenner paru dans Vanity Fair en mai
1995. On y découvrait le drame de Jeffrey Wigand, scientifique et ancien
dirigeant de Brown et Williamson, troisième fabricant de cigarette du pays.
Découvrant que ses employeurs laissaient sciemment des agents addictifs au
tabac cancérigènes dans leur produit, Wigand suite à son renvoi avait dénoncé
les faits devant la justice et dans le cadre de l’emblématique émission d’information
de CBS, 60 Minutes. Problème, la puissante
l’industrie du tabac allait tenter par l’intimidation et tous les recours
juridiques possibles de l’empêcher de parler et de le discréditer. Il lui faudrait
notamment tout le soutien de Lowell Bergman, producteur de l’émission qui
allait l’accompagner tout au long de ce combat et mettre à son tour sa carrière
en danger pour faire éclater la vérité. C’est le parcours parallèle des deux
hommes qui intéresse Mann qui signe là une œuvre d’un surprenant mimétisme à Heat.
Comme souvent chez Mann, le destin ou la malchance n’a que
peu d’influence dans le déroulement des évènements et seule compte la
détermination des hommes à atteindre leur but. On a là deux professionnels au
sommet dans leur domaine d’activité mais contrairement à Heat, leur grandeur ne se révèle pas dans un déroulement identique.
Ce sera d’abord le talent et la capacité de prise de risque de Lowell Bergman
(Al Pacino) qui sera mise en avant avec cette séquence d’ouverture le voyant
aller négocier un entretien avec chef du Hezbollah. Cet engagement et volonté
sont naturels chez lui et font partie de son métier. Mann laisse ce courage en
suspens dans la caractérisation de Jeffrey Wigand (Russell Crowe), adoptant le
point de vue de sa personnalité plus retenue et secrète. Ce courage existe en
germe en lui mais le scénario ne le révèle que progressivement, escamotant
notamment les raisons de son renvoi de Brown and Williamson au début alors que
c’était déjà à cause de son opposition à leurs agissements en interne.
Si ces
dangers sont une évidence et font partis du métier de Bergman, Wigand est
confronté à un bien plus grand dilemme moral. Sa fidélité à la compagnie et aux
clauses de confidentialités assure la sécurité financière à sa famille mais en
tant que scientifique il ne peut supporter de laisser sous silence un tel
problème de santé nationale. Le jeu nerveux d’Al Pacino s’oppose ainsi à la
retenue et l’effacement de Crowe avec un personnage habitué à capter la lumière
et un autre se faisant violence pour y accéder. La photo de Dante Spinotti
adopte ainsi des teintes qui rendent toujours plus abstraite la présence de
Wigand, quand ce n’est pas la mise en scène et les cadrages de Mann l’isolant
dans les différents décors et bien sur le jeu de Russell Crowe avec son dos
vouté, son phrasé murmuré et le teint blafard. L’acteur a poussé de façon
impressionnante la ressemblance avec le vrai Jeffrey Wigand, y compris la chevelure blanche et les costumes gris pâle
qui le fondent dans les environnements urbains métalliques du film. Tout cela
contribue à illustrer son isolement et sa solitude, y compris dans son propre
foyer où sa femme ne supportera pas la pression et la perte de ses avantages.
Chaque échanges et situation contribuera pourtant à montrer
la détermination de cet homme. Lowell Bergman n’est que le déclencheur et l’accompagnateur
d’une quête de justice qui lui est propre et pour laquelle il sera prêt à prendre
tous les risques. Michael Mann délaisse l’esthétique élégante et sophistiquée
de ses polars mais n’adopte pas encore non plus le style brut de Collateral et Miami Vice. Il en offre un habile compromis (ce sera la même chose
avec le biopic à venir Ali (2001)
avec une mise en scène entièrement soumise aux émotions de ses personnages.
Ainsi les menaces et l’intimidation de l’industrie du tabac n’a jamais été
prouvée dans la réalité mais une fois la machine enclenchée, le climat
paranoïaque et claustrophobe nous fait ressentir tout l’anxiété de Wigand.
