La jeune Yumiko épouse
Ikuo, qu'elle aime passionnément. Un enfant naît, Yuichi. Le couple semble
vivre en harmonie parfaite jusqu'au jour où, brutalement, Ikuo se suicide sans
raison apparente. Tout s'effondre autour de Yumiko. Pourtant, il faut continuer
à vivre et, pour assurer l'avenir de son petit garçon, la jeune veuve décide de
se remarier. Elle quitte la grande ville pour un petit village de pêche et
devient la femme de Tamio, veuf lui aussi et père d'une petite fille.
Maborosi est la
première fiction de Hirozaku Kore-eda qui a pourtant déjà une solide carrière
de documentariste à la télévision. Parmi ses travaux les plus fameux dans ce
registre on trouve notamment August
without Him (1994) sur le dernier été d’un homme atteint du sida, et Without Memory (1996) évoquant l’impossibilité
d’un homme à se forger de nouveaux souvenirs. Maborosi tout comme After life
(1998) traite de cette idée de la mort et de l’oubli, et Kore-eda parvient à y
mêler un traitement naturaliste issu de cette expérience documentaire avec la
fiction.
La mort hante ainsi le passé et le présent de la jeune
Yumiko, qui enfant n’a pu empêcher le départ fatal de sa grand-mère et adulte
apprend impuissante le suicide incompréhensible de son mari Ikuo (Tadanobu
Asano). Cette mort à venir se devine par un motif formel où Yumiko accompagne
le futur disparu du regard dans des environnements signifiants, sur un pont
pour la grand-mère et dans une galerie avec le mari. La culpabilité du drame
passé et l’incompréhension du deuil présent hante ainsi notre héroïne mais
Kore-eda évite le mélodrame explicite ou la psychologie pour l’exprimer. La
solitude de Yumiko passe ainsi par une expression purement
visuelle.
Deux plans légèrement différents expriment ce deuil quand dans une
même composition au sein de l’appartement Yumiko lave son bébé au centre e l’image
tandis qu’une bouilloire chauffe en amorce. Plus tard après la mort du mari la
même composition de plan montre Yumiko prostrée sur la gauche de l’image, la
bouilloire a disparue (signe de quelque chose de brisé dans le quotidien de la
famille) et c’est la grand-mère qui s’occupe du bébé. Cet isolement de l’intérieur
trouve sa réminiscence en extérieur avec un magnifique plan crépusculaire où la
silhouette de Yumiko avance seul à vélo tandis que le métro aérien circule en
hauteur – sa vie s’est figée tandis qu’elle suit son cours par ailleurs.
Kore-eda précède à chaque fois les drames d’un bonheur
simple qui ne les laisse pas deviner. Toute la vie de couple de Yumiko et Ikuo
constitue une parenthèse intimiste enchantée avant le suicide inattendu – bien qu’Ikuo
ami d’enfance apparaisse au début avant la mort de la grand-mère et semble être
marqué aussi par un même destin. Plus tard Yumiko remariée à Tamio (Takashi
Naito) renoue avec un bonheur simple dans une cité rurale portuaire. Toute la
plénitude suspendue qui fera le sel de Notre petite sœur (2015) se ressent déjà
ici dans une habile bascule visuelle entre les saisons, l’hiver chargé de doute
cédant à l’été radieux pour la famille recomposée. Néanmoins démons qui
habitent Yumiko ne se sont pas estompé, les raisons du suicide de son mari la
questionnant encore.
Une nouvelle fois Kore-eda déjoue cela par l’image, sans
dialogue ou scène dramatique appuyée. Yumiko croit ainsi deviner la mort imminente
en observant une vieille pêcheuse s’éloigner dans un même accompagnement de
regard que les disparitions précédentes mais l’issue diffère. L’enfermement
mental du personnage passe par les différences entre les scènes d’intérieurs où
elle trône figée, vêtue de noir au centre de l’image baignée de la photo
ténébreuse de Masao Nakabori. Les scènes d‘extérieurs avec les jeux d’enfants
et les vues majestueuses de cette cité portuaire laisse la place à l’espoir. Le
côté documentaire passe d’ailleurs par cet usage du décor puisque le refus de
la psychologie est aussi celui du gros plan trop significatif.
Le réalisateur
préfère amener sa progression dramatique rustines scénaristique attendue mais
par le sensoriel. C’est toute la force de la conclusion qui conjugue et
surmonte cette pulsion de mort avec l’apparition de cette procession mortuaire
et l’explication poétique du suicide par le motif du maborosi (cette lumière
étrange qui nous attire sans raison vers les ténèbres). L’intérieur n’est
désormais plus torturé et donne sur un extérieur radieux (le magnifique plan
aérien final) vers lequel Yumiko délestée de ses habits de deuil observe désormais la vie.
Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine
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