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lundi 10 décembre 2018

Maborosi - Maboroshi no Hikari, Hirokazu Kore-eda (1995)


La jeune Yumiko épouse Ikuo, qu'elle aime passionnément. Un enfant naît, Yuichi. Le couple semble vivre en harmonie parfaite jusqu'au jour où, brutalement, Ikuo se suicide sans raison apparente. Tout s'effondre autour de Yumiko. Pourtant, il faut continuer à vivre et, pour assurer l'avenir de son petit garçon, la jeune veuve décide de se remarier. Elle quitte la grande ville pour un petit village de pêche et devient la femme de Tamio, veuf lui aussi et père d'une petite fille.

Maborosi est la première fiction de Hirozaku Kore-eda qui a pourtant déjà une solide carrière de documentariste à la télévision. Parmi ses travaux les plus fameux dans ce registre on trouve notamment August without Him (1994) sur le dernier été d’un homme atteint du sida, et Without Memory (1996) évoquant l’impossibilité d’un homme à se forger de nouveaux souvenirs. Maborosi tout comme After life (1998) traite de cette idée de la mort et de l’oubli, et Kore-eda parvient à y mêler un traitement naturaliste issu de cette expérience documentaire avec la fiction.

La mort hante ainsi le passé et le présent de la jeune Yumiko, qui enfant n’a pu empêcher le départ fatal de sa grand-mère et adulte apprend impuissante le suicide incompréhensible de son mari Ikuo (Tadanobu Asano). Cette mort à venir se devine par un motif formel où Yumiko accompagne le futur disparu du regard dans des environnements signifiants, sur un pont pour la grand-mère et dans une galerie avec le mari. La culpabilité du drame passé et l’incompréhension du deuil présent hante ainsi notre héroïne mais Kore-eda évite le mélodrame explicite ou la psychologie pour l’exprimer. La solitude de Yumiko passe ainsi par une expression purement visuelle. 

Deux plans légèrement différents expriment ce deuil quand dans une même composition au sein de l’appartement Yumiko lave son bébé au centre e l’image tandis qu’une bouilloire chauffe en amorce. Plus tard après la mort du mari la même composition de plan montre Yumiko prostrée sur la gauche de l’image, la bouilloire a disparue (signe de quelque chose de brisé dans le quotidien de la famille) et c’est la grand-mère qui s’occupe du bébé. Cet isolement de l’intérieur trouve sa réminiscence en extérieur avec un magnifique plan crépusculaire où la silhouette de Yumiko avance seul à vélo tandis que le métro aérien circule en hauteur – sa vie s’est figée tandis qu’elle suit son cours par ailleurs.

Kore-eda précède à chaque fois les drames d’un bonheur simple qui ne les laisse pas deviner. Toute la vie de couple de Yumiko et Ikuo constitue une parenthèse intimiste enchantée avant le suicide inattendu – bien qu’Ikuo ami d’enfance apparaisse au début avant la mort de la grand-mère et semble être marqué aussi par un même destin. Plus tard Yumiko remariée à Tamio (Takashi Naito) renoue avec un bonheur simple dans une cité rurale portuaire. Toute la plénitude suspendue qui fera le sel de Notre petite sœur (2015) se ressent déjà ici dans une habile bascule visuelle entre les saisons, l’hiver chargé de doute cédant à l’été radieux pour la famille recomposée. Néanmoins démons qui habitent Yumiko ne se sont pas estompé, les raisons du suicide de son mari la questionnant encore. 

Une nouvelle fois Kore-eda déjoue cela par l’image, sans dialogue ou scène dramatique appuyée. Yumiko croit ainsi deviner la mort imminente en observant une vieille pêcheuse s’éloigner dans un même accompagnement de regard que les disparitions précédentes mais l’issue diffère. L’enfermement mental du personnage passe par les différences entre les scènes d’intérieurs où elle trône figée, vêtue de noir au centre de l’image baignée de la photo ténébreuse de Masao Nakabori. Les scènes d‘extérieurs avec les jeux d’enfants et les vues majestueuses de cette cité portuaire laisse la place à l’espoir. Le côté documentaire passe d’ailleurs par cet usage du décor puisque le refus de la psychologie est aussi celui du gros plan trop significatif. 

Le réalisateur préfère amener sa progression dramatique rustines scénaristique attendue mais par le sensoriel. C’est toute la force de la conclusion qui conjugue et surmonte cette pulsion de mort avec l’apparition de cette procession mortuaire et l’explication poétique du suicide par le motif du maborosi (cette lumière étrange qui nous attire sans raison vers les ténèbres). L’intérieur n’est désormais plus torturé et donne sur un extérieur radieux (le magnifique plan aérien final) vers lequel Yumiko délestée de ses habits de deuil observe désormais la vie.

Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine

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