Le
poids de la responsabilité pesant sur ses épaules s’exprimera aussi par ses
plans de grue en plongée avant son témoignage à la cour du Mississipi où il
sait que sa vie va basculer définitivement. Russell Crowe est incroyablement
subtil pour faire passer toute cette palette de sentiments, l’apaisement du
devoir accompli et l’angoisse de ce qui l’attend s’exprimant à un degré
équivalent dans son attitude après son témoignage tandis que les envolées de Lisa Gerrard renforcent cette dimension de tragédie en marche. Une épreuve qui sera de longue haleine, tout
ce qui était resté sous-jacent devenant soudainement palpable dans les risques
encourus : la solitude exprimée par la mise en scène devient concrète avec
sa femme qui le quitte, la paranoïa se justifiant par la campagne de
discrimination médiatique dont il fera l’objet. Pire, son entretien à sensation
pour 60 Minutes ne sera plus diffusé pour d’obscurs enjeux financiers liés au rachat
CBS.
Un des thèmes récurrents chez Michael Mann est la capacité d’abandon
ses héros, prêts à tout perdre pour aller
au bout de leurs idées. James Caan sacrifie son désir de famille précisément
pour la sauver dans Le Solitaire, la
traque ou l’odyssée criminelle est finalement plus forte que l’amour dans Heat. Dans Révélations, Wigand nous sera finalement apparu le plus droit et
noble par les dangers rencontrés, bien plus que celui que l’on a cru à tort être
son mentor, Lowell Bergman. Ce dernier va suivre un parcours en tout point parallèle à
Wigand et sera confronté aux mêmes interrogations. C’est la perte de ses
illusions quant aux mondes des médias, la vérité et même l’audience qu’elle
pourrait drainer se sacrifiant à de bas intérêts financiers et commerciaux.
Le
parcours initiatique de Wigand s’exprimait par la manière dont il s’estompait à
l’image sous le poids des épreuves, celui de Bergman à l’inverse par la façon dont il s'y impose par son
énergie. Al Pacino est formidable d’intensité (et a mis la pédale douce sur le
cabotinage de Heat tout en véhiculant
la même énergie) et son activité, son phrasé en ébullition s’oppose constamment
à la présence figée de ses congénères soumis et/ou corrompus pensant avant tout
à leur carrière. Mann évite tout manichéisme tout en dénonçant ces travers,
notamment avec le personnage de Mike Wallace (Christopher Plummer) prêt à
poursuivre jusqu’à une certaine limite, celle qui menace son poste, mais qui le regrettera amèrement. Malgré quelques
ellipses accélérant un peu les évènements, les procédés d’investigations, de
manipulation et de renversements médiatiques (positif comme négatif) sont
remarquablement traités par qui fait passer avec limpidité une masse énorme d’informations.
Dans tout cet imbroglio, le lien ténu et la confiance
unissant les deux héros n’est jamais perdu de vu. C’est particulièrement vrai
dans la plus belle scène du film où les personnages dialoguent par téléphone vers la
fin. Wigand brisé par la cabale médiatique semble prêt à commettre l’irréparable quand Bergman l’appelle. Des
milliers de kilomètres les séparent. La plage et l’océan entourant Bergman s’oppose
à la chambre d’hôtel exiguë et désordonnée de Wigand. Les silences lourd de
sens d’un Wigand résigné répondent aux vociférations de Bergman lui intimant de
ne pas se laisser aller. Le courage qui a failli briser l’un galvanise l’autre,
ils comprennent qu’ils ne sont pas seuls (Mann reprenant pour Pacino le type de plan large où il isolait Crowe pour renforcer le lien) et mèneront leur quête à son terme
quoiqu’il en coûte. Certainement une des plus grandes séquences de la carrière
de Mann. Constater une injustice, l’exprimer et s’aliéner de son milieu pour cela,
tel est le parcours que devra aussi effectuer Bergman. Exposer son humanité, sa
vulnérabilité est souvent source de perte irrépressible chez Mann tout au long
de sa filmographie. Al Pacino et Robert De Niro le faisaient en s’affrontant
dans Heat et l’issue ne pouvait qu’être
dramatique. Révélations exprime une idée proche mais en s’unissant dans leur
mise à nu et en servant une cause juste, Wigand et Bergman atteignent la grandeur.
Sorti en dvd zone 2 français chez Touchstone et trouvable en blu ray all zone doté de sous-titres français
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