Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 11 avril 2016

Nobody knows - Dare mo shiranai, Hirokazu Kore-Eda (2004)

Keiko, mère célibataire plutôt volage, vit seule avec ses quatre enfants, Akira, Kyoko, Shigeru et Yuki. Ceux-ci, âgés entre cinq et douze ans, sont issus de quatre pères différents. Tout ce petit monde emménage en cachette dans un appartement plus spacieux (en effet, afin d'avoir le logement, Keiko doit faire croire au propriétaire qu'elle n'a qu'un fils en lui cachant l'existence des trois autres petits). Akira assume toutes les tâches ménagères, avec l'aide de sa sœur Kyoko, pendant que leur mère travaille. Or, un jour, celle-ci ne revient pas du travail et part rejoindre un nouvel amant. Les enfants sont alors livrés à eux-mêmes.

Quatrième film de Kore-Eda, Nobody knows sera l’œuvre de la reconnaissance internationale et celle qui définira magnifiquement sa thématique de l’enfance. Le film s’inspire de "l'affaire des quatre enfants abandonnés de Nishi-Sugamo" fait divers réel ayant fait scandale au Japon en 1988. Quatre enfants vécurent livrés à eux même neuf mois durant à Sugamo (quartier de Toshima-ku à Tokyo) jusqu’au décès du plus jeune de la fratrie. Kore-Eda s’inspire librement du fait divers, en conservant le postulat tout en fictionnalisant les évènements. Sans négliger le drame que va constituer la situation, l’idée sera de capturer la proximité et les sentiments particuliers développés par les enfants durant cette période de «liberté ».

La scène d’ouverture résume sans parole l’amour irresponsable de cette mère (You) lors d’une scène d’emménagement où l’aîné Akira (Yūya Yagira) est le seul enfant visible du voisinage tandis que le reste de la fratrie aura fait le voyage dissimulé dans des valises. Akira, la cadette Kyoko (Ayu Kitaura) et les deux benjamins Shigeru (Hiei Kimura) et Yuki (Momoko Shimizu) sont issus de quatre pères différents. Leur très volage mère ne voit finalement en eux qu’une réminiscence de ses aventures avortées et un fardeau à son égoïste quête du bonheur. Kore-Eda dépeint ce rapport ambigu à travers la prestation chaleureuse de You qui incarne une mère aimante à chaque fois qu’elle est présente à l’écran.

L’ennui c’est précisément la rareté puis la disparition de ces instants, les enfants étant livrés à eux-mêmes sans le moindre lien à l’extérieur comme l’école. Lorsque la mère s’en ira pour ne plus jamais revenir,  le réflexe sera donc la débrouille et le repli autant par habitude que par crainte d’être séparé. Comme à son habitude, le réalisateur s’astreint du moindre effet ostentatoire dans sa mise en scène pour appuyer le drame - une simple tâche sur le parquet signifiant le vide laissé par la mère absente. C’est le temps qui passe, les cheveux qui se rallongent, les vêtements qui se font plus informes, l’insalubrité croissante de l’appartement qui nous signalent le défilement des mois et d’une situation qui se dégrade.

L’amour qui unit cette fratrie sera pourtant le fil rouge qui permettra de tout surmonter. Akira endosse tant bien que mal les besoins tant matériels que moraux du foyer, notamment lors de cette très belle scène où il attend transi de froid la réduction d’un gâteau qu’il veut partager à noël avec ses frères et sœurs. Le jeune Yūya Yagira offre une saisissante prestation, oscillant entre l’innocence et d’une maturité faite d’empathie gagnée progressivement par la lassitude de responsabilités précoces forçant son entrée dans l’âge adulte. Chaque moment où il se laisse gagner par l’insouciance naturelle de son âge aura des répercussions dramatiques, que ce soit sa mise à l’écart d’une amitié éphémère avec des camarades superficiels ou une tragique partie de base-ball finale. Le fait que les aînés soit plus conscients et marqués par l'absence rejoint d'ailleurs l'approche de L'incompris (1967) de Luigi Comencini, autre grand cinéaste de l'enfance. Kore-Eda sait pourtant accorder de rayonnantes tranches de vie à ses jeunes protagonistes, on pense à cette scène où Akira peut enfin s’oublier en trouver un ballon dans un parc où cette première sortie collective à l’extérieur. La mise en scène de Kore-Eda capture ainsi sur le vif le quotidien, dans un style documentaire où il se pliera aux déambulations, réactions et caractères de ses acteurs pour saisir une réelle vérité de l’enfance.

Le propos de Nobody Knows est également social, le réalisateur ayant voulu en partant du fait divers dépeindre la réalité des enfants clandestins dans le Japon contemporain. Cela se fera dans la piètre image que donnent les adultes, de la mère indigne aux différents pères de la fratrie guère d’un grand secours. Plus globalement, c’est dans l’apathie et l’indifférence urbaine ordinaire que le regard de Kore-Eda se fait le plus incisif. Le dénuement d’Akira s’exprime dans les vas et vient de courses toujours plus maigre, la vue en plongée de sa silhouette isolée dans la même rue marchande illustrant bien l’absence d’intérêt du monde qui l’entoure. La bienveillance possible se fait de manière éparses et anonyme mais rend tout de même révoltant l’absence de prise de conscience d’un adulte tandis que les réalités de la vie (factures, loyers impayés) rattrapent les enfants. Il faudra rencontrer une autre solitude pour trouver une alliée compréhensive avec la lycéenne brimée Saki (Hanae Kan) prête à se lier à ces êtres aussi vulnérable qu’elle. 

La solidarité et l’amour semblent donc être les seuls remèdes face à cette carence émotionnelle, jusqu’à ce qu’un terrible drame rattrapent les enfants. La sobriété avec laquelle l’amène Kore-Eda ne le rend que plus intense, d’autant qu’il l’aura plus fait reposer sur un hasard malheureux que le vrai fait divers à l’issue sordide. L’issue ne montrant pas la découverte des enfants célèbre d’autant plus cette entraide fraternelle, ce refuge de l'enfance face à la faillite d’une société tout en laissant le cœur serré quant à leur futur. C’est un message que l’on peut retrouver en plus positif dans I wish (2011) et le plus récent et magnifique Notre petite sœur (2015). Le film bouleversera le Festival de Cannes 2004, le jury faisant de Yūya Yagira le plus jeune acteur à remporter le prix d'interprétation masculine. 

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 vidéo

 

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