Dans une Angleterre
futuriste et inhumaine, un groupe d'adolescents se déchaînent chaque nuit,
frappant et violant d'innocentes victimes. Alex, le leader du gang est arrêté
et condamné à 14 ans de prison. Il accepte de se soumettre à une thérapie de
choc destinée à faire reculer la criminalité.
D’abord fraîchement accueilli par la critique, 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) s’était
finalement avéré un succès sur la longueur grâce au triomphe que lui fit la
jeunesse hippie. Stanley Kubrick pensait enchaîner avec le grand projet de sa
vie, Napoléon, mais la production au
long cours de son film précédent rendrait le financement difficile. En plein
préparatif de Napoléon, Kubrick se voit offrir par son ami scénariste Terry
Southern le roman Orange Mécanique d’Anthony
Burgess paru en 1962. A cette époque le Nouvel Hollywood émergeant bouleverse
les codes moraux par des écarts de violence inédits dans des œuvres comme Bonnie and Clyde (1968), Easy Rider (1969), les productions
studios s’enhardissent aussi avec L’Inspecteur
Harry (1971) ou La Horde sauvage
(1969). Kubrick voit donc là l’opportunité de faire avec Orange Mécanique le « film de jeunes » ultime dont le
succès aiderait à lancer Napoléon -
la démarche sera d’ailleurs la même lorsqu’il fera Shining (1980) pour se remettre en selle après l’échec de Barry Lyndon (1975) en voyant la vogue
des films d’horreur. Dans cette idée le tournage se fera d’ailleurs à l’économie
pour faire oublier le souvenir dispendieux de 2001.
La première partie du film nous montre l’univers et le
quotidien du héros Alex (Malcolm McDowell) consacré à l’ultraviolence. Le récit
est supposé se dérouler dans un avenir proche mais Kubrick plutôt qu’une vision
futuriste « technologique » opte pour une invention dans la
stylisation. Cela passe par des extérieurs où le choix est fait de tourner dans
les bâtiments londoniens les plus laids et/ou étranges dans leur architecture
tandis que les intérieurs entrecroise toute l’esthétique pop art et
avant-gardiste u moment. L’objectif est de rendre le film intemporel même si
paradoxalement il s’agira de l’œuvre la plus « datée » (ou du moins
identifiable quant à sa période de production) de Kubrick.
Quoiqu’il en soit,
ce visuel marqué (auquel on ajoutera les tenues des droogs, recyclage astucieux
d’une tenue de cricket de MacDowell) nous emmène dans un ailleurs palpable dès
la saisissante ouverture avec ce gros plan sur le visage d’Alex, puis ce lent
travelling arrière sur leur posture maniérée et menaçante tandis qu’il se
présente au spectateur en nadsat, étrange argot conçut par Anthony Burgess.
Cette réalité alternative est donc d’abord formelle, avant de se manifester
dans la violence décomplexée des droogs. Kubrick n’adoucit pas ni ne magnifie
cette violence, mais ses trouvailles formelles donnent aux écarts les plus
révoltant la subjectivité de l’ivresse ressentie par leurs auteurs. L’ombre des
droogs sur fond de lumière bleutée alors qu’ils tabassent un clochard, la
caméra s’attardant sur une fresque de théâtre avant de descendre sur le
spectacle d’une bande violant une jeune femme sont des moments qui jouent de
cela. L’architecture de la maison du couple qui se fera sauvagement agresser
conjugue pareillement abject des actes et recherche du style, tout comme la
demeure de cette femme aux chats dont l’assassinat passe par un insert et zoom
brutal sur un tableau. L’aspect « collage » du film fonctionne aussi
dans le détournement du fameux « Singin in the rain » de Gene Kelly,
servant ici à malmener en rythme ses victimes.
Malcolm McDowell (repéré par Kubrick dans le If… de Lindsay Anderson (1968)), visage
juvénile et regard démoniaque provoque une vraie confusion morale chez le
spectateur. L’identification semble impossible au vu de ses actes abjects, mais
l’allure, la gouaille et le panache du personnage nous amène à endosser son
regard de façon amusée (la partie de sexe à trois en accéléré) ou plus détachée
(quand il restaure son autorité en malmenant ses droogs). La sournoiserie en
germe sous les manières violentes va pourtant se développer paradoxalement par
la répression. Bête laissant ressortir ses pulsions, Alex « civilise »
en quelque sorte sa malveillance par le calcul et la flagornerie en prison afin
d’en sortir plus vite grâce au traitement Ludovico. Kubrick définit ainsi une
voie sans issue entre la violence sans fard de la rue, celle autoritaire sans
effet de la prison (qui annonce Full
Metal Jacket (1987)) et celle psychologique du traitement Ludovico.
Toutes
passent par la soumission et l’annihilation de la personnalité de l’individu,
ce dernier semblant instinctivement mauvais et irrécupérable de toute façon. C’est
tout le message d la seconde partie du film où Alex paie le prix de ses actions
face aux anciens acolytes devenus figures d’autorité, victimes d’hier prenant
leur revanche. Les supposées figures progressistes s’avèrent passer par une
même violence par calcul politiques ou une loi du talion à laquelle elle n’échappe
pas non plus (l’écrivain joué par Patrick Magee). Là nous ne sommes plus dans l’espace
mental d’Alex mais le monde réel où la douleur passe aussi par les coups de
boutoir de la Neuvième symphonie de Beethoven. Le sommet est atteint avec l’ironie
de l’épilogue où la corruption de ce monde réel (le ministre venu soudoyer
Alex) s’entrecroise à la corruption morale désormais renforcée de notre héros à
travers saisissante vision finale.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Warner
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