L'histoire se déroule dans la banlieue de Milan. Nullo
(Giuliano Gemma) et Carmela (Stefania Sandrelli) sont tous deux ouvriers dans
la même usine. Nullo vient du Nord de l'Italie, ses parents sont communistes et
non-croyants, tandis que Carmela est originaire de Sicile et vient d'un milieu
catholique. Arrivée à Milan avec sa famille, ils vivent ensemble dans un
quartier misérable. Alors que naît un amour entre Carmela et Nullo, celui-ci va
se heurter à de multiples contradictions, familiales et culturelles.
Un vrai crime d’amour est pour Luigi Comencini la pièce centrale d’un triptyque de films où s’exprime avec force sa veine sociale. L’Argent de la vieille (1972) et Mon dieu commentsuis-je tombée si bas ? (1974) explore ainsi un panel d’inégalités sociales et de mœurs mues par des particularismes tant politiques que régionaux de l’Italie, où le conflit est autant dû à la tyrannie des dominants qu’au conditionnement des dominés. Un vrai crime d’amour retrouve de nombreux éléments de ces deux films à travers une fable ouvrière plus explicitement dramatique et qu’en premier lieu on comparera volontiers à La Classe ouvrière va auparadis d’Elio Petri (1971) dont l’intrigue se déroule aussi en grande partie dans une usine – et dont Comencini emprunte l’écrivain engagé Ugo Pirro au scénario. Cependant si chez Elio Petri cet espace de l’usine atrophiait par la répétitivité d’un travail fastidieux la volonté et le libre-arbitre des travailleurs, pour Comencini cette soumission se joue en amont par la force d’une société aux mutations contradictoires.
Nullo (Giulano Gemna) et Carmela (Stefania Sandrelli) sont
deux ouvriers d’une usine de la banlieue milanaise qui vont tomber amoureux
l’un de l’autre. Les soubresauts de leur romance viendront donc autant du
contexte oppressant de l’usine que du bagage social et idéologique qu’ils y
apportent avec eux. Le personnage de Carmela est particulièrement
représentative de cela, jeune femme sicilienne forcée de migrer avec sa famille
de son sud démuni vers un nord où l’on survit plus que l’on ne vit en se tuant
à la tâche. Ce déracinement est certes douloureusement économique au quotidien
(les furtifs aperçus de la demeure exiguë et des conditions sanitaires
déplorables) mais c’est surtout la confrontation entre les préceptes archaïques
de son éducation sicilienne et la mentalité moderne de son nouvel environnement
qui frappe - les scènes de vestiaires où les corps féminins se dénudent sans
fard et où le langage se fait cru pour parler des hommes.
On prend d’abord les
attitudes de séduction contradictoires de Carmela pour de la coquetterie avant
de comprendre qu’elles ne relèvent que des entraves de son milieu. La rencontre
avec Nullo se fait ainsi tout du long en le rabrouant gentiment avant au final
de lui avouer être amoureuse de lui depuis longtemps. Si ce comportement
possède le charme trivial du marivaudage, il va devenir de plus en plus
pathologique par la suite avec ces mêmes revirements entre acceptation puis
rejet. La peur comme la méconnaissance du jeu amoureux guident ce va et vient
entre maladresse (lorsqu’elle s’invente un fiancé) et audace (une invitation à
Nullo dans les toilettes de l’usine), mais c’est avant tout la schizophrénie du
monde qui l’entoure qu’elle fait sienne.
Comencini fait culminer cette dichotomie dans les
rapprochements les plus tendres comme les séparations les plus brutales. Ainsi
lors de la première étreinte avec Nullo, Comencini montre longuement Carmela se
déshabiller, enlevant les multiples couches de vêtements qui symboliquement
l’entravait. Le réalisateur usait de ce motif pour une métaphore similaire dans
Mon dieu comment suis-je tombé si
bas ? où l’étirement de la scène avait également des vertus comiques. C’est
ici la libération, l’effort et l’excitation de la jeune femme que cherche à
traduire Comencini qui accompagne avec tendresse et sensualité ce premier
rapport charnel du couple. L’action peut cependant être tout aussi
inconséquente et inattendue pour à l’inverse rentrer dans le rang quand Carmela
niera ses fiançailles avec Nullo par peur de son frère. Le personnage ne sait
où se situer, que ce soit par la position incertaine de sa condition féminine
ou par celle explicitement méprisée de son statut social d’ouvrière, mais avant
tout de « bouseuse » sudiste comme se plaisent à lui rappeler de
nombreuses situations et remarques désobligeantes.
Nullo est une figure bien plus équilibrée mais qui observe également
le grand écart entre la tradition engagée et communiste de sa famille avec un
confort bourgeois grandissant (la traversée de la zone HLM améliorée où les
infrastructures locales poussent de toute part preuve de son expansion) et
surtout les préjugés méprisants qui en découlent lorsqu’il leur annonce être
amoureux d’une sicilienne. Les deux personnages doivent affronter leur milieu
respectif pour s’unir, l’un est armé pour de par la liberté que confère son
statut d’homme tandis que l’autre jongle avec les avancées du monde extérieur
et la tradition méridionale de son cercle intime. Une brillante scène de
réunion du Parti Communiste l’illustre avec véhémence avec une camarade
dénonçant l’hypocrisie des belles paroles de liberté à l’usine et un patriarcat
qui perdure dès que l’on en sort.
Les personnages n’ayant pu se construire en amont, ils en
deviennent des proies facile à exploiter au sein de l’usine. Comencini ne
façonne pas une figure patronale tyrannique et toute-puissante, mais plutôt une
machine apte à user des failles des ouvriers pour les plier à sa volonté dans
une logique impersonnelle et implacable. L’illusion d’une bienveillance de
façade existe par les attentions stériles (la ration de lait qui n’empêchera
pas les travailleuses de s’intoxiquer aux gaz de l’usine) et la bonhomie qu’affiche
la patron de l’usine, mais ce n’est que pour mieux nous soumettre. Lorsque l’on
parvient à tourner le dos aux manœuvres trop visibles, ce sont nos désirs qui
nous perdent puisque c’est précisément pour rester proche de Nullo que Carmela
persistera à travailler aux fours qui lui coûteront sa santé. Ce mensonge, cet
assujetissement au service du profit s’étend finalement à toute la grisaille de
cette cité grisâtre et cotonneuse. On renonce à ses racines, convictions, pour
finir plus brisé qu’au départ, à l’image de ce Milan qui s’enlise dans la
pollution industrielle par volonté d’expansion économique – Comencini se montrant
précurseur par cette préoccupation écologique lors d’une scène où l’on observe
un fleuve jonché de détritus.
Tous le film est porté par cette forme de fatalité dont la
romance (dont le tragique est annoncé dès l’ouverture en flashback) constitue
le point d’accroche émotionnelle central. Stefania Sandrelli est tout
simplement bouleversante de vulnérabilité et Giulano Genma surprend
magnifiquement dans cette interprétation sensible très éloignée de son registre
musclé (polar, western spaghetti) habituel. Le désenchantement, le pessimisme
et la noirceur du cinéma italien des années 70 a rarement été aussi bien porté
que par ce Vrai crime d’amour, grand
Comencini.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
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