Vincent Parry, condamné à perpétuité
pour le meurtre de sa femme, s'évade de prison. Sur son chemin, il
croise Irène Jansen, qui l'aide à passer un barrage de police. La jeune
artiste peintre qui a suivi le procès est convaincue que Vincent est
innocent. Recherché, Vincent décide dans un premier temps de fuir la
ville avant d'avoir recours à la chirurgie esthétique. Muni d'un nouveau
visage, Vincent entreprend de retrouver le coupable, mais les
évènements vont encore lui échapper...
Dark Passage
est l'occasion de retrouver pour la troisième fois à l'écran le
mythique couple Humphrey Bogart/Lauren Bacall après les célèbres Le Port de l'angoisse (1944) et Le Grand sommeil
(1946). C'est d'ailleurs la promesse de cette réunion et de son
potentiel commercial qui va convaincre la Warner guère motivée à
produire cette adaptation d'un roman de David Goodis dont s'est entiché
Bogart. C'est vraiment lorsque Bogart imposera son épouse que le projet
prendra forme (alors que Daves envisageait d'autres actrices) et si le
film n'eut pas le même retentissement que les précédentes associations
du couple, Dark Passage est un film noir des plus singulier.
Le film partage avec La Dame du lac
de Robert Montgomery sorti la même année l'usage novateur de la caméra
subjective se substituant au regard de son personnage principal. Nous
adoptons donc le point de vue de Vincent Parry (Humphrey Bogart)
fraîchement évadé de la prison de Saint Quentin où il était incarcéré
pour le meurtre de sa femme. Dès l'entrée en matière, l'atmosphère
anxiogène, l'urgence et la peur de l'homme traqué est palpable à travers
la mise en scène nerveuse de Delmer Daves. Les panoramiques arpentant
avec frénésie le décor, les raccords et gros plans agressifs nous
imprègne de la fébrilité de Parry, déformant l'environnement et rendant
monstrueux les individus rencontrés (parfois à raison avec cet
automobiliste trop curieux). Cet état altère aussi du coup la perception
du spectateur, le scénario prenant un malin plaisir à nous plonger dans
une intrigue tortueuse où alliés comme ennemis surgissent de manière
nébuleuse.
Pour les alliés on trouvera une Irène Jansen (Lauren Bacall)
apparaissant comme dans un rêve pour sauver le fugitif, et si pour elle
une explication sur son passé justifiera son comportement les rencontres
avec un taxi bienveillant et gouailleur (Tom D'Andrea) ou un inquiétant
chirurgien offrent des basculements étranges et inattendus. Le film est
imprégné d'une profonde paranoïa qui rend le surgissement du danger
tout aussi imprévisible, les protagonistes mal intentionnés pouvant
retrouver votre trace à tout moment, Daves osant les rebondissements les
plus grotesques où la cohérence prime moins que cette atmosphère
flottante et sans repères. Parry recroise ainsi la route de celle qui
est responsable de ses maux (Agnes Moorhead géniale de folie
malveillante) de manière incongrue, mais tout quidam relèvera de la
menace potentielle de façon totalement gratuite (le policier l'abordant
dans le snack).
Humphrey Bogart n'est visible à l'écran que dans
la dernière partie après un séance de chirurgie esthétique, sa présence
virile et pince sans rire ne pouvant s'incarner par le seul timbre
inimitable de sa voix (sachant qu'il sera même muet pendant une partie
du film) ou de son visage bandé. San Francisco est filmé comme une ville
fantôme par Daves, son héros sans visage traversant des ruelles
désertiques figurant constamment un labyrinthe mental insoluble (les
escaliers interminable que remonte puis redescend Parry à des moments
différents du film) qui permet au réalisateur d'expérimenter franchement
dans une tonalité cauchemardesque comme lors des visions de Parry après
son anesthésie.
On ne peut pas forcément associer le film au courant
psychanalytique du film noir puisque aucun personnage ne relève d'un
désordre mental (encore qu’Agnes Moorehead en tient une couche) mais ce
choix de la caméra subjective et son usage plie brillamment le ton du
film à un malaise latent où absolument tout peut arriver. Il en faudrait
peut pour que l'ensemble bascule vraiment dans l'abstraction et fasse
de l'ensemble une longue hallucination (y compris dans le happy-end qui
arrive un peu comme un cheveu sur la soupe). On peut se demander si John
Boorman a vu et s'est inspiré de ce film qui annonce Le Point de non-retour (1967). Une belle et déroutante réussite en tout cas.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
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