Comme tous les ans
depuis quinze ans, la famille Yokoyama se réunit en mémoire du fils aîné,
Jumpei, décédé en sauvant un enfant de la noyade. C'est l'occasion de
ressasser, en toute convivialité, les souvenirs, les non-dits et les éternelles
rancœurs…
Kore-Eda signe à nouveau une merveille de justesse et de
sensibilité avec ce touchant Still
Walking. C’est un projet sur lequel le réalisateur penchait avant même Nobody Knows (2004), le film qui le
consacra mondialement. Un temps abandonné, le sujet refait surface alors que le
réalisateur a du mal à surmonter la disparition de sa mère. Ce sujet du deuil,
du remord et du regret est donc au cœur des questionnements de Still Walking même si Kore-Eda ne s’expose
frontalement qu’en toute conclusion lorsqu’on comprendra à quel protagoniste il
s’identifie dans le récit.
L’histoire se déroule dans une unité de temps et de lieu,
une journée d’été où va se retrouver la famille Yokoyama. Le contexte semble
ordinaire, paisible et anodin dans le montage parallèle montrant les
préparatifs des parents âgés et de leur fille avec le trajet du fils Ryota
(Hiroshi Abe) en route également avec son épouse (Yui Natsukawa) et son
beau-fils. Des signes avant-coureurs nous indiquerons qu’il ne s’agit pas d’une
réunion familiale comme les autres. Kore-Eda sème les indices à travers des
attitudes étonnantes (Ryota rechignant vraiment à passer ce moment avec ses
parents) et des dialogues d’une dureté inattendue. Ryota se défend ainsi avec
une sobre mais réelle véhémence d’être le fils aîné lors d’un échange avec sa
femme tandis qu’en parallèle sa mère (Kirin Kiki) dénigrera son mariage du fait
qu’il ait épousé une veuve et mère, une compagne de « sous-main ». L’ombre
de Junpei, frère aîné tragiquement disparu plane en effet sur les rapports complexes
de cette famille d’autant que ces retrouvailles se font pour commémorer son
décès.
Kore-Eda admet avoir moins mis en avant une certaine
esthétique documentaire et l’improvisation que dans des œuvres précédentes pour
une trame et des dialogues plus écrits. On retrouve néanmoins ce naturalisme sobre
où les conflits et rancœurs vont s’exprimer en creux. Le deuil insurmontable du
disparu se dévoilera ainsi à travers plusieurs approches selon le membre de la
famille concerné. Le père (Yoshio Harada) se réfugie dans un mutisme bourru et
l’isolement, ne pouvant plus exercer son métier de médecin alors que ce fils
absent aurait dû lui succéder. La demeure entière encore chargée de la présence
de Junpei, faisant de Ryota un étranger oppressé par chaque nombreuses allusion
son frère aîné au point de se voir destituer certains souvenirs de leurs
enfance par des parents idéalisant l’absent.
Une mine renfrognée, un regard à
la dérobée, un personnage quittant silencieusement une pièce ou un autre séparé
par le cadrage ou la profondeur de champs, c’est le non-dit qui domine pour
exprimer le malaise latent alors que concrètement le récit déroule les tranches
de vie anodine (repas, promenade, discussions amusée) et sans ressort
dramatique marqué. Kore-Eda laissera se dévoiler quelques moments plus tendus
mais ne cédera jamais à l’émotion trop démonstrative. Ce deuil constitue une douleur
profonde et lancinante avec laquelle il faut faire au quotidien.
Le meilleur
exemple en est ce personnage de mère incarnée par une enjouée et truculente
Kirin Kiki au rapport désormais contradictoire face à la filiation (distante avec
sa belle-fille sous sa bonhomie, souhaitant tour à tour avoir des
petits-enfants puis plus du tout) et capable de vrai cruauté en invitant à
chaque commémoration le garçon sauvé de la noyade par Junpei et ainsi maintenir
son remord. Des détails anodins réveillent révèlent le fossé séparant les
protagonistes (un simple achat de pyjama rappellera douloureusement le manque
de considération pour la belle-fille et son fils) et ravivent des plaies jamais
cicatrisées, la poésie de certains instants ne se délestant pas de ce spleen comme tel les apparitions de ce papillon jaune.
La sobriété de l’approche empêche le film de basculer dans une
tonalité réellement désespérée, d’autant l’ensemble n’est pas dénué d’espoir.
Le deuil ne semble pas seulement contenu mais éteint chez Astushi (Shohei
Tanaka), beau-fils de Ryota qui ne garde (ou feint de n’avoir) aucun souvenir
de son père. Kore-Eda dessine subtilement un nouveau rapport filial se nouer
entre Ryota et son beau-fils, réparant ainsi le lien rompu avec son propre
père. Astushi par son attrait pour le piano révèle sous l’indifférence qu’il
conserve une place dans son cœur pour ce père disparu tout en étant prêt à s’ouvrir
à ce beau-père encore étranger. Là encore le réalisateur excelle à faire passer
ces sentiments complexes par l’image seule, une scène de bain suffisant à
tisser la complicité entre beau-père et beau-fils.
La photo de Yutaka Yamasaki
fait baigner les environnements dans un naturalisme stylisée dotant d’un éclat
particulier et mélancolique la langueur de l’été, faisant ressortir les
couleurs de la nature environnante. La conclusion, à l’image du reste du film
(vision bucolique sur fond de sentiments tourmentés) offre une impression
contrastée. La réunion fut douloureuse même si l’amour n’a jamais disparu de
cette famille et ce deuil digne mais mutique figera les rapports dans le
non-dit. Néanmoins Kore-Eda semble miser sur l’avenir pour ne pas réitérer les erreurs,
la jeunesse étant l’état le plus propice pour ne pas se laisser happer par les
soubresauts de la vie. Sans s’inscrire dans l’ode à la plénitude juvénile que
seront I Wish (2011) ou le récent et
merveilleux Notre petite sœur (2015),
Kore-Eda imprime pourtant cette idée avec une vignette familiale chaleureuse et
intemporelle pour conclure le récit.
Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 vidéo
Bel article. Ce film est tellement bien...
RépondreSupprimerMerci Fabien, oui superbe je me régale à explorer sa filmo ces derniers après le gros coup de coeur que j'ai eu en salle pour le dernier "Notre petite soeur". Là j'ai Nobody knows sous la main qui devrait suivre :-)
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