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mardi 29 octobre 2019

Full Moon in New York - Ren zai Niu Yue, Stanley Kwan (1989)

Stanley Kwan est souvent qualifié de George Cukor hongkongais pour sa prédilection du portrait de femme sensible et subtil dans ses meilleurs films. Cette facette s'exprime toujours par un équilibre habile entre questionnement intime et une réflexion plus vaste sur la culture et l'identité chinoise. Ce féminisme s'inscrira ainsi dans un voyage historique, sensible et nostalgique dans le biopic Center Stage (1990). La dimension sociale se croise à la romance et au surnaturel dans le superbe Rouge (1986) et cela s'inscrit en filigrane dans les récits feutrés et contemporains de Women (1985) ou Love unto waste (1986). Full Moon in New York creuse cette dernière veine et l'argument qui permet de dresser les différents portraits féminins reposera sur le déracinement.

On suit trois protagonistes asiatiques exilées à New York avec les hongkongaises Jiau (Maggie Cheung), Chao Hong (Siqin Gaowa) et la taiwanaise Wang (Sylvia Chiang). Chacune d'elle vit donc un déchirement à la foi intime et culturel dans leur identité profonde, partagée entre la tradition chinoise et la culture de leur terre d'accueil. Stanley Kwan illustre cela progressivement, des situations grossières révélant peu à peu un mal être plus complexe. Jiau exprime ainsi une volonté de réussite ardente, une self-made woman intransigeante dont le caractère bien trempé d'origine peut ressurgir à tout moment (hilarante scène où elle enlève en pleine rue sa chaussure pour corriger un passant trop désinvolte, une autre où l'on voit les superstition locale encore vivaces chez elle). Chao Hong est une migrante ayant épousé un hongkongais assimilé américain, et Stanley Kwan appuie la méconnaissance de ce nouveau monde qui l'entoure par sa gaucherie décalée (là aussi l'introduction l'amène de façon amusée avec cette cérémonie de mariage où elle ne sait comment découper un gâteau). Enfin Wang fille d'un farouche militant anticommuniste exilé, semble avoir totalement rejetée sa culture pour se fondre dans une vie bohème tant dans sa carrière d'actrice que sa vie sentimentale agitée.

La remarquable séquence du restaurant réunit les trois héroïnes et c'est bien ces contradictions entre tradition et modernité (interrogation entre ce que l'on est et ce que l'on pourrait devenir) qui amène une dispute puis une complicité rieuse (on passe d'un débat sur la cuisine chinoise à un fou rire sur l'expression "un ange passe" incompréhensible pour Chao Hong à l'anglais encore rudimentaire). La culture américaine peut constituer une ouverture ou un dangereux déni de soi pour Chao Hong dans son couple où elle est rabaissée dans une forme de tradition patriarcale chinoise, mais aussi dans une forme de mépris et d'arrogance typiquement américain. Son désir d'amener sa mère aux Etats-Unis vivre avec elle s'oppose ainsi au mode de vie moderne voulut par son mari où ces traditions de coexistence générationnelles n'ont plus court - le rejet de la plaque familiale traditionnelle chinoise de 'époux étant un moment de bascule.

La réussite matérielle est une façon de fuir sa sexualité lesbienne pour Jiau, l'ouverture de sa terre d'accueil sur le sujet jurant avec les attentes traditionnelles de son entourage lui proposant des prétendants masculin. Stanley Kwan semble d'ailleurs avoir à cœur de souligner que ce sont les gens plus que la culture qui suscite cette dichotomie pour les personnages, notamment au détour d'un dialogue où l'on évoque les éléments ayant trait à l'homosexualité qui traverse l'histoire chinoise (tout cela se trouvant plus profondément développé plus tard dans le documentaire Yang ± Yin: Gender in Chinese Cinema (1995) et le film Lan Yu (2001). Enfin Wang tout en semblant renier ses origines y est constamment ramenée notamment dans sa volonté contrariée de devenir actrice (un metteur en scène osant lui demander comment une taïwanaise peut penser jouer Lady Macbeth).

Les obstacles se posent quand les héroïnes essaient de se fondre dans un ensemble, de fuir ce qu'elles sont pour s'inscrire dans une norme, celle de leur asile américain ou leur foyer chinois. Cela donnera quelques scènes poignantes notamment celle où Jiau se force à entreprendre un prétendant masculin face à sa maitresse, un élan factice qui exprime une profonde détresse magnifiquement exprimée par Maggie Cheung. A l'inverse la promiscuité libère et cette tradition ravive la solidarité plutôt que les carcans de la culture profonde des personnages lorsque, venues dîner dans le restaurant de Jiau, Chao Hong et Wang s'exilent dans les cuisines pour partager un moment chaleureux et fraternel.

Tout le film avance ainsi entre un spleen urbain et existentiel profond oscillant avec des élans volontaires, rieurs et un peu désespérés. Cette impasse se ressent parfaitement dans la belle conclusion sur les toits ou notre trio cède à la beuverie, le bonheur se disputant à l'anxiété quant à l'avenir. Un panoramique final sur l'urbanité new yorkaise vue des hauteurs au petit matin exprime alors bien cet horizon aussi prometteur qu'incertain.

Sorti en dvd hongkongais 

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