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mardi 8 octobre 2019

La Ballade de Tsugaru - Tsugaru Jongarabushi, Kōichi Saitō (1973)

Une hôtesse de bar de Tokyo est en fuite avec son amant dont la tête est mise à prix pour avoir tué un chef de gang. Elle l'emmène dans un village de pêcheurs à Tsugaru, le temps que ses ennemis l'oublient, et avec l'espoir de fonder une famille.

La Ballade de Tsugaru est certainement le film le plus connu au Japon et à l'international de Koichi Saito. Comme dans nombre de ses œuvres des années 70, il s'agit d'un récit rural où le contact à la nature participe d'un épanouissement, d'un rapprochement des personnages qui peut s'exprimer par la maturité d'une jeune fille dans Journey Into Solitude (1972) ou une éphémère romance dans The Rendezvous (1972). La Ballade de Tsugaru est donc une des œuvres emblématique du courant du retour à la nature ou plus spécifiquement du furusato (pays natal) qui retrouvera d'ailleurs un regain à la fin des 80's à l'aune des désillusions de la bulle économique.

Au départ c'est d'ailleurs l'aspect le plus intime du furusato qui semble s'exprimer avec l'héroïne Isako (Kyōko Enami) de retour dans son village natal situé dans la préfecture d'Aomori, au nord de l'île de Honshū. Elle est en fuite avec son amant Tetsuo (Akira Oda) yakuza recherché par des complices. Elle a autrefois quitté ce village en compagnie du fils d'un pêcheur local pour Tokyo avant que leur histoire tourne court. Ce retour se nourrit donc essentiellement de regrets, notamment pour sa famille disparue et plus particulièrement son père et son frère morts en mer. Isako va donc tenter de s'amender de ses fautes en payant une pierre tombale à sa famille.

Tetsuo par son apparat déplacé de yakuza et ses attitudes boudeuses figure totalement le citadin m'as-tu vu hors de son élément. On suit son ennui manifeste dans ce désert rural où il n'a que faire, jusqu'à sa rencontrer Yuki (Mihoko Nakagawa) une jeune fille aveugle avec laquelle il va se lier d'affection. La mise en scène de Koichi Saito souligne autant la beauté pastorale des décors naturels qu'il sème la dépression par les environnements abandonnés (signe du déclin économique de la région) et exprime ainsi la dualité du film. L'envoutement de ces lieu ne fonction que dans ce qu'on y trouve, même malgré soi, plutôt que de ce qu'on vient y chercher de manière explicite.

La rédemption d'Isako va ainsi tourner court au fil des désillusions, des rencontres glauques (cet affreux patron de bar joué par Hideo Satō) et finalement des souvenirs douloureux qui se rattachent à ces lieux. A l'inverse Tetsuo oscille entre son cynisme citadin et le vrai envoutement qu'exerce progressivement cette nature sur lui, au contact de la Yuki. Sato passe par la caractérisation des personnages pour saisir l'attrait de cette campagne plutôt que sur une vision passéiste et traditionnelle des mœurs rurales. Celles-ci relèvent ainsi parfois de la superstition et du rejet notamment pour Yuki dont les origines la mettent au ban de cette communauté, et Tetsuo hésitera longtemps entre céder à une brutalité facile envers elle plutôt que de laisser exprimer sa tendresse. La tradition n'importe que dans ce qu'elle laisse entrevoir de différent aux héros, et jamais dans ce qu'elle leur impose.

Yuki refuse ainsi d'être la disciple d'une sinistre prêtresse locale mais rêve par contre de devenir une goze, ces musiciennes aveugles itinérantes qui jouent du shamisen (instrument japonais traditionnel, sorte de luth à trois cordes) pour gagner leur vie. C'est l'occasion pour le réalisateur de nous offrir de magnifiques visions où il nous immerge dans des inserts de peintures de Shin'ichi Saitō représentant de manière poétique les gonzes. De la même manière les travaux de pêche ne sont observés que du point de vu exalté de Tetsuo quand il daignera enfin s'immerger dans ces coutumes locales.

Koichi Saito n'exalte donc pas la nature comme remède à tous les maux, mais en fait un terreau de construction intime pour les personnages "vierges" (et on rejoint finalement le propos de Journey into Solitude). On apprendra ainsi que Tetsuo qui n'a connu que la ville de Tokyo est un orphelin, dont le refuge imprévu dans ce village va offrir des racines et en quelque sorte un père d'adoption avec le personnage du pêcheur. Il en va de même pour Yuki élevée par sa grand-mère qui va s'ouvrir aux autres au contact de Tetsuo.

Isako qui traîne une culpabilité et un passif trop lourd ne peut s'inscrire dans ce renouveau, ce havre de paix qui n'en est pas ou plus un pour elle (le scénario laisse d'ailleurs planer une ambiguïté quant à son rôle dans le dénouement). La Ballade de Tsuguru brille ainsi par sa célébration d'une ruralité non sous forme de retour en arrière, mais de renouveau partant de ce que le passé a de meilleur. On savoure donc ce bonheur simple jusqu'à un douloureux retour sur terre final.

Sorti en dvd zone 2 japonais 

 

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