Roméo et Juliette
transposé à New York de nos jours, les héros : Tony, dix-sept ans, frère d'un
chef de bande de Little Italy, et Tyan, dont le frère travaille pour le caïd de
Chinatown. Pour conserver leur amour, Tony et Tyan vont tenter de réconcilier
les deux familles au péril de leur vie.
Abel Ferrara avait échoué (du moins commercialement) à se
fondre dans le moule hollywoodien avec New
York, deux heures du matin (1984) et allait végéter à la télévision les
deux années suivantes, signant pour son ami Michael Mann des épisodes de Miami Vice et Crime Story. China Girl
est donc une forme de seconde chance pour le réalisateur qui retrouve sa chère
urbanité new-yorkaise dans une œuvre qui croise l’urgence des débuts et les
moyens de son film précédent. Le film revisite Roméo et Juliette dans le
New-York des années 80 et s’inscrit dans l’idée de relecture moderne déjà à l’œuvre
dans West Side Story de Robert Wise
(1961).
Les 15 premières minutes sans dialogues constituent un idéal
de cinéma pur, transcrivant par les mots tous les enjeux du film. Un restaurant
chinois ouvre en plein Little Italy sous le regard désabusé de la communauté
locale qui voit sa spécificité disparaître face au melting-pot. La scène
suivante montre pourtant la beauté possible de ce mélange lorsque Tony (Richard
Panebianco) et Tye (Sari Chang) échangent regards puis pas de danse amoureux
dans un club. Ferrara les isole d’abord en capturant cette intimité amoureuse
en plan serré, puis les isole à nouveau mais en en faisant des parias isolés au
centre de la piste de danse face au regard haineux des petites frappes
chinoises. La porosité entre les deux mondes se traduit d’ailleurs également
par la haine lorsque les chinois hésitent puis traversent la fameuse frontière
entre Little Italy et Chinatown pour traquer Tony.
L’antagonisme des communautés vient à la fois de ce qu’elles
amènent de leur culture aux Etats-Unis, mais également de ce qu’elles y
trouvent. Les amoureux représentent une jeunesse ouverte et fragile face à des
traditions patriarcales renvoyées dos à dos à travers le machisme et la
déférence aveugle à son camp. Ces modèles n’ont pourtant plus cours car les
puissants des deux communautés unissent leur force pour s’enrichir et dominer
les faibles sans distinction, dans un cynisme tout capitaliste et américain.
Les démunis se battent moins contre l’autre que contre la soumission (de leur
pairs chez les chinois comme les italiens), l’exclusion raciste (les chinois)
et la peur de disparaître qu’ils subissent. Abel Ferrara développe dans un
parallèle limpide ces enjeux sociaux à la veine romanesque du récit et de purs
éléments de polar dans un savant équilibre entre lyrisme et réalisme.
Il
réussit là où avait échoué Walter Hill dans Les Rues de feu (1984) en façonnant une œuvre profondément marquée 80’s mais
qui ne se résume pas à cet apparat grâce à cette contextualisation dramatique
marquée. Ferrara en greffant tous ces questionnements à ce fil rouge romantique
évite également la lourdeur et le discours ambigu de L’Année du dragon (1985) qui traitait du même sujet.
Le discours brutal et les actes violents sont l’apanage des
dominants et ceux qui aspirent à l’être (les chinois reproduisant le racket « protecteur »
des triades) quand à l’inverse les silences entendus, les jeux de regards et
gestes tendres définissent la relation entre Tony et Tye – la maladresse des deux
jeunes acteurs en devient d’autant plus touchante, l’émotion passant par leur
alchimie et photogénie.
Ferrara use du dialogue pour montrer les esprits
obscurcis par la haine et passe par la mise en scène pour montrer une réalité
cruelle (toutes les séquences où l’on observe à distance l’union sacrée entre
mafieux chinois et italien, la police montée qui renvoient chacun à son
quartier lors d’un moment clé). L’hyperréalisme et le baroque s’entremêlent
dans l’approche du réalisateur qui capture le grouillement urbain et la mixité
des lieux qu’il filme (sans la « triche » d’une reconstitution dont
usait par moments Cimino dans L’Année du
dragon), non sans développer une emphase dramatique dans les mouvements de
caméra (le plan final des amoureux évidemment via un sublime mouvement de grue)
et la photo stylisée de Bojan Bazelli sur certains éclairs de violence. Une belle
réussite qui sur le fond engagé comme sur la forme toute personnelle, annonçait
le sommet à venir de The King of New York
(1990).
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez ESC
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