Au retour d’une
nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la
rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée
d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle
lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté,
survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres
de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle
brutalement leurs plus terribles secrets…
Hirozaku Kore-eda s’était attaché depuis le magnifique Still Walking (2009) à scruter la sphère
familiale dans sa dimension la plus intime à travers des questionnements
sociétaux. C’était la fratrie confrontée au divorce des parents dans I Wish (2011) ou à l’inverse une fratrie
découverte et à construire dans Notre
petite Sœur (2015). Le point commun de tous ces films étaient la
reconstruction de la cellule familiale, où le vécu et l’amour supplantent les
liens du sang dans Tel père, tel fils
(2013), un quotidien modifié par la séparation avec Après la tempête (2016) et même un drame intime sordide pour The Third Murder (2017). Les
bouleversements de sa vie personnelle (il perd sa mère, son producteur et père
spirituel depuis After Life en 2009
et parallèlement devient père) auront déterminés cette orientation du
réalisateur qui se fit connaître à l’international avec Nobody Knows (2004) où son approche sensible se conjuguait à une
critique sociale cinglante.
Une Affaire de famille
fait donc le lien entre la veine sociale de Nobody
Knows et celle sociétale de sa filmographie récente. Nous y découvrons une
famille qui surmonte son dénuement matériel par de menus larcins enseignés au
plus jeune âge aux enfants. Le ton caustique rappelle la comédie italienne des
années 60 dans la caractérisation haute en couleur des protagonistes avec ce
père (Lily Franky) feignant, cette grand-mère (Kirin Kiki) vociférant de voir son
argent et domicile exploités par cette famille envahissante. Tous subsistent
dans une illégalité relative et des métiers précaires et/ou douteux mais la
survie sociale est l’élément qui les lie les uns aux autres – et peut-être même
le seul. L’introduction du personnage vulnérable de la petite fille permet de
faire resurgir cette interrogation sur ce qu’est une famille pour Kore-eda. La
fillette, trop jeune et innocente pour masquer ses sentiments sous un caractère
intéressé trouve parmi ces joyeux filous la chaleur et l’affection absentes de
sa vraie famille pour laquelle elle est un fardeau délaissé.
Toute la première partie définit ainsi l’espace des Shibata,
tout malhonnêtes qu’ils soient, comme un refuge à un monde extérieur hostile.
Cela fonctionne d’un point de vue sociétal avec les parents négligents de la
fillette et social notamment avec ce propriétaire lorgnant l’appartement de la
grand-mère si elle venait à disparaître. Ce rapprochement de circonstances
façonne donc une famille de fortune qui comme le révélera l’intrigue a
rencontré souffrance et/ou indifférence (la sœur cadette supposée être en
Australie) auprès de ses vrais parents. La survivance sociale nourrit ainsi les
manques intimes (on pense à ce pathétique client venant lorgner puis poser sa
tête sur les genoux d’Aki ((Mayu Matsuoka), la simple existence de ce type de
job en disant long sur le désœuvrement social au Japon) et tout comme les
orphelins de Nobody Knows, les parias
d’Une Affaire de famille se façonnent
le cocon de bonheur fragile que le monde leur a refusé.
On retrouve l’art de
cette plénitude suspendue chère à Kore-eda qui capture le temps qui passe,
l’insignifiant pourtant si crucial (la petite fille qui perd une dent) dans une
approche truculente (et presque latine d’où le rapprochement à la comédie
italienne et au néoréalisme évoqué plus haut) qui tranche avec son cinéma
habituel plus taiseux et évocateur. On
pense à la magnifique et joyeuse scène d’amour accompagnée d’une pluie d’été à
l’extérieur – et réminiscence d’une séquence similaire dans son premier film Maborosi (1995) avec ce même
environnement estival comme bulle éphémère.
Tout cela constitue cependant une parenthèse enchantée qui
se rompt par la fragilité non pas des liens noués, mais du regard extérieur. Le
doute et la défiance qu’entretient un jour tout enfant par rapport à ses
parents se confronte ici à la conscience que prend le fils de l’illégalité de
ses vols et du mauvais exemple donné à sa sœur (« Tu ne devrais pas lui faire
faire ça » lui dit un commerçant). Le doute qui empêchait l’accomplissement
total du lien filial (par la réticence à dire « papa ») rattrape donc les
personnages avec la bascule du récit de la chronique douce à une trame
judiciaire plus construite.
C’est après avoir figé ce bonheur à travers le
regard de la grand-mère (beaux adieux de la regrettée Kiki Kirin) lors d’une
scène de plage somptueuse que, tout comme dans Nobody Knows, un enterrement marque la reprise de pouvoir de la
réalité sociale. C’est là, alors que la proximité ayant façonné le lien est
rompue, que les protagonistes prennent conscience d’être réellement une
famille. Dans le bel épilogue, cela se résume au mot que l’on peut enfin
prononcer (« papa ») et plus tristement dans la solitude retrouvée d’un balcon,
livré à soi-même.
En salle
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