En 1948, le jeune ingénieur américain Preston Tucker conçoit une automobile révolutionnaire, la Tucker '48. Le succès prévisible déclenche une contre-attaque immédiate du Big Three — General Motors, Chrysler et Ford — pour tuer le projet dans l'œuf. Mais Tucker est décidé à ne pas se laisser faire et à réaliser son rêve : il doit absolument réaliser cinquante exemplaires de sa voiture pour que celle-ci existe de fait.
Tucker est une des œuvres les plus personnelles de Francis Ford Coppola, un de ses projets de cœur qu’il réalise à point nommé à ce stade de sa carrière. Coppola avec la création de son studio, la réalisation de Coup de cœur (1982) et l’arsenal technologique innovant et en avance sur son temps durant sa production à cherché à bousculer et proposer une alternative au système studio. L’échec commercial du film l’endette pour de longues années et confirme, après le tournage dantesque d’Apocalypse Now (1979), le tempérament de créateur risque-tout et démiurge de Coppola, prêt à tout risquer et emporter avec lui son entourage dans sa vision. On comprend l’identification qu’il va ressentir envers la figure de Tucker, ingénieur-rêveur de génie qui défia l’industrie de l’automobile américaine des années 40 à travers les nouveaux standards innovants de son automobile Tucker ’48. La fascination de Coppola pour Tucker remonte à l’enfance lorsqu’on son père fit partie des investisseurs de la Tucker ’48, tandis que la promotion agressive et promesse de rêves futuristes marqua durablement son imaginaire.
Il envisage donc dès le début des années 60 un biopic dont la concrétisation se matérialisera au gré de ses échecs ou succès au box-office, avec une approche (il faut longtemps envisagé d’en faire une comédie musicale, Coup de cœur endossera ce rôle finalement) et un casting (Marlon Brando, Jack Nicholson et Burt Reynolds furent envisagé dans le rôle-titre) fluctuant. C’est grâce au support de son ami George Lucas que Coppola parvient enfin à financer le projet, Lucas désormais richissime avec Star Wars lui renvoyant l’ascenseur puisque Coppola produisit son American Graffiti (1973) après l’échec de THX 1138 (1971). Tout comme à l’époque Coppola convaincra Lucas de tourner le dos à la SF froide et cérébrale de THX 1138 pour une œuvre plus populaire qui lui ressemble avec American Graffiti, Lucas incite également son ami à abandonner la comédie musicale pour une approche plus nostalgique et americana. Coppola ayant entre temps nourrit de grands rêves, connut la réussite et les cuisants échecs, le mimétisme est totale avec Tucker, d’autant que lui aussi implique profondément sa famille dans son processus créatif.Coppola malgré plusieurs arrangements avec la réalité (les évènements du film se déroulent sur un an au lieu de quatre par exemple) cherche à capturer au plus près l’esprit de Preston Tucker. Il échangera beaucoup avec la famille de Tucker, Jeff Bridges étudiera en profondeur la posture, le phrasé et la gestuelle du « personnage ». Plus globalement, et sans compter bien sûr la rutilante reconstitution et la direction artistique de Dean Tavoularis, le ton optimiste du film ainsi que son caractère lumineux cherche littéralement à en faire un pendant fictionnel des spots publicitaires de l’époque dans lesquels Preston Tucker se mettait en scène. C’est tellement vrai que la scène d’ouverture reproduit dans sa voix-off et certaines images le vrai long spot promotionnel de 1948 (visionnable en bonus du blu-ray) qui sert d’introduction accéléré au caractère d’inventeur de génie de Tucker. Le récit adopte le même rythme frondeur en montrant l’effet boule de neige entre la naissance de l’idée chez Tucker, puis toute l’énergie qu’il peut déployer pour la mettre en œuvre, la conviction qu’il est capable d’insuffler à tous ses collaborateurs partageant désormais son rêve. La Tucker’48 représente aussi une sorte de fantasme de