Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 25 mai 2010

Chungking Express - Chong qing sen lin, Wong Kar Wai (1994)


L'histoire de deux flics lâchés par leur petite amie. Le matricule 223, qui se promet de tomber amoureux de la première femme qui entrera dans un bar à Chungking House, où il noie son chagrin. Le matricule 633, qui chaque soir passe au Midnight Express, un fast-food du quartier de Lan Kwai Fong, acheter à la jolie Faye une salade du chef qu'il destine à sa belle, une hôtesse de l'air.


Le romantisme et la nostalgie sont les deux sentiments qui guident les plus beaux films de Wong Kar Wai. Le réalisateur n’illustre la romance que sous l’angle de la mélancolie qu’il se plaît à figer dans un passé fantasmé et fétichisé (les 60’s de Nos années sauvages (1990) et In the Mood for love (2000)), des genres revisités (le film de sabre des Cendres du temps (1994), celui de kung-fu dans The Grandmaster (2013)) ou même son propre imaginaire avec le fascinant 2046 (2004).  Lorsqu’il daigne filmer l’amour dans son immédiateté, cela donnera le fiévreux Happy Together (1997) finalement parsemé de ruptures et de retrouvailles. Le sentiment amoureux ne s’incarne le plus souvent que dans le regret de ce qui fut ou de ce qui aurait pu être pour Wong Kar Wai. Cette idée va s’incarner de façon positive dans son film le plus conceptuel, lumineux et attachant de sa filmographie. Avec Chungking Express, cette nostalgie de l’amour disparu se guérira par l’exaltation de celui naissant et espéré.


Engoncé dans la lourde logistique de son film de son film de sabre Les Cendres du temps, Wong Kar Wai doit faire face à une énième interruption de tournage. Chungking Express fait donc figure de récréation avec un tournage modeste dont le seul but est de lui redonner le plaisir de filmer. Comme souvent il s’attache à un lieu avec le quartier de Lan Kwai Fong à Hong Kong, théâtre d’une variation sur le même thème avec deux récits jumeaux : un policier en proie au chagrin d’amour retrouve la flamme par une nouvelle rencontre. Ce sera d’abord l’ombre avec le couple improbable constitué de Takeshi Kaneshiro et Ling Ching Hsia. L’esthétique donne dans des fulgurances stylisées capturant un Hong Kong grouillant et cosmopolite en suivant les activités louches de Ling Ching Hsia. Les effets de dilatations et d’accélérations, la caméra à l’épaule et la photo naturaliste de Christopher Doyle magnifie l’urbanité nocturne où qu’arpente Ling Ching Hsia. Elle s’oppose au réalisme ambiant par cette présence mystérieuse et iconique dont les atours (perruque blonde, lunettes noires et gros imper) masquent autant la vraie apparence que les sentiments. A l’inverse c’est le spleen introspectif qui domine avec un inconsolable Takeshi Kaneshiro. Les traits juvéniles, la voix-off naïve et les idées ludiques (le défis des trente boites d’ananas périmées, sa manière singulière de tomber amoureux de Ling Ching-hsia) pour montrer sa détresse l’entoure d’une facette poétique très attachante. Lorsqu’ils se rencontrent enfin, Wong Kar Wai joue à la fois du côté papier glacé de Ling Ching Hsia que de la candeur de Kaneshiro, les non-dits et la musique jazzy amenant l’intimité et la promiscuité. Lasse de courir, elle peut enfin s’abandonner sur son épaule. Las de se morfondre il trouve un nouvel objet d’affection. L’unité de temps rend cette brève rencontre la rend d’autant plus fugitive mais le jour levé tout a changé. En exposant furtivement ses failles, elle peut s’évaporer débarrassée de ses artifices et lui est revigoré et prêt à reprendre le cours de sa vie.

La seconde histoire donne dans un charme plus immédiat. Cette fois, c’est Tony Leung Chiu Wai, fraîchement largué, qui va voir débouler l’ouragan Faye Wong dans sa vie. Quand  le premier récit jouait de l’immédiateté et du hasard pour la convergence d’une rencontre inattendue, c’est la répétitivité des situations, de la bande-son (California Dreamin’ des Mamas and Papas en boucle) et des habitudes qui éveillent le sentiment amoureux. Des idées narratives brillantes (le changement de menu progressif de Tony Leung laissant deviner son célibat) accompagne une mise en scène s’amusant une nouvelle fois de la candide et du meurtri. Wong Kar Wai introduit Faye Wong de façon presque anonyme avant de la figer en un plan fixe, une façon d’isoler le personnage tout en exprimant sa timidité.

 
Elle observe et s’intéresse à distance au mal-être de son client, s’effaçant sous son côté enjoué ou carrément à l’image. Le réalisateur multiplie les plans en amorce à travers une vitre, du fond du bar ou en faisant le ménage elle trépigne secrètement d’amour. Cette grande sœur d’Amélie Poulain ne peut se déclarer que secrètement, en changeant la vie de son aimé par l’intrusion dans son quotidien. Porté par une actrice solaire, Wong Kar Wai nous plonge dans une charmante béatitude lorsque Faye Wong s’immisce en douce chez Tony Leung pour arranger son appartement à son insu. L’attente envoute autant que l’espérance de la rencontre et déclaration, mais sous un jour bien plus chaleureux que la retenue douloureuse de In the Mood for Love.

Impossible pour le spectateur de ne pas tomber amoureux de Faye Wong éblouissante de fraîcheur et de spontanéité – sa réaction lorsque Tony Leung lui rapportera son cd, preuve qu’elle est démasquée. On espère et craint avec elle d’être remarqué, on s’amuse de son influence secrète et la jubilation baigne même la bande-son qui laisse voir ses talents de chanteuse (sa profession initiale) le temps d’une belle reprise cantonaise du Dreams des Cranberries. Le film transpire la fougue juvénile et trouve même cette patte nostalgique si particulière à Wong Kar Wai par ses éléments ancrés dans les 90’s (les pagers, les boîtes vocales à consulter…) tout en saisissant avec une acuité idéale le Hong Kong de l’époque (et son architecture improbable de Hong Kong comme personne avec la fenêtre de Tony Leung donnant sur un escalator).


Une fois de plus la romance reste chaste et platonique (hormis les flashbacks avec l’hôtesse de l’air), la première histoire jouant sur le souvenir et la seconde sur l’attente. Quoi de plus douloureux qu’une passion perdue, quoi de plus enivrant qu’un amour espéré ? Chungking Express est le grand film des rêveurs romantiques plutôt que celui des amoureux, à l’image de son réalisateur.


Trouvable facilement en dvd zone 2 et ressortie récemment en Blue ray

Un des plus beaux moments du film



Autre joli moment Faye Wong démasquée !



*Les reprises de tubes pop anglo saxon en cantonais sont fréquents chez Wong Kar Wai, dès As Tears Go By on avait droit à une savoureuse version du Take My breath away, ou encore Karma Koma dans Les Anges Déchus.

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