Dans un Japon
d'anticipation, une jeune fille dont la mère vient de mourir est recueillie par
une prostituée du nom de Glico. Elles rejoindront par la suite une troupe
d'amis vivant dans Yentown, un bidonville où se terrent les exclus...
Le succès commercial et critique de Love Letter (1995) va donner à Shunji Iwai les coudées franches
pour réaliser son film le plus ambitieux et foisonnant avec Swallowtail Butterfly. Le cinéma de
Shunji Iwai est souvent affaire de connexions. Les connexions dont il faut
accepter de se défaire ou celles qui se nouent de manière inattendue dans Love Letter (1995), celles que l’on
recherche avec une émotion fébrile avec April Story (1998), celles qui nous maintiennent vivant dans notre quotidien
sinistre pour All about Lily Chou
(2001). On trouve de tout cela dans Swallowtail
Butterfly dans une approche plus tumultueuse que l’épure habituelle du
réalisateur.
Dans un futur proche, le Japon est devenu le centre
économique du monde et y attire donc une population étrangère massive en quête
d’une existence meilleure. Une jeune fille (Ayumi Ito) vient de perdre sa seule
parente et se trouve livrée à elle-même face à l’égoïsme ambiant. Dépouillée et
ballotée entre des figures sans scrupules, sa destinée change lorsqu’elle
croise la route de la prostituée Glico (Chara). Cette dernière s’apprête à la
livrer à un sinistre proxénète avant de se raviser et de l’héberger. Cet acte
généreux et désintéressé est fondateur dans le récit, Glico chinoise émigrée
offrant un toit et un nom, Agaha, à l’adolescente désœuvrée. Là où les locaux
ont laissé leur individualisme parler, la migrante adopte Agaha (dont on ne
connaîtra jamais la nationalité si ce n’est qu’elle est née au Japon). Dès lors
notre héroïne est introduite à la communauté interlope de Yentown, bidonville à
l’écart de la ville où s’entraident tous les expatriés sans le sou.
Entre petites arnaques, débrouillardise et moments festifs,
Shunji Iwai capture chaleureusement la fraternité et la solidarité de ces
laissés pour compte. Les personnalités des uns et des autres sont aussi excentriques
qu’attachantes (le boxeur déchu Arrow) et la photographie de Noboru Shinoda
saisit cette communauté cosmopolite dans un écrin de couleurs vives. Le film
oscille entre réalisme, rêve et vrais cauchemar lorsque les ennuis s’amoncèlent.
Une suite de circonstances improbables met ainsi les héros en possession d’une
cassette dont les informations secrètes permettront de réunir la somme propice
à réaliser leurs rêves. Cependant l’histoire familiale tragique de Glico, qui
en migrant a vu mourir un frère et a perdu la trace de l’autre, annonce les
désillusions possible de cette quête de réussite lorsqu’elle n’est que
superficielle. Tant que l’objectif reste noble, le film conserve cet élan
positif et lumineux, les uns rentrant aux pays et les autres ouvrant une salle de concert, le Yentown Club.
Ce
lieu se doit d’être à leur image métissée et Shunji Iwai l’illustre de diverses
manières. Une scène brillante introduit un américain né au Japon, déchiré entre
cette filiation dont il ne connaît même pas la langue et ce pays où il reste
considéré comme un étranger. Les Yentown et leurs origines exotiques ne peuvent
qu’être sa nouvelle maison, cela passant par l’image et le son. Le moment
fondateur est donc celui où Glico déploie ses aptitudes de chanteuse sur un
morceau emblématiquement traditionnel (My
way de Frank Sinatra), jouée par américano-japonais dans une orchestration
revisitée et improvisée. Cette mue se fait sur un morceau également métissé
dans sa composition (écrit par Claude François avant de devenir un hymne
mondial par la relecture de Paul Anka et l’interprétation de Sinatra) et hautement
symbolique dans son choix. Malheureusement le carriérisme et donc le retour de
l’individualisme va scinder le groupe et fait surgir les ennuis.
Shunji Iwai se déleste grandement de l’épure intimiste et contemplative
qu’on lui connaît pour une œuvre tout en rupture de ton. L’identité formelle
est bariolée et oscille pour les moments de polar entre le film de yakuza
déjanté (le règlement de compte dans un restaurant avec ses éclairages baroques
et ses écarts brutaux sonne comme du Takashi Miike avant la popularité de ce
dernier), film de gang américain, polar Hongkongais et une inspiration sud-américaine dans les
tenues folkloriques des malfrats. Nous voguons dans le conte moderne
où la violence peut se faire outrancière, grandiloquente, entre le risible et
le tragique. Nos personnages échappent au pire de façon totalement improbable
par instant (la confrontation finale avec le gang surarmé) et y succombe aussi
dans une tragédie aussi sordide qu’austère (le sort du malheureux Fei Hong).
Iwai abandonne sa ligne claire habituelle pour une esthétique chargée tant dans
les moments inquiétants (la caméra flottant lors de la traversée d’Opium Street,
la Chine sous implantation anglaise du 19e semblant être une autre
inspiration, tout comme le côté grouillant de mégalopoles futuristes à la Blade Runner) que les instants de grâce. La scène de tatouage d’Agaha est un
magnifique passage suspendu où la rêverie se dispute au souvenir dans un
éclairage baigné d'un filtre mauve.
Le melting-pot est également celui des langues dans le film
où l’on parle japonais, anglais, mandarin ou cantonais. Shunji Iwai n’épargne
pas la mentalité insulaire et parfois raciste du Japon envers les étrangers et
plus spécifiquement les démunis venus chercher fortune chez eux – l’analogie
pouvant concerner ce que l’on sait du traitement des coréens installés au Japon
dans les quartiers populaires. Swallowtail
Butterfly est donc la quête d’une harmonie collective et solidaire, où les
personnages se seront perdus en pensant qu’elle passait par la seule réussite
matérielle. C’est le fil rouge du film à la fois dans la trame principale mais
aussi par les captivants parallèles entre des protagonistes qui ne se
croiseront jamais (Glico et son frère Ryo Ranki (Yōsuke Eguchi)). Une nouvelle
réussite pour Shunji Iwai qui montre là un registre bien plus vaste avec cette
superbe fresque.
Sorti en bluray japonais et doté de sous-titres anglais
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