Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 20 octobre 2019

China Girl - Abel Ferrara (1987)


Roméo et Juliette transposé à New York de nos jours, les héros : Tony, dix-sept ans, frère d'un chef de bande de Little Italy, et Tyan, dont le frère travaille pour le caïd de Chinatown. Pour conserver leur amour, Tony et Tyan vont tenter de réconcilier les deux familles au péril de leur vie.

Abel Ferrara avait échoué (du moins commercialement) à se fondre dans le moule hollywoodien avec New York, deux heures du matin (1984) et allait végéter à la télévision les deux années suivantes, signant pour son ami Michael Mann des épisodes de Miami Vice et Crime Story. China Girl est donc une forme de seconde chance pour le réalisateur qui retrouve sa chère urbanité new-yorkaise dans une œuvre qui croise l’urgence des débuts et les moyens de son film précédent. Le film revisite Roméo et Juliette dans le New-York des années 80 et s’inscrit dans l’idée de relecture moderne déjà à l’œuvre dans West Side Story de Robert Wise (1961).

Les 15 premières minutes sans dialogues constituent un idéal de cinéma pur, transcrivant par les mots tous les enjeux du film. Un restaurant chinois ouvre en plein Little Italy sous le regard désabusé de la communauté locale qui voit sa spécificité disparaître face au melting-pot. La scène suivante montre pourtant la beauté possible de ce mélange lorsque Tony (Richard Panebianco) et Tye (Sari Chang) échangent regards puis pas de danse amoureux dans un club. Ferrara les isole d’abord en capturant cette intimité amoureuse en plan serré, puis les isole à nouveau mais en en faisant des parias isolés au centre de la piste de danse face au regard haineux des petites frappes chinoises. La porosité entre les deux mondes se traduit d’ailleurs également par la haine lorsque les chinois hésitent puis traversent la fameuse frontière entre Little Italy et Chinatown pour traquer Tony.

L’antagonisme des communautés vient à la fois de ce qu’elles amènent de leur culture aux Etats-Unis, mais également de ce qu’elles y trouvent. Les amoureux représentent une jeunesse ouverte et fragile face à des traditions patriarcales renvoyées dos à dos à travers le machisme et la déférence aveugle à son camp. Ces modèles n’ont pourtant plus cours car les puissants des deux communautés unissent leur force pour s’enrichir et dominer les faibles sans distinction, dans un cynisme tout capitaliste et américain. Les démunis se battent moins contre l’autre que contre la soumission (de leur pairs chez les chinois comme les italiens), l’exclusion raciste (les chinois) et la peur de disparaître qu’ils subissent. Abel Ferrara développe dans un parallèle limpide ces enjeux sociaux à la veine romanesque du récit et de purs éléments de polar dans un savant équilibre entre lyrisme et réalisme.

Il réussit là où avait échoué Walter Hill dans Les Rues de feu (1984) en façonnant une œuvre profondément marquée 80’s mais qui ne se résume pas à cet apparat grâce à cette contextualisation dramatique marquée. Ferrara en greffant tous ces questionnements à ce fil rouge romantique évite également la lourdeur et le discours ambigu de L’Année du dragon (1985) qui traitait du même sujet.
Le discours brutal et les actes violents sont l’apanage des dominants et ceux qui aspirent à l’être (les chinois reproduisant le racket « protecteur » des triades) quand à l’inverse les silences entendus, les jeux de regards et gestes tendres définissent la relation entre Tony et Tye – la maladresse des deux jeunes acteurs en devient d’autant plus touchante, l’émotion passant par leur alchimie et photogénie.

Ferrara use du dialogue pour montrer les esprits obscurcis par la haine et passe par la mise en scène pour montrer une réalité cruelle (toutes les séquences où l’on observe à distance l’union sacrée entre mafieux chinois et italien, la police montée qui renvoient chacun à son quartier lors d’un moment clé). L’hyperréalisme et le baroque s’entremêlent dans l’approche du réalisateur qui capture le grouillement urbain et la mixité des lieux qu’il filme (sans la « triche » d’une reconstitution dont usait par moments Cimino dans L’Année du dragon), non sans développer une emphase dramatique dans les mouvements de caméra (le plan final des amoureux évidemment via un sublime mouvement de grue) et la photo stylisée de Bojan Bazelli sur certains éclairs de violence. Une belle réussite qui sur le fond engagé comme sur la forme toute personnelle, annonçait le sommet à venir de The King of New York (1990). 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez ESC

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