Saint-Tropez, été
1967. Deux jeunes hommes se retirent un mois – sans leurs compagnes – dans la
propriété prêtée par un ami commun, isolée en bord de mer. Une inconnue,
invitée également, finit par occuper l'essentiel de leurs pensées, les
troublant autant par sa beauté que par son indépendance et sortant en ville
chaque soir avec un nouvel inconnu.
La Collectionneuse
est le troisième volet des Contes moraux
d’Éric Rohmer après La Boulangère de
Monceau (1963) et La Carrière de Suzanne (1963). Rohmer
envisageait initialement de tourner Ma
nuit chez Maud mais se verra refuser l’avance sur recettes pour ce projet. Il
se rabat ainsi sur La Collectionneuse
qu’il va tourner en amateur mais dans des conditions avantageuses avec du 35 mm
et la couleur. L’intrigue développe les figures récurrentes des contes moraux
(désir, fidélité, inconstance masculine) mais à l’aune des révolutions
sexuelles des années 60. Cette modernité est représentée par le personnage de
Haydée (Haydée Politoff) tandis que les codes sociaux dépassés sont incarnés
par Adrien (Patrick Bauchau) et Daniel (Daniel Pommereulle) avec lesquels elle
partage une maison le temps d’un été.
Les prologues introduisant les trois protagonistes
définissent leur caractérisation à venir. Haydée apparait ainsi dans toute sa
beauté simple et scrutée sous toutes les coutures, en maillot de bain sur une
plage. A l’inverse nous découvrons Daniel dans une pure logorrhée narcissique
et Adrien dans un environnement superficiel auprès d’amis creux (l’attachement
à la beauté affirmé par le dialogue) et de sa fiancée. La cohabitation dans la
maison confronte donc les mœurs amoureuses très libre de la jeune Haydée
(partant et revenant avec un amant différent chaque soir) sous les yeux
faussement indifférents d’Adrien et Daniel. Le minois juvénile d’Haydée exprime
un détachement finalement très adulte et libre de ses désirs tandis que les
deux hommes sous leur regard inquisiteur adopte une attitude enfantine masquant
difficilement leur attirance. Le triangle amoureux voit donc la jeune femme
triompher constamment face à l’immaturité masculine.
Dans la lignée du
prologue, la théâtralité est de mise dans les attitudes de Daniel, forcées dans
l’indifférence, le mépris ou la colère calculée (la scène face à l’acheteur d’art)
en faisant un petit garçon qui recherche l’attention. Le plus intéressant est
cependant Adrien qui à travers la voix-off se façonne tout un fantasme
mensonger où Haydée le désire secrètement et où il se doit de la rejeter.
Rohmer adopte donc constamment une distance où Haydée est souvent filmée en
amorce et à la dérobée, évoquée tout en étant absente à l’image (les nombreuses
fois où Adrien passera devant la porte de sa chambre) et parfois c’est tout
simplement la moue moqueuse de la jeune femme qui constituera un mystère
insoluble pur ces hommes habitués à dominer. Ainsi chaque élan machiste se
heurte au mur de l’insouciance d’Haydée sourde à leurs insultes, à leur
tentative de se « l’échanger », où même d’une nuit d’amour ressort
son indépendance plutôt qu’une domination masculine – notamment par l’image
avec ce plan de jambes enlacées de Daniel et Haydée.
Le jeu de séduction s’avère donc très plaisant par l’attirance
contrariées et infantile d’Adrien, vulnérable et repoussé quand il assume son
attirance, calculateur et sournois quand il la nie intérieurement. C’est une
fois de plus l’espièglerie de la jeune femme qui semblera rompre les
inhibitions bourgeoises d’Adrien mais cette volonté ne tient qu’à un fil, celui
de la faiblesse masculine qui voit comme toujours le héros rohmerien se
dérober. Le réalisateur montera une première version muette et en noir et blanc
du film que son ami Barbet Schroeder présente à différents producteurs dont Georges
de Beauregard (producteur emblématique de la Nouvelle Vague) qui complètera le
financement et en assurera la distribution. Le film malgré une sortie limitée
en France obtient l’Ours d’Argent au Festival de Berlin pour une première vraie
reconnaissance internationale de Rohmer. Fort de ce nouveau prestige l’avance
sur recette est enfin obtenue pour Ma
nuit chez Maud, quatrième volet célébré des Contes Moraux.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Potemkine
Je suis tombée par hasard sur ce film et j'ai adoré le mélange d'érotisme intellectualisé et donc tout en théories fumeuses élaborées des deux cotés hommes ou femme; avec beaucoup d'humour, il faudrait que je le revois car je ne me rappelle plus de la fin ...
RépondreSupprimerBelle analyse de ce qui reste à mes yeux l'un des films les plus délicieux de Rohmer. Ce marivaudage plein de fausses certitudes qui seront mises en déroute. Et l'inoubliable prestation de Patrick Bauchau.
RépondreSupprimerE.