Stanley Kwan est souvent qualifié de George Cukor hongkongais pour sa
prédilection du portrait de femme sensible et subtil dans ses meilleurs
films. Cette facette s'exprime toujours par un équilibre habile entre
questionnement intime et une réflexion plus vaste sur la culture et
l'identité chinoise. Ce féminisme s'inscrira ainsi dans un voyage
historique, sensible et nostalgique dans le biopic Center Stage (1990). La dimension sociale se croise à la romance et au surnaturel dans le superbe Rouge (1986) et cela s'inscrit en filigrane dans les récits feutrés et contemporains de Women (1985) ou Love unto waste (1986). Full Moon in New York creuse cette dernière veine et l'argument qui permet de dresser les différents portraits féminins reposera sur le déracinement.
On
suit trois protagonistes asiatiques exilées à New York avec les
hongkongaises Jiau (Maggie Cheung), Chao Hong (Siqin Gaowa) et la
taiwanaise Wang (Sylvia Chiang). Chacune d'elle vit donc un déchirement à
la foi intime et culturel dans leur identité profonde, partagée entre
la tradition chinoise et la culture de leur terre d'accueil. Stanley
Kwan illustre cela progressivement, des situations grossières révélant
peu à peu un mal être plus complexe. Jiau exprime ainsi une volonté de
réussite ardente, une self-made woman intransigeante dont le caractère
bien trempé d'origine peut ressurgir à tout moment (hilarante scène où
elle enlève en pleine rue sa chaussure pour corriger un passant trop
désinvolte, une autre où l'on voit les superstition locale encore vivaces chez elle). Chao Hong est une migrante ayant épousé un hongkongais
assimilé américain, et Stanley Kwan appuie la méconnaissance de ce
nouveau monde qui l'entoure par sa gaucherie décalée (là aussi
l'introduction l'amène de façon amusée avec cette cérémonie de mariage
où elle ne sait comment découper un gâteau). Enfin Wang fille d'un
farouche militant anticommuniste exilé, semble avoir totalement rejetée
sa culture pour se fondre dans une vie bohème tant dans sa carrière
d'actrice que sa vie sentimentale agitée.
La remarquable séquence
du restaurant réunit les trois héroïnes et c'est bien ces
contradictions entre tradition et modernité (interrogation entre ce que
l'on est et ce que l'on pourrait devenir) qui amène une dispute puis une
complicité rieuse (on passe d'un débat sur la cuisine chinoise à un fou
rire sur l'expression "un ange passe" incompréhensible pour Chao Hong à
l'anglais encore rudimentaire). La culture américaine peut constituer
une ouverture ou un dangereux déni de soi pour Chao Hong dans son couple
où elle est rabaissée dans une forme de tradition patriarcale chinoise,
mais aussi dans une forme de mépris et d'arrogance typiquement
américain. Son désir d'amener sa mère aux Etats-Unis vivre avec elle
s'oppose ainsi au mode de vie moderne voulut par son mari où ces
traditions de coexistence générationnelles n'ont plus court - le rejet
de la plaque familiale traditionnelle chinoise de 'époux étant un moment
de bascule.
La réussite matérielle est une façon de fuir sa sexualité
lesbienne pour Jiau, l'ouverture de sa terre d'accueil sur le sujet
jurant avec les attentes traditionnelles de son entourage lui proposant
des prétendants masculin. Stanley Kwan semble d'ailleurs avoir à cœur de
souligner que ce sont les gens plus que la culture qui suscite cette
dichotomie pour les personnages, notamment au détour d'un dialogue où
l'on évoque les éléments ayant trait à l'homosexualité qui traverse
l'histoire chinoise (tout cela se trouvant plus profondément développé
plus tard dans le documentaire Yang ± Yin: Gender in Chinese Cinema (1995) et le film Lan Yu
(2001). Enfin Wang tout en semblant renier ses origines y est
constamment ramenée notamment dans sa volonté contrariée de devenir
actrice (un metteur en scène osant lui demander comment une taïwanaise
peut penser jouer Lady Macbeth).
Les obstacles se posent quand
les héroïnes essaient de se fondre dans un ensemble, de fuir ce qu'elles
sont pour s'inscrire dans une norme, celle de leur asile américain ou
leur foyer chinois. Cela donnera quelques scènes poignantes notamment
celle où Jiau se force à entreprendre un prétendant masculin face à sa
maitresse, un élan factice qui exprime une profonde détresse
magnifiquement exprimée par Maggie Cheung. A l'inverse la promiscuité
libère et cette tradition ravive la solidarité plutôt que les carcans de
la culture profonde des personnages lorsque, venues dîner dans le
restaurant de Jiau, Chao Hong et Wang s'exilent dans les cuisines pour
partager un moment chaleureux et fraternel.
Tout le film avance ainsi
entre un spleen urbain et existentiel profond oscillant avec des élans
volontaires, rieurs et un peu désespérés. Cette impasse se ressent
parfaitement dans la belle conclusion sur les toits ou notre trio cède à
la beuverie, le bonheur se disputant à l'anxiété quant à l'avenir. Un
panoramique final sur l'urbanité new yorkaise vue des hauteurs au petit
matin exprime alors bien cet horizon aussi prometteur qu'incertain.
Sorti en dvd hongkongais
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