Keiko, mère
célibataire plutôt volage, vit seule avec ses quatre enfants, Akira, Kyoko,
Shigeru et Yuki. Ceux-ci, âgés entre cinq et douze ans, sont issus de quatre
pères différents. Tout ce petit monde emménage en cachette dans un appartement
plus spacieux (en effet, afin d'avoir le logement, Keiko doit faire croire au
propriétaire qu'elle n'a qu'un fils en lui cachant l'existence des trois autres
petits). Akira assume toutes les tâches ménagères, avec l'aide de sa sœur
Kyoko, pendant que leur mère travaille. Or, un jour, celle-ci ne revient pas du
travail et part rejoindre un nouvel amant. Les enfants sont alors livrés à
eux-mêmes.
Quatrième film de Kore-Eda, Nobody knows sera l’œuvre de la reconnaissance internationale et
celle qui définira magnifiquement sa thématique de l’enfance. Le film s’inspire
de "l'affaire des quatre enfants abandonnés de Nishi-Sugamo" fait
divers réel ayant fait scandale au Japon en 1988. Quatre enfants vécurent
livrés à eux même neuf mois durant à Sugamo (quartier de Toshima-ku à Tokyo)
jusqu’au décès du plus jeune de la fratrie. Kore-Eda s’inspire librement du
fait divers, en conservant le postulat tout en fictionnalisant les évènements. Sans
négliger le drame que va constituer la situation, l’idée sera de capturer la
proximité et les sentiments particuliers développés par les enfants durant
cette période de «liberté ».
La scène d’ouverture résume sans parole l’amour
irresponsable de cette mère (You) lors d’une scène d’emménagement où l’aîné Akira
(Yūya Yagira) est le seul enfant visible du voisinage tandis que le reste de la
fratrie aura fait le voyage dissimulé dans des valises. Akira, la cadette Kyoko
(Ayu Kitaura) et les deux benjamins Shigeru (Hiei Kimura) et Yuki (Momoko
Shimizu) sont issus de quatre pères différents. Leur très volage mère ne voit
finalement en eux qu’une réminiscence de ses aventures avortées et un fardeau à
son égoïste quête du bonheur. Kore-Eda dépeint ce rapport ambigu à travers la
prestation chaleureuse de You qui incarne une mère aimante à chaque fois qu’elle
est présente à l’écran.
L’ennui c’est précisément la rareté puis la disparition
de ces instants, les enfants étant livrés à eux-mêmes sans le moindre lien à l’extérieur
comme l’école. Lorsque la mère s’en ira pour ne plus jamais revenir, le réflexe sera donc la débrouille et le
repli autant par habitude que par crainte d’être séparé. Comme à son habitude,
le réalisateur s’astreint du moindre effet ostentatoire dans sa mise en scène
pour appuyer le drame - une simple tâche sur le parquet signifiant le vide
laissé par la mère absente. C’est le temps qui passe, les cheveux qui se
rallongent, les vêtements qui se font plus informes, l’insalubrité croissante
de l’appartement qui nous signalent le défilement des mois et d’une situation
qui se dégrade.
L’amour qui unit cette fratrie sera pourtant le fil rouge
qui permettra de tout surmonter. Akira endosse tant bien que mal les besoins
tant matériels que moraux du foyer, notamment lors de cette très belle scène où
il attend transi de froid la réduction d’un gâteau qu’il veut partager à noël
avec ses frères et sœurs. Le jeune Yūya Yagira offre une saisissante
prestation, oscillant entre l’innocence et d’une maturité faite d’empathie
gagnée progressivement par la lassitude de responsabilités précoces forçant son
entrée dans l’âge adulte. Chaque moment où il se laisse gagner par l’insouciance
naturelle de son âge aura des répercussions dramatiques, que ce soit sa mise à
l’écart d’une amitié éphémère avec des camarades superficiels ou une tragique
partie de base-ball finale. Le fait que les aînés soit plus conscients et marqués par l'absence rejoint d'ailleurs l'approche de L'incompris (1967) de Luigi Comencini, autre grand cinéaste de l'enfance. Kore-Eda sait pourtant accorder de rayonnantes
tranches de vie à ses jeunes protagonistes, on pense à cette scène où Akira
peut enfin s’oublier en trouver un ballon dans un parc où cette première sortie
collective à l’extérieur. La mise en scène de Kore-Eda capture ainsi sur le vif
le quotidien, dans un style documentaire où il se pliera aux déambulations,
réactions et caractères de ses acteurs pour saisir une réelle vérité de l’enfance.
Le propos de Nobody
Knows est également social, le réalisateur ayant voulu en partant du fait
divers dépeindre la réalité des enfants clandestins dans le Japon contemporain.
Cela se fera dans la piètre image que donnent les adultes, de la mère indigne
aux différents pères de la fratrie guère d’un grand secours. Plus globalement,
c’est dans l’apathie et l’indifférence urbaine ordinaire que le regard de
Kore-Eda se fait le plus incisif. Le dénuement d’Akira s’exprime dans les vas
et vient de courses toujours plus maigre, la vue en plongée de sa silhouette
isolée dans la même rue marchande illustrant bien l’absence d’intérêt du monde
qui l’entoure. La bienveillance possible se fait de manière éparses et anonyme
mais rend tout de même révoltant l’absence de prise de conscience d’un adulte
tandis que les réalités de la vie (factures, loyers impayés) rattrapent les
enfants. Il faudra rencontrer une autre solitude pour trouver une alliée
compréhensive avec la lycéenne brimée Saki (Hanae Kan) prête à se lier à ces êtres
aussi vulnérable qu’elle.
La solidarité et l’amour semblent donc être les seuls
remèdes face à cette carence émotionnelle, jusqu’à ce qu’un terrible drame
rattrapent les enfants. La sobriété avec laquelle l’amène Kore-Eda ne le rend
que plus intense, d’autant qu’il l’aura plus fait reposer sur un hasard
malheureux que le vrai fait divers à l’issue sordide. L’issue ne montrant pas
la découverte des enfants célèbre d’autant plus cette entraide fraternelle, ce refuge de l'enfance face
à la faillite d’une société tout en laissant le cœur serré quant à leur futur.
C’est un message que l’on peut retrouver en plus positif dans I wish (2011) et le plus récent et
magnifique Notre petite sœur (2015).
Le film bouleversera le Festival de Cannes 2004, le jury faisant de Yūya Yagira
le plus jeune acteur à remporter le prix d'interprétation masculine.
Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 vidéo
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