savoir-faire et d’innovation naïve « à l’américaine » où il s’agit de façonner le meilleur produit possible pour le consommateur, d’imposer de nouveaux standards qualitatifs. Ainsi on savoure la roublardise et les talents de bonimenteur de Tucker lorsqu’il présente son projet accompagné de photos d’accidents de la route sanglantes (tout en les forçant à déguste un rosbeef qu’ils rendront pour la plupart) pour exprimer sa préoccupation d’une sécurité renforcée pour son futur véhicule. Le film semble ainsi avancer comme dans un rêve, le pouvoir de persuasion de Tucker semblant convaincre politiques, financiers, stimuler ses collaborateurs dans la course contre la montre pour concevoir le premier prototype.L’enthousiasme contagieux et sincère de Tucker va cependant se heurter au cynisme du monde politico-financier. En effet, Tucker a promis de concevoir un produit idéal au service de ses futurs clients, ce qui n’a jamais été le souci des sphères politiques recherchant plus de pouvoir, ni des cercles économiques simplement en quête de profit. Notre héros doit donc lutter face à la collusion de ses entités et corporations (les « Big Three » de l‘industrie automobile Ford, General Motors et Chrysler) qui cherchent entraver sa création, à détourner ses designs sous couvert d’économies. La farouche indépendance de Tucker l’amène s’appuyer sur ses proches pour parvenir à créer sa voiture, mais la compromission semble inéluctable pour démocratiser la Tucker’48 à l’échelle nationale. Concevoir un « bon » produit et seulement cela pour réussir est une chimère que va constater amèrement Tucker, sa droiture se confrontant aux coups bas juridiques et médiatiques divers. Coppola parvient à un superbe équilibre entre grandiloquence et retenue pour accompagner cette épopée, ramenant toujours à une échelle intime et plus particulièrement familiale le rêve de Tucker. Plusieurs scènes le soulignent, celle de la présentation du prototype où sous le triomphe il n’oublie pas de faire monter sa femme et sa fille sur scène, et surtout celle où le fait qu’ils changent la couleur de la Tucker’48 (né d’un choix pour plaire à son épouse Vera (Joan Allen) suscite la première altercation entre Tucker et ses mécènes. L’opposition entre le monde du capitalisme le plus vil et celui idéalisé de Tucker se traduit par les bascules de la photo de Vittorio Storaro, chaleureuse, stylisée et chargée de couleurs ou neutre et froide. L’effervescence et le mouvement perpétuel d’un Tucker obsessionnel (en promotion, en famille, dans son entrepôt) alterne avec les entrevues claustrophobes et figées de bureaux entre vieillards décatis ne laissant pas le monde avancer. Coppola évite cependant un manichéisme trop marqué, montrant en filigrane quelques failles de Tucker mais surtout à travers l’ambiguïté des deux mondes. Abe Karatz (Martin Landau) est un pur financier qui s'est laisser contaminer par la fièvre de Tucker, tandis que l’entrevue avec Howard Hughes (Dean Stockwell) laisse voir un pendant négatif de Tucker, un créatif qui s’est néanmoins laisser happer par sa part d’ombre. L’épilogue judiciaire et la magnifique tirade finale de Tucker entérine le propos. L’ambition de Tucker est morte mais certainement pas l’accomplissement de son rêve, matérialisé par les 50 modèles de Tucker’48 qu’il a néanmoins réussi à faire construire, et dont toutes les innovations techniques seront reprises par ses concurrents et adversaires – un peu comme les idées du Coppola de Coup de cœur imprègne la confection du cinéma contemporain. Jeff Bridges est vraiment fabuleux et parfaitement soutenu par le beau casting. Le film ne rencontrera malheureusement un succès mitigé à sa sortie mais demeure une merveille en forme d’autoportrait masqué de son auteur.Sorti en bluray anglais chez Lions Gates, doté de sous-titres anglais et d'une vf
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