Dans la brillante satire historique Mon Dieu comment suis-je tombée si bas ? de Luigi Comencini (1974), Laura Antonelli interprétait déjà sur un registre comique une grande bourgeoise frigide s'éveillant aux plaisirs de la chair. Ce film constituait un vrai marqueur dans l'emploi sensuel auquel elle était associée l'actrice, ouvrant la voie à des rôles plus ambitieux comme L'Innocent de Luchino Visconti (1976). La Maîtresse légitime s'inscrit dans ce registre, un superbe écrin pour une des plus belles prestations de Laura Antonelli. Elle joue ici Antonia, une épouse délaissée par son époux Luigi (Marcello Mastroianni) depuis que, aux premiers jours de leurs mariage, il a constaté qu'Antonia était frigide. Dès lors il se tient loin du foyer conjugal tandis qu'Antonia dépérit et reste clouée au lit, victimes de maladies imaginaires. Les rares retrouvailles sont glaciales et nourries de reproches, sans espoirs de réconciliation pour le couple. Tout bascule lorsque Luigi se trouve accusé à tort d'un assassinat et doit se cacher. Il va choisir comme refuge un grenier en vis à vis de sa demeure et plus précisément de la chambre d'Antonia. La détresse pousse Antonia à enfin quitter le lit et sa chambre, puis de marcher sur les traces de son époux en effectuant à sa place les tournées commerciales auprès de leurs clients et domaines fermiers.Marco Vicario va alors instaurer une tonalité surprenante où le couple se découvre réellement à distance, alors qu'il est séparé. Antonia comprend ce qui tenait Luigi à distance, pour le meilleur avec les bienfaits qu'il réalisait auprès de certaines familles pauvres, et pour le plus désobligeant à travers une vie de pacha où il multipliait les maîtresses et séjours dans les maisons closes. Contrairement à Mon Dieu comment suis-je tombée si bas ? où la découverte du sexe tourne à la farce paillarde, nous naviguons ici dans le mélodrame feutré où les moments charnels font sens et s'avèrent tout en retenue. Ce choix tient au point de vue effarouché d'Antonia sidérée par chaque élément révélé sur son mari disparu, fonctionnant sur un lieu, les détails de celui-ci et les rencontres qu'elle y fait. Ainsi elle aura la surprise de se retrouver dans le club fréquenté par Luigi, dormir dans sa chambre habituelle où se trouve des tenues féminines, puis croiser une de ses maîtresses avec la doctoresse Pagano (Olga Karlatos).Se liant d'amitié avec cette dernière, elle écoute la description loin du mari distant qu'elle connaît, mais plutôt un amant espiègle, inventif et bienveillant. Entre vexation et curiosité, ces éléments la poussent à tenter les aventures sensuelles à son tour mais dans un premier temps c'est la désillusion et sa frigidité qui ressurgit. Marco Vicario travaille une tonalité glaciale où cette province rurale baigne dans une photo brumeuse reflétant les rapports guindés se jouant dans l'intimité (le couple) et l'extérieur avec le climat bigot et moraliste fustigeant la moindre tentation. A l'inverse les flashbacks sur la vie secrète dissolue de Luigi se déploie comme un fantasme dans des décors stylisés, une imagerie diaphane et des situations audacieuses comme une tendre partie à trois. Antonia en ne cherchant qu'à "égaler" où se venger des prouesses de son époux ne peut rencontrer le plaisir, jusqu'à sa rencontre avec un séduisant jeune médecin (Leonard Mann) qui va aussi éveiller sa conscience sociale.Un des éléments captivants est de voir les rôles s'inverser entre Antonia et Luigi. C'est désormais celui-ci qui, enfermé et souffreteux, observe de loin les allers et venues de sa femme et ne peut que spéculer sur ses agissements. Là aussi les sentiments sont ambivalents, entre une jalousie basiquement machiste et une fascination, un désir et un amour ravivé pour cette femme qui n'a plus rien à voir avec l'épouse aigrie qu'il a connu. Dès lors Luigi ne s'enfonce dans sa solitude janséniste que par un amour plus profond et sincère pour Antonia, et celle-ci ne se perd dans les aventures que pour mieux espérer le retour de Luigi dont elle devine la présence. Marcello Mastroianni et Laura Antonelli livrent des prestations magnifiques orchestrant aussi ces trajectoires inversées, Mastroianni reprenant à son compte l'immobilisme et la frustration pathétique d'Antonelli en début de film, quand cette dernière s'octroie l'élégance et le sex-appeal initial de Mastroianni dans le récit. Elle apporte une forme de retenue bienvenue dans le lâcher-prise sensuel, offrant une protagoniste aussi séduisante que poignante. Les époux dans cette séparation s'exposen l'un à l'autre comme ils n'ont jamais su le faire durant leur vie commune, l'acceptation de la volupté de chacun les différenciant de l'autre couple hypocrite du film (où cette fois c'est la fiancée jouée par Annie Belle qui se heurte à un fiancé bigot (Stefano Patrizi). La dernière scène est une merveille pour traduire ce mélange d'érotisme feutré et de romantisme flamboyant, un plan sur la maison, une lumière qui s'éteint et un panoramique laissant deviner l'élan des retrouvailles tant attendues de Luigi et Antonia.
Sorti en dvd italien
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