Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

dimanche 30 décembre 2018

Orange mécanique - A Clockwork Orange, Stanley Kubrick (1971)


Dans une Angleterre futuriste et inhumaine, un groupe d'adolescents se déchaînent chaque nuit, frappant et violant d'innocentes victimes. Alex, le leader du gang est arrêté et condamné à 14 ans de prison. Il accepte de se soumettre à une thérapie de choc destinée à faire reculer la criminalité.

D’abord fraîchement accueilli par la critique, 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) s’était finalement avéré un succès sur la longueur grâce au triomphe que lui fit la jeunesse hippie. Stanley Kubrick pensait enchaîner avec le grand projet de sa vie, Napoléon, mais la production au long cours de son film précédent rendrait le financement difficile. En plein préparatif de Napoléon, Kubrick se voit offrir par son ami scénariste Terry Southern le roman Orange Mécanique d’Anthony Burgess paru en 1962. A cette époque le Nouvel Hollywood émergeant bouleverse les codes moraux par des écarts de violence inédits dans des œuvres comme Bonnie and Clyde (1968), Easy Rider (1969), les productions studios s’enhardissent aussi avec L’Inspecteur Harry (1971) ou La Horde sauvage (1969). Kubrick voit donc là l’opportunité de faire avec Orange Mécanique le « film de jeunes » ultime dont le succès aiderait à lancer Napoléon - la démarche sera d’ailleurs la même lorsqu’il fera Shining (1980) pour se remettre en selle après l’échec de Barry Lyndon (1975) en voyant la vogue des films d’horreur. Dans cette idée le tournage se fera d’ailleurs à l’économie pour faire oublier le souvenir dispendieux de 2001.

La première partie du film nous montre l’univers et le quotidien du héros Alex (Malcolm McDowell) consacré à l’ultraviolence. Le récit est supposé se dérouler dans un avenir proche mais Kubrick plutôt qu’une vision futuriste « technologique » opte pour une invention dans la stylisation. Cela passe par des extérieurs où le choix est fait de tourner dans les bâtiments londoniens les plus laids et/ou étranges dans leur architecture tandis que les intérieurs entrecroise toute l’esthétique pop art et avant-gardiste u moment. L’objectif est de rendre le film intemporel même si paradoxalement il s’agira de l’œuvre la plus « datée » (ou du moins identifiable quant à sa période de production) de Kubrick. 

Quoiqu’il en soit, ce visuel marqué (auquel on ajoutera les tenues des droogs, recyclage astucieux d’une tenue de cricket de MacDowell) nous emmène dans un ailleurs palpable dès la saisissante ouverture avec ce gros plan sur le visage d’Alex, puis ce lent travelling arrière sur leur posture maniérée et menaçante tandis qu’il se présente au spectateur en nadsat, étrange argot conçut par Anthony Burgess. Cette réalité alternative est donc d’abord formelle, avant de se manifester dans la violence décomplexée des droogs. Kubrick n’adoucit pas ni ne magnifie cette violence, mais ses trouvailles formelles donnent aux écarts les plus révoltant la subjectivité de l’ivresse ressentie par leurs auteurs. L’ombre des droogs sur fond de lumière bleutée alors qu’ils tabassent un clochard, la caméra s’attardant sur une fresque de théâtre avant de descendre sur le spectacle d’une bande violant une jeune femme sont des moments qui jouent de cela. L’architecture de la maison du couple qui se fera sauvagement agresser conjugue pareillement abject des actes et recherche du style, tout comme la demeure de cette femme aux chats dont l’assassinat passe par un insert et zoom brutal sur un tableau. L’aspect « collage » du film fonctionne aussi dans le détournement du fameux « Singin in the rain » de Gene Kelly, servant ici à malmener en rythme ses victimes.

Malcolm McDowell (repéré par Kubrick dans le If… de Lindsay Anderson (1968)), visage juvénile et regard démoniaque provoque une vraie confusion morale chez le spectateur. L’identification semble impossible au vu de ses actes abjects, mais l’allure, la gouaille et le panache du personnage nous amène à endosser son regard de façon amusée (la partie de sexe à trois en accéléré) ou plus détachée (quand il restaure son autorité en malmenant ses droogs). La sournoiserie en germe sous les manières violentes va pourtant se développer paradoxalement par la répression. Bête laissant ressortir ses pulsions, Alex « civilise » en quelque sorte sa malveillance par le calcul et la flagornerie en prison afin d’en sortir plus vite grâce au traitement Ludovico. Kubrick définit ainsi une voie sans issue entre la violence sans fard de la rue, celle autoritaire sans effet de la prison (qui annonce Full Metal Jacket (1987)) et celle psychologique du traitement Ludovico. 

Toutes passent par la soumission et l’annihilation de la personnalité de l’individu, ce dernier semblant instinctivement mauvais et irrécupérable de toute façon. C’est tout le message d la seconde partie du film où Alex paie le prix de ses actions face aux anciens acolytes devenus figures d’autorité, victimes d’hier prenant leur revanche. Les supposées figures progressistes s’avèrent passer par une même violence par calcul politiques ou une loi du talion à laquelle elle n’échappe pas non plus (l’écrivain joué par Patrick Magee). Là nous ne sommes plus dans l’espace mental d’Alex mais le monde réel où la douleur passe aussi par les coups de boutoir de la Neuvième symphonie de Beethoven. Le sommet est atteint avec l’ironie de l’épilogue où la corruption de ce monde réel (le ministre venu soudoyer Alex) s’entrecroise à la corruption morale désormais renforcée de notre héros à travers saisissante vision finale. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Warner 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire