Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
La Rivière Dotonbori - Dotonborigawa, Kinji Fukasaku (1982)
Kunihiko est un jeune homme réservé qui passe
le plus clair de son temps à peindre les rives de la rivière Dotonbori
et à travailler au salon de thé où il a été engagé par son maître,
Tetsuo Takeuchi, ancien joueur de billard professionnel. Un beau jour,
alors qu'il s'adonne à son art, il fait la rencontre de la charmante
Machiko, une femme distinguée qui dénote dans le paysage froid et
violent d'Osaka. Les deux tombent progressivement amoureux malgré le
fait que dix années les séparent, mais Kunihiko est inquiet: alors qu'il
voit tous ses proches plonger dans le vice, emportés par la folie
latente de cette ville corrompue, il souhaite à tout prix protéger sa
bien-aimée.
La Rivière Dotonbori est un mélodrame
urbain et feutré qui dénote dans la filmographie habituellement plus
portée sur l'action de Kinji Fukasaku. Le film est l'adaptation d'un
roman de Teru Miyamoto publié en 1978. Ce dernier constituait dans
l'œuvre de l'auteur le dernier volet de sa "trilogie des rivières". Les
précédents figuraient parmi les premiers écrits publiés de Teru Miyamoto
à travers courts romans (ou longues nouvelles) confrontant l'innocence
de l'enfance et un environnement social sordide. Le premier volet La Rivière aux lucioles fut publié en 1977, suivi quelques mois plus tard par Le Fleuve de boue, magnifiquement adapté au cinéma par Kōhei Oguri avec La Rivière de boue
(1981) - les deux romans étant publiés en France aux éditions Picquier.
Ce film ayant remporté un grand succès commercial et connu une vraie
reconnaissance critique au Japon et à l'international (nommé à l'Oscar
du meilleur film étranger, vainqueur du Prix du film Mainichi et prix
d'argent au Festival international du film de Moscou en 1981), on peut
imaginer qu'il éveilla l'attention d'autres studios pour l'œuvre de Teru
Miyamoto avec La Rivière Dotonbori produit par la Shoshiku - autre adaptation plus tardive et connue de Miyamoto, Maboroshi (1995) le premier film de Hirokazu Kore-eda.
L'histoire ne suit pas deux jeunes enfants comme dans La Rivière aux lucioles et Le Fleuve de boue
mais l'on reste néanmoins dans cette continuité de récit initiatique.
Kunihiki (Hiroyuki Sanada) est un jeune homme de dix-neuf ans venant de
perdre sa mère et qui est employé et hébergé par Tetsuo Takeuchi
(Tsutomu Yamazaki) dans son salon de thé. Ce dernier est le père de
Masao (Kōichi Satō), ancien camarade de classe de Kunihiki et cherchant à
suivre un chemin fuit par son père en devenant joueur de billard
professionnel. Tout le récit oscille pour les protagonistes entre une
fuite des bas-fonds pour ceux les ayant connu et leur attrait malsain
pour ceux recherchant la vie facile. Dans la première catégorie on
trouve donc Takeuchi dont la carrière de joueur de billard lui a fait
perdre sa femme et qui désespère de voir son fils prendre la même voie.
Il y a également Machiko (Keiko Matsuzaka) une femme de vingt-neuf ans
dont Kunihiki va tomber amoureux. Cette dernière est une ancienne geisha
qui a été racheté par un bienfaiteur lui ayant offert le bar qu'elle
gère seule.
La "respectabilité" de Machiko est ainsi encore lié à son passé dévoyé
et la place sous la dépendance de ce mécène et amant. La rencontre et
romance avec Kunihiki lui permet donc paradoxalement de goûter à la
vraie et pure romance de la jeune fille qu'elle n'a jamais pu vraiment
être, ce qui offre de très beaux moments de sentimentalité candide
puisque Kunihiki vit là aussi ses premiers émois. Ce lien à la fois
romantique et maternel se ressent d'ailleurs dans la magnifique scène de
sexe où Machiko se fait à la fois initiatrice du novice Kunihiki, tout
en faisant montre d'un abandon que Fukasaku filme comme une libération,
comme si c'était la première fois qu'elle effectuait l'acte par amour.
L'intrigue se déroule à Osaka et le réalisateur capture la ville dans
cette même dualité morale que celle qui déchire les personnages.
Nous
avons d'un côté une pure imagerie noble et contemplative accompagnant
les déambulations des amoureux dans des espaces dépouillés et mettant
notamment en valeur les vues sur la rivière Dotonburi dont le panorama
offrira sera le théâtre du premier baiser du couple. En parallèle nous
avons les quartiers des plaisirs noyés sous les néons, les intérieurs
tapageurs de cabarets et des salles de billards synonymes de perdition.
Les ruelles s'avèrent un entre-deux où se côtoient ce paradis et cet
enfer, où déambule une faune interlope et qui voient se déchaîner dans
la violence les relations toxiques et dominant/dominés. Fukasaku montre
d'ailleurs à quel point les femmes amoureuses et innocentes malgré leurs
métiers avilissants sont les éternelles victimes de la mesquinerie des
hommes qui les utilisent et s'approprient leurs gains.
Plusieurs scènes très touchantes traduisent ce désespoir tel ce moment
voyant la danseuse Satomi (Yuki Furutachi) improviser un strip-tease
dépressif après avoir été quitté par son amant junkie, ou encore la
transgenre Kaoru (la vraie actrice japonaise transgenre Maki Carrousel,
ce qui témoigne d'une représentation très respectueuse) subir toutes les
humiliations de l'attitude passif/agressif de son odieux souteneur. La
première heure du film tient ainsi de la tranche de vie qui entremêle
ces différentes intrigues et personnages, avant de prendre ensuite un
tournant plus explicitement dramatique et captivant. Les enjeux du
climax se font plus tragiques, notamment dans la confrontation père/fils
(et un duel virtuose au billard anticipant le Scorsese de La Couleur de l'argent
(1986)) qui révèle un passé douloureux et le final est aussi inattendu
que mélodramatique avec un ultime rebondissement cruel. Une belle
réussite et un registre plus retenu qui sied tout aussi bien à Kinji
Fukasaku qui remportera d'ailleurs pour le film le Japan Academy Film
Prize du meilleur réalisateur.
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