Russie, 1744. Quand
Sophie Frédérique se marie à Son Altesse sérénissime Pierre III Fiodorovitch,
grand-duc de Russie et neveu de l'impératrice, la jeune prussienne se retrouve
prisonnière d'une union sans amour. Ambitieuse et séductrice, elle se lasse
vite du manque de panache de son mari, d'autant que le comte Alexeï puis le
capitaine Orlov tombent sous son charme. Mais lorsqu'un enfant nait, les
complots qui se trament en coulisses vont éclater au grand jour.
L’Impératrice Rouge
est la sixième et avant-dernière collaboration du mythique duo Marlene
Dietrich/Josef Von Sternberg. Les précédents films s’articulaient à la fois sur
une dimension dépaysante où une contrée, un contexte historique et/ou
dramatique servait d’écrin à une Marlene Dietrich endossant une pure présence
romanesque tour à tour maîtresse ou jouet du destin. Cette facette en partie
vulnérable de Dietrich s’estompe dans L’Impératrice
Rouge où Sternberg vise à en faire une pure figure mythologique.
Il y a cependant au départ un contraste entre le mythe de
Catherine II et l’incarnation de Dietrich à l’écran, tout comme il y en a un
entre la grandeur associée à la cour impériale russe et l’image qui nous en est
donnée. Depuis l’enfance Sophie Frédérique (incarnée enfant par Maria Riva la
fille de Marlene Dietrich) est nourrie du doux rêve d’être l’impératrice de
Russie par sa mère, ce qui façonne pour la fillette un présent contraignant et
un futur rêveur. Parallèlement les domestiques lui narrent pourtant l’historique
sanglant de la noblesse russe, l’occasion pour Von Sternberg de déployer un
livre d’image totalement décadent où défilent massacres et tortures sadiques
sur de jeunes femmes dénudées. On se souvient alors que L’Impératrice Rouge fut un des derniers films sortis avant
l’application stricte du Code Hays en cette année 1934.
Ce fossé entre le
fantasme et le réel a également cours lorsque la beauté sauvage et la présence
virile du messager le Comte Alexei (John Lodge) donne un aperçu de la cour séduisant
qui trouble la jeune femme, d’autant plus avec la description mensongère et
avantageuse qui lui est faite de son futur époux Pierre III (Sam Jaffe). L’envers monstrueux nous apparaît ainsi avec la laideur et
les attitudes dégénérées de Pierre III. Catherine pense alors reporter ses
élans romantiques sur le Comte Alexei mais celui-ci n’est qu’un pion dépravé de
plus, amant secret de la tyrannique et vieillissante impératrice Elisabeth
(Louise Dresser). Josef Von Sternberg articule bien sûr formellement cette
bascule. L’atmosphère claustrophobe de la cour se ressent par l’imagerie
expressionniste et dans un premier temps oppressante pour Catherine, où le
gigantisme rime constamment avec la monstruosité tel ce mouvement de caméra
révélant le trône de l’impératrice Elisabeth. Les portes immenses arborent une
iconographie inquiétante, les sculptures de créatures monstrueuses ornent le
palais, tout cela reflétant finalement la dépravation de la cour.
La facette mythologique de Catherine II passe uniquement par
les intertitres grandiloquents durant la première partie. Elle existe à l’écran
au fur et à mesure de l’assurance prise par notre héroïne, passant de femme-enfant
soumise à séductrice vénéneuse. Le contraste est d’ailleurs assez grand si l’on
compare L’Impératrice Rouge à Catherine de Russie de Paul Czinner (et
produit par Alexander Korda) sorti la même année. Korda joue la carte morale et
romanesque où Catherine II (jouée par Elisabeth Bergner) accède au trône par sa
pureté morale, sa conscience du destin russe et son empathie pour le
peuple. Ce peuple est quasiment absent
chez Von Sternberg qui développe lui un pur destin individuel voire
individualiste où la quête du pouvoir passe par la séduction, l’émancipation
devant tout d’abord être sexuelle. C’est donc en ayant perdue ses ultimes
illusions romantiques que Catherine fait de sa beauté non plus un objet d’oppression,
mais une arme de conquête. La bascule se fait ainsi lors de la saisissante
scène de séduction d’un garde militaire ignorant son statut, le jeu de Dietrich
et la mise en scène de Von Sternberg montre ainsi la mue se faire de la proie
au chasseur.
Au centre de l’image et objet de tous les regards dans des
tenues de plus en plus sophistiquées, c’est désormais du haut de cette nouvelle
assurance qu’elle toise ses interlocuteurs. Le ton et la construction du film
évitent tout modèle de narration classique. Pas de tension dramatique ou de
suspense quant à l’ascension de Catherine, mais simplement une attente dans l’approche
de Von Sternberg. Les évènements de sa victoire s’articulent dans les seules
dix dernières minutes, multipliant les visions grandiloquentes en fondus
enchaînés où Marlene Dietrich incarne le pouvoir ET la séduction dans cet uniforme
qui lui sied si bien. Ce mélange de faste et de profonde noirceur déplaira
pourtant fortement au public américain qui boudera le film. Il est désormais
considéré comme un classique et pour beaucoup le sommet de l’association entre
Dietrich et Von Sternberg.
Sorti en ne bluray et dvd zone 2 français chez Elephant Films
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