Dans la campagne
écossaise du comté d'Aberdeen, peu avant la Première Guerre mondiale. Après la
mort de leur mère épuisée par les grossesses successives, les quatre enfants
Guthrie sont séparés. Les deux plus jeunes partent vivre avec leur oncle et
tante tandis que leur sœur, Chris, et leur frère aîné, Will, restent auprès de
leur père, John, un homme autoritaire et violent.
Terence Davies signe une de ses œuvres les plus accomplies
avec ce superbe Sunset Song qui allie
différentes veines de sa filmographie. Nostalgie d’une ère révolue,
enchantement et oppression d’une communauté, conflit familial et ode féminisme,
tous ces éléments se retrouvent sans pour autant faire effet de redite dans Sunset Song. Le film est l’adaptation du
roman éponyme de Lewis Grassic Gibbon,
classique de la littérature écossaise paru en 1932. Davies fut marqué par une
adaptation télévisée produite par la BBC dans les années 70 et rêvait depuis de
le transposer au cinéma. La première image voyant la silhouette de l’héroïne Chris
Guthrie (Agyness Deyn) surgir d’un champ de blé baigné par les rayons du soleil
résume presque le film avec cette signification de son appartenance à la terre.
Cette terre, c’est l’Ecosse rurale de l’avant Première Guerre Mondiale où elle
vit avec sa famille. Chris est autant imprégné par la beauté et la magie de ce
cadre qu’incitée à partir, rebutée par les mœurs rugueuses de ces habitants.
Aux extérieurs majestueux répond ainsi la brutalité d’un quotidien régit par un
père (Peter Mullan) tyrannique envers ses enfants qu’il brutalise et une épouse
épuisée par les multiples grossesses qu’il lui impose. La seule solution de s’émanciper
et s’évader de cet environnement semble être l’éducation pour Chris, brillante
élève aspirant à devenir institutrice. Lorsqu’au fil des tragédies et des
évènements Chris sera tout à la fois enchaînée et apaisée par cette campagne
écossaise. Tout le film repose sur ce rapport ambigu et changeant des
personnages. Peter Mullan incarne un terrifiant patriarche (réminiscence de
celui joué par Pete Postlethwaite dans Distant Voices, Still Lives (1988)) à l’attitude archaïque qui paradoxalement veut
que sa fille ait une éducation et utilise moissonneuse moderne dans la culture
de sa ferme. Plus tard Evan (Kevin Guthrie) sera un prétendant puis un époux
timide et prévenant avant de se muer en rustre violent après avoir subi les
horreurs de la guerre. Tout est fluctuant, le temps qui passe et les épreuves
transforment les hommes mais pas le rythme des saisons dans ce lieu-dit
imaginaire de Kinraddie.
Sunset Song est l’histoire d’une jeune femme qui apprendra à aimer sa région. Si les
humains failliront tout au long du récit, Terence Davies dépeint l’attrait de
Kinraddie par l’image et les sensations. Le réalisateur fait naître l’émotion
dans la simple ode exprimée par la grâce des images à cette nature, certaines
séquences étant tout simplement touchée par la grâce. Le déménagement de la
famille au début du film sur fond des champs du Glasgow Orpheus Choir déploie
un souffle romanesque par la seule force des images, tout comme cette lente
procession d’une communauté à travers un champ de blé dont l’ampleur se révèle
dans un somptueux cadrage. Dès que ces lieux sont englobés comme un tout, ils
dévoilent le meilleur de l’âme alors que l’individualité montrera toujours les
travers décevant de l’homme.
Davies le dévoile par l’intime le temps d’une aide
nocturne lorsque Chris tentera de rattraper des chevaux en pleine tempête ou
encore lors d’une magnifique scène de mariage. La solidarité et le folklore s’expriment
par la musique se rattachant toujours à l’émotion du souvenir et de la chaleureuse
promiscuité chez Davies. La musique a pour le réalisateur une dimension
nostalgique (d’autant plus dans les œuvres autobiographiques que sont Distant Voices, Still Lives et The Long Day Closes (1992) où il utilise
les classiques rattaché à son enfance) qui fait le lien entre passé et présent,
la force des chants traditionnels constituant la transmission entre les
générations tout en déployant une joie plus spontanée.
Tout en mettant en scène une héroïne ne quittant pas sa
région malgré sa soif de liberté, Sunset Song est une grande œuvre féministe
dans la lignée des réussites récentes de Davies que sont Chez les heureux du monde (2000) ou The Deep blue sea (2012). L’accomplissement, le bonheur et l’émancipation
ne reposeront pas que sur un départ impossible (celui du grand frère étant
dépeint avec envie et tristesse) mais dans une façon de tout recommencer,
autrement. Lorsqu’après un bonheur initial le monde extérieur corrompt son
époux à travers la Première Guerre Mondiale, Chris ne cèdera pas comme sa mère
à la barbarie du joug masculin. Conscient du fossé qui les sépare dans ce monde
changeant, Evan y répondra par un « sacrifice » qui donne lieu à une
séquence parmi les plus poétique et évocatrice jamais filmée sur la Grande
Guerre.
Agyness Deyn dont c’est seulement le troisième film est une vraie
révélation. On observe l’adolescente devenir femme, tant dans sa dimension
charnelle (superbes scènes où elle s’observe nue face à son miroir) que
spirituelle où sa force de caractère en fait un être tout différent de l’agneau
sacrificiel qu’était sa mère. A travers cette guerre lointaine et ces femmes s’assumant,
c’est un monde qui se transforme et le 21e siècle qui naît dans ces
contrées sauvages. Tout change et paradoxalement tout reste identique dans la
boucle que constituent l’ouverture et la fin du film. Le soleil nimbe de sa
lumière tombante les paysages de Kinraddie.
Disponible en bluray et dvd zone 2 français chez Rezo Films
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