Dans les années 1870,
deux jeunes maquignons acceptent de conduire un convoi de Mormons vers la
vallée de San Juan dans l’Utah. C’est vers cette "Terre promise"
qu’ils souhaitent se rendre avec leurs biens et leurs aspirations afin d’y
fonder une nouvelle colonie. Au cours de leur odyssée, ils vont devoir
affronter maintes péripéties, accueillir au sein de leur austère communauté une
maigre troupe de pathétiques saltimbanques et affronter de cruels hors la loi.
Wagon Master est
une des œuvres les plus attachantes de John Ford, et une de ses favorites dans
sa filmographie. Le récit prend un motif bien connu du western à savoir l’épopée
de pionniers vers la « Terre promise » dans cet Ouest abritant un
refuge pour tout américain en quête d’enracinement. Cela aura donné nombre de
grands classiques tel que Convoi de femmes (1951) de William A. Wellman entre autres. Nous suivrons ici un
convoi de mormons cheminant à travers le désert pour rejoindre la vallée de San
Juan dans l’Utah pour fonder une communauté prospère sur ces terres fertiles.
Les embûches rencontrées font parties des figures récurrentes du genre, entre
un climat hostile, des indiens navajos ou une horde de dangereux bandits avec
les frères Clegg. Pourtant Ford semble comme désamorcer tout le potentiel d’action,
d’épreuve et de tension inhérent à une telle odyssée pour proposer un récit
apaisé, nonchalant et presque ennuyeux pour celui venu chercher les sensations
précitées.
Ce n’est pas l’adversité qui liera les voyageurs mais bien
leur capacité à s’accepter, à s’entraider les uns et les autres. La notion de
collectif et de solidarité domine l’ensemble du récit et la caractérisation des
personnages. Les deux maquignons incarnés par Ben Johnson et Harry Carey Jr. acceptent
ainsi de conduire les mormons sans arrière-pensée et à la seule vue de la
difficulté qui les attends sans leur aide. Ford escamote un élément qui aurait
rendu cet altruisme plus crédible, les deux personnages jouant leurs revenus au
poker dans la scène précédente. La perte de leur mise aurait justifié le bon
geste mais au contraire ils gagnent et c’est de leur plein gré qu’il s’engage
dans l’odyssée. Un tel stratagème aurait développé une forme d’individualisme
pour les deux personnages alors que Ford fait reposer l’équilibre du convoi sur
une harmonie qui coule de source, où chacun a choisi d’être là et prêt à s’y
fondre. Le convoi est une entité aux personnalités contrastées néanmoins mais
marchant toutes dans le même sens.
Ford esquisse chacun des voyageur avec sa
bonhomie coutumière notamment un Ward Bond déterminé et colérique mais là aussi
toujours ramené à la raison quand il s’emporte, que ce soit par le révérend
lorsque les jurons pleuvent ou tout simplement par les évènements tel cette
invective injuste pour son cheval qui se cambre pour le protéger des sables
mouvants. Les éléments extérieurs sont vites ramenés à la raison par le regard
accusateur du collectif (le docteur usant de l’eau rare dans ce désert pour se
raser) mais aussi par des sentiments naissants avec la romance s’esquissant
entre Ben Johnson et Joanne Dru. Un Howard Hawks se serait régalé de l’opposition
entre le convoyeur rustaud et la saltimbanque séductrice mais là aussi Ford ne
s’y attarde pas. Les regards, attitudes et allusions font comprendre l’amour
naissant, les difficultés à l’exprimer se dévoilent par un simple éloignement
du collectif (Joanne Dru fuyant la demande en mariage de Ben Johnson) et son
accomplissement passe par la seule image avec Joanne Dru et Ben Johnson côte à
côte dans le charriot à la fin.
Un tel traitement aurait pu rendre l’ensemble austère mais
John Ford déploie un lyrisme apaisé qui irrigue l’ensemble du film. Les
magnifiques décors naturels n’écrasent jamais les voyageurs de leur majesté
mais semble les accompagner, bien présents mais jamais oppressant ni hostile –
voir la rapidité avec laquelle est réglée l’évocation de la soif. Le film reste
constamment à hauteur d’hommes, l’imagerie grandiose ne s’invitant que pour
célébrer ce collectif dans les somptueux plans d’ensemble où la communauté s’avance
dans le décor sous une lumière diaphane en entonnant des chants traditionnels.
Ford développe son traitement progressiste des indiens amorcé dans Le Massacre de Fort Apache (1948) ces
derniers représentant ce type d’entité unie par excellence. Les Clegg, bandits
en fuite qui vont intégrer le convoi sont définis bien plus sommairement dans
leurs attitudes et allures dégénérées, une anomalie à châtier et à éliminer –
avec la patience d’une maladie infectieuse, voir l’attente de l’isolement du
collectif justement pour s’en débarrasser. Une œuvre passionnante, apaisée et d’une
grande subtilité sous ses contours simples.
Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Montparnasse
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