Au cours d'un match de
cricket qui se déroule dans une institution psychiatrique, l'écrivain Robert
Graves fait la connaissance de Charles Crossley, un pensionnaire étrange
présenté comme très intelligent. Alors qu'ils sont tous les deux dans une
cabane à compter les points de la partie, Crossley entreprend de lui raconter
son histoire. Grand marcheur, il dit avoir voyagé pendant dix-huit ans en
Australie où il apprit la magie d'un sorcier aborigène et acquit un pouvoir
terrible, le cri de terreur qui provoque une mort instantanée.
Troisième film britannique de Jerzy Skolimowski, Le Cri du sorcier est une œuvre fascinante
entremêlant la singularité polonaise du réalisateur (formé à l'École nationale
de cinéma de Łódź aux côté d’Andrzej Wajda et Roman Polanski pour lequel il
écrira Le Couteau dans l’eau (1962)
avant de lui emprunter le pas en Angleterre) et imagerie typiquement anglaise
imprégnée d’une terreur plus universelle. Le film est une adaptation d’une
nouvelle de Robert Graves dans laquelle Skolimowski trouve matière à exploiter
son thème de l’absence de communication, au cœur de son film le plus connu, la
romance adolescente Deep End (1967).
Le film joue à plusieurs niveaux sur la notion de mensonge
et de croyance. Ce sera d’abord à travers la narration avec ce récit en
flashback où le temps d’une partie de cricket dans un asile psychiatrique,
Crossley (Alan Bates) l’un des patients, narre son histoire folle à un auditeur
(Tim Curry) curieux. Vagabond mystérieux, il s’immisce dans l’intimité du couple
formé par Rachel (Susannah York) et Anthony Fielding (John Hurt). Ne sachant
par quel bout prendre l’inconnu, les Fielding laisse malgré eux Crossley poser
son emprise sur leur volonté. Le cadre rural paisible jure avec la silhouette
ténébreuse de Crossley qui fascine Anthony tout en mettant Rachel mal à l’aise.
Son passé étrange en Australie où il aurait passé dix-huit ans et appris la
magie noire attise la curiosité d’Anthony, d’autant plus pour ce musicien
expérimental lorsque Crossley lui révèle avoir appris un cri maléfique propre à
tuer tout auditeur malheureux alentour.
Cette question de mensonge et de croyance s’exprime donc à
la fois par la notion de point de vue mais aussi de la présence inquiétante de
Crossley dont l’attitude évoque autant la folie que de réelles aptitudes
surnaturelles. Skolimowski trouble nos repères par une narration dilatée dont
le montage expérimental rappelle le travail de Nicolas Roeg (on pense à Walkabout (1971) et Ne vous retournez pas (1973) notamment). Des inserts révèlent des éléments
de décors, d’objets, des embryons de rebondissements où l’on hésite entre
hallucinations, cauchemar et vrais flashforwards qui dessinent les contours d’un
piège absolument diabolique. Le Cri du
sorcier est tout à la fois un triangle amoureux oppressant qu’un récit de
soumission et d’addiction amoureuse et érotique. Crossley est un prédateur qui
devinant le quotidien terne du couple va poser progressivement les jalons d’une
machination implacable.
Une fois le film terminé la trame parait assez limpide et c’est
bien l’étrangeté instaurée par Skolimowski qui fait toute la force du film. Le
passé australien de Crossley (le meurtre de ses enfants et les coutumes de
mariages aborigènes) laissent peu à peu deviner ses objectifs et les apartés
les plus déroutants prendront sens de façon inéluctable non sans nous avoir
glacé le sang le temps de quelques séquences mémorables comme la démonstration
de force où Crossley use du cri. Les transitions bizarres et la mise en scène
tout à la fois flottante et précise du réalisateur contribue à la perte de
repères, renforcé par la mise planante et expérimentale de Mike Rutherford.
Skolimowski
ne signe pas une œuvre hermétique mais fait néanmoins confiance à l’intelligence
du spectateur en n’explicitant rien tout en semant les indices par la seule
image, notamment l’usage de reproduction de tableaux de Francis Bacon dont un
est « rejoué » par Susanna York pour nous faire comprendre à quel
point son corps et son esprit son désormais assujettis. Les acteurs sont tous
formidables : John Hurt joue de son physique malingre pour montrer à quel
point sa volonté est écrasée par la détermination (magique ou psychologique) d’un
Alan Bates taiseux et magnétique. Susannah York incarne à elle seul le
basculement du film, ménagère ordinaire et méfiante qui s’érotise peu à peu en
expression d’un sortilège amoureux ou magique où le regard se trouble, le corps
se dénude et l’attitude se fait provocante.
L’ambiguïté demeure jusqu’au bout, le flashback comportant
ses zones d’ombres (Crossley avouant dès le départ agencer les évènements à sa
guise) et le présent semant le doute (les interférences de la partie de cricket
provoquées ou pas par Crossley) jusqu’à un terrifiant final où l’on ne sait s’il
est dû au forces de la nature ou aux forces occultes avec l’ultime
manifestation du cri. Une chose sûre cependant avec la dernière scène, ce désir
violent nous aura emmenés aux confins d’une folie maladive.
Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Elephant
Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Elephant
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