Jim et sa femme,
Darling vivent dans une belle maison d'une petite ville tranquille de la
Nouvelle-Angleterre en compagnie de leur chienne : Lady, elle-même entourée de
ses amis Jock et César. Cette joyeuse famille se voit bien vite comblée par
l'arrivée d'un bébé. Tout se passe à merveille jusqu'au jour où, devant
s'absenter quelques jours, les nouveaux parents confient toute leur petite
famille à la garde de leur vieille tante Sarah et de ses deux terribles chats
siamois. Lady s'enfuit de la maison et se retrouve dans la rue, livrée à
elle-même. Menacée par des chiens errants, elle est sauvée, in extremis, par
l'arrivée d'un chien bâtard répondant au curieux nom de Clochard...
La Belle et le
Clochard est un des rares films de l’âge d’or de Walt Disney à être un
scénario original, non issu d’un conte traditionnel ou d’un roman pour la
jeunesse. L’idée initiale vient de Joe Grant, dessinateur engagé par Disney au
début des années 30 pour ses talents de caricaturiste. Il devient rapidement
un des hommes-clé de Walt Disney qui lui confie notamment la conception de la
Reine dans Blanche Neige et les Sept
Nains (1937) et l’associe également au développement de Fantasia (1940), Pinocchio
(1940) et Dumbo (1941). Joe Grant
possède un cocker américain nommé Lady qu’apercevra Walt Disney lors d’une
visite, et lui donne l’envie d’un récit canin. Joe Grant est ainsi mis à
contribution pour une première mouture du scénario où se trouvent déjà le
sentiment d’abandon de Lady au profit du nouveau-né de la famille, les chats
sournois antagonistes et un triangle amoureux avec un chien errant et un autre
plus distingué. Le projet lancé en 1936 s’enlise peu à peu, à la fois face à l’exigence
de Walt Disney – peu convaincu par l’aspect uniquement charmeur et minaudier de
Lady, ce qui figera l’ajout de Clochard qui donne un pendant moins lisse à l'héroïne – mais
aussi par les contraintes économiques de la Seconde Guerre Mondiale qui forcent
le studio à se restreindre à des productions plus modestes.
Le succès de Cendrillon
(1950) signe le grand retour au long-métrage et le développement de La Belle et le Clochard est relancé.
Entretemps Joe Grant a quitté le studio en 1949 après une brouille avec Walt
Disney – il n’y reviendra qu’en 1989 et contribuera largement au second âge d’or
de Disney des années 90 - et ce dernier
va concevoir un storytelling
mensonger qui efface le rôle de Grant quant aux origines du film. C’est donc un
chiot offert dans une boite par Disney à son épouse qui lui aurait inspiré l’histoire.
En 1943 l’auteur Ward Green publie dans la revue Cosmopolitan la nouvelle Happy Dan, the Whistling Dog and Miss Patsy,
the Beautiful Spaniel où Disney voit les derniers éléments manquants à l’équilibre
de La Belle et le Clochard. Il en
rachète les droits, le script final étant une fusion des approches de Joe Grant
et Ward Green bien que seul le second sera crédité au générique.
La Belle et le
Clochard sort précisément à l’époque où Walt Disney commence à se
désintéresser de l’animation pour les parcs d’attractions. Un mois sépare d’ailleurs
la première nationale du film (le 16 juin 1955) de l’inauguration du premier Disneyland
(le 17 juillet 1955). En bien des points le cadre du film représente donc déjà
cette Amérique bucolique, fantasmée et provinciale qui constituera l’imagerie
des parcs Disney. L’esthétique générale entremêle esthétique rétro inspirée de
la ville de Marceline dans le Missouri (où Walt Disney passa une partie de son
enfance et qui le marqua profondément) avec une imagerie chatoyante inspirée
des œuvres de Norman Rockwell. Un vrai réalisme (les réminiscences avec la
vraie ville de Marceline sont multiples tout au long du film) se croise ainsi à
une forme de parenthèse enchantée, de paradis perdu où la modernité n’a pas
encore pris place. Les visions féériques telles l’ouverture en plan d’ensemble
enneigé se conjuguent ainsi à un « réalisme » chaleureux tant dans la
description du quartier pavillonnaire paisible et bourgeois que pour les
intérieurs baignés de couleurs vives.
C’est le cocon où évolue Lady, jeune et fière chienne cocker. La
caractérisation des chiens (les humains restent largement en retrait) bénéficient du long travail d’observation
des animateurs Milt Kahl, Ollie Johnston
et Frank Thomas où le réalisme du mouvement s’associe à une expressivité
typique du cinéma d’animation (les grands yeux et attitudes maniérées de Lady)
et un anthropomorphisme qui reste bien dosé (la scène où Clochard mime les
réactions humaines qui excluront les chiens du foyer). La dimension dramatique
du récit bouscule largement moins le spectateur que les atmosphères baroques,
la noirceur et certains rebondissements traumatisants des premiers
long-métrages du studio. Seul l’affrontement final avec un rat menaçant le
bébé, tout en mouvement heurtés et jeu de lumières expressionnistes, offre un vrai
moment de frayeur et d’inquiétude. Les autres écarts possibles sont atténués
par les choix de mise en scène - le combat de Clochard contre les chiens
errants ainsi que l’évocation du sort des chiens de fourrière, en jeu d’ombre
évocateurs – ou une édulcoration malheureuse avec la mort de Trusty (César)
effacée dans la dernière scène alors qu’elle rendait le personnage d’autant
plus touchant.
C’est donc dans l’atmosphère romantique et bienveillante que
reposent le charme et les limites du film. La fameuse scène du repas de
spaghetti offre un cultissime et cocasse moment amoureux avec son baiser
maladroit. Mais on doit le grand moment à l’animateur Eyvind Earle dont la
direction artistique et l’usage du cinémascope (adopté par Disney grâce à
Richard Fleischer qui après la réussite live de Vingt mille lieues sous les mers convainc le studio de l’appliquer
à ses films d’animation) magnifie une majestueuse nuit étoilée dans un parc que
surplombe les silhouettes de Lady et Clochard – et un audacieux fondu au noir
faisant réfléchir au spectateur adulte aux suite de la soirée. C’est un de ses
premiers travaux pour Disney avant les merveilles à venir dans La Belle au bois dormant (1959). La
Belle et le Clochard par sa volonté de bien-être inhérente à la nouvelle
orientation Disney définit ainsi la morale et l’aseptisation en cours (le
message rétrograde qui privilégie la vie domestique à l’évasion avec Clochard)
même si une certaine inventivité (notamment musicale avec un beau numéro de
Peggy Lee dans la fourrière) maintient le charme.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Disney
Tes captures rendent bien justice au raffinement visuel du film, mais qu'est-ce que j'avais été déçu par la maigreur de son intrigue en le revoyant il y a peu !
RépondreSupprimerOui revoyure un peu décevante pour moi aussi en grande partie pour l'intrigue rachitique également...
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