Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 7 juin 2019

April Story - Shigatsu monogatari, Shunji Iwai (1998)


Uzuki quitte Hokkaido pour intégrer une prestigieuse université à Tokyo : jeune femme réservée par nature, Uzuki va néanmoins tenter de s'intégrer au monde étudiant, et à la vie quotidienne tokyoïte en général. Pour cela elle dispose d'un atout de choc et de charme : un sourire irrésistible, distillant bonne humeur et rayons de soleil... même sous les pluies les plus difficiles.

Shunji Iwai avait enchanté avec l’univers singulier, envoutant et enchanteur de ses premiers films. Cependant pour imposer sa patte il devait y passer par une forme de grandiloquence, que ce soit à travers la trame alambiquée de l’inaugural Love Letter (1995), le postulat extravagant de Picnic (1996) ou la fresque ambitieuse de Swallowtail Butterfly (1996). Avec April Story, Shunji Iwai trouve à son tour la formule magique du Chungking Express de Wong Kar Wai, celle du récit modeste et épuré au charme infectieux qui dissimule brillamment sa profondeur.

Le postulat est des plus simples, la jeune Uzuki (Takako Matsu) quitte son Hokkaido natal pour Tokyo où elle doit intégrer une prestigieuse université. On suit donc toutes les étapes de cette nouvelle vie, le déménagement puis l’installation dans l’appartement étudiant, les premiers pas hésitants dans la vie universitaire, la découverte du quotidien tokyoïte. La réalité des situations rencontrées trouve un contrepoint dans l’atmosphère éthérée que Shunji Iwai confère au récit. La photo de  Noboru Shinoda nous baigne dans un voile diaphane aux couleurs pastel qui fait des instants les plus banals un pur rêve éveillé : une ballade en vélo dominicale, la flânerie dans une librairie. Les volutes de piano de la bande-son participent à cet équilibre délicat entre ravissement et mélancolie sur fond de cerisiers en fleurs printaniers. La tonalité flottante n’adoucit cependant pas les difficultés de ce nouveau cadre à apprivoiser, cette université immense où il faut se situer tant géographiquement que dans son rapport aux autres. 

Une scène de présentation place l’introvertie Uzuki face aux regards et moqueries gentilles des autres, les amitiés superficielles sont capturées avec subtilité lorsque notre héroïne intégrera le club de pêche. Le spleen urbain ordinaire se ressent aussi avec brio, dans les liens que l’on cherche à nouer (les scènes avec la voisine) et ceux que l’on cherche à éviter lors d’une fâcheuse rencontre dans une salle de cinéma. Quiconque a connu le déracinement de sa région pour poursuivre ses études dans « la grande ville » ressent avec une rare empathie les premiers pas hésitants d’Uzuki. Takako Matsu, pratiquement de tous les plans, nimbe de sa présence lumineuse et fragile le film. Shunji Iwai saisit avec pudeur le moindre sourire gêné, la gestuelle gauche et les regards fuyant de la jeune fille où se reconnaîtront tous les grands timides – là aussi difficile de ne pas penser à la Faye Wong de Chungking Express en plus introvertie. 

La candeur d’Uzuki émeut et trouble, la mélancolie et le ravissement se disputant lors des deux séquences où elle cherche à nouer contact avec sa voisine. Se heurtant à une politesse froide la première fois, Uzuki sort du cadre en plan fixe pour laisser l’image du palier vide qui renvoie à cette distance des relations sociales en ville. La seconde tentative montre une bascule lorsque la voisine décide de répondre à l’invitation, les teintes ternes de l’appartement d’Uzuki laissent place à des teintes chromatiques plus délicatement chaleureuse pour accompagner le ravissement du sourire d’Uzuki enfin en bonne compagnie. 

Cette tonalité de simple tranche de vie est déjà un enchantement en soi même si le film semble dénué de vrai fil narratif. Mais il suffira d’une question pour tout faire basculer. Avais-tu un petit ami dans ta région ? Tout le contour cotonneux et fragile du film n’était pas là pour nous immerger dans un rêve, mais à la poursuite d’un rêve. Un rebondissement jette une nouvelle perspective à certains des éléments les plus insignifiants qui ont précédés comme la fréquentation assidue de cette libraire et des renseignements qu’y demande Uzuki. Love Letter nous invitait à garder le précieux souvenir des amours adolescentes mais aussi à savoir s’en détacher. 

April Story en reste à l’émerveillement des premiers pas amoureux (avril mois de rentrée scolaire au Japon signifiant ce renouveau) et autorise à s’y raccrocher encore. Quand les moments ensoleillés accentuait la solitude d’Uzuki, la merveilleuse scène d’averse finale la lie enfin à cette ville, mais aussi et surtout à sa quête. Un petit bijou qui en raconte concrètement peu, mais qui en dit tant, chef d’œuvre !

Sorti en dvd all zone japonais (avec sous-titres anglais) chez Dawoori 

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