Dans le sud des
Etats-Unis, en 1840. A la tête d'une plantation, le vieux et riche Maxwell,
souhaitant perpétuer la dynastie, oblige son fils Hammond à se marier avec sa
cousine Blanche. Mais Hammond la délaisse lorsqu'il apprend qu'elle n'est plus
vierge. Blanche se réfugie alors dans les bras d'un puissant Mandingue.
La filmographie versatile de Richard Fleischer témoigne à
merveille de toutes les mues thématiques et esthétiques du Hollywood classique. Le
réalisateur s’illustre ainsi initialement dans le film noir à petit budget (L'Assassin sans visage (1949), L'Énigme du Chicago Express (1952)),
prend le train de la superproduction en scope (Vingt mille lieues sous les mers (1954), Les Vikings (1958)) tout en se montrant capable d’aborder avec un
même brio tous les genres (le film de guerre avec Le Temps de la colère (1956), le péplum dans Barrabas (1962), ou encore la science-fiction sur Le Voyage fantastique (1966)). Le seul
vrai fil rouge thématique dans cet éclectisme vient sans doute de ses études de
psychiatrie qui l’amèneront à scruter le mal dans des études cliniques
s’inscrivant au sein d’une passionnante série de thriller (Compulsion (1959), L’étrangleur de Boston (1968), L’étrangleur de la place Rilington (1971)…). Mandingo
vient en quelque sorte conclure une des périodes les plus inspirées de
Fleischer, où il endosse pleinement les audaces permises par l’émergence du
Nouvel Hollywood avec une forme novatrice (L’étrangleur
de Boston et son usage du spli-screen) et des sujets audacieux (le
quotidien policier de Les Flics ne dorment pas la nuit (1972) et l’anticipation alarmiste de Soleil vert (1973)).
Mandingo est au
départ une commande du producteur Dino de Laurentiis qui décèle tout le
potentiel commercial sulfureux du best-seller éponyme de Kyle Onstott paru en 1957.
Richard Fleischer et son scénariste Norman Wexler (qui de Serpico (1973) à La Fièvre dusamedi soir (1977) parvient à inscrire tous ses script des années 70 dans
une vraie conscience sociale) sans se délester de la dimension controversée du
matériau original en ont cependant définit une approche rigoureuse tant dans le
fond captivant que dans la forme qui l’empêche de céder aux facilités
potentielles du film d’exploitation. L’idée de Fleischer est notamment de
montrer de manière réaliste le Sud esclavagiste et le quotidien d’une
plantation. Il s’agit là de démonter l’imagerie flamboyante de ce Sud vu en paradis perdu dans
Autant en emporte le vent (1939),
film emblématique de la caractérisation des noirs durant l’âge d’or en tant
qu’êtres stupides, infantiles et satisfaits de leur condition soumise.
Mandingo explore donc les recoins
inexplorés ou furtivement évoqués d’autres œuvres traitant de la question raciale
tout en cherchant constamment à être un négatif d’Autant en emporte le vent – et ce dès son affiche sorte de pastiche
scandaleux du film de 1939. La scène
d’ouverture est d’ailleurs un décalque sordide du film de Fleming durant laquelle les chants
exaltés des esclaves et la découverte spectaculaire de la plantation en donnait
une aura mythologique sur le score grandiloquent de Max Steiner. Chez Fleischer
l’entrée en matière se fait par une vue austère de la plantation Maxwell tandis
qu’un blues lancinant de Muddy Waters se fait entendre, avant que le sort des
esclaves ne s’illustre par une sordide scène de vente où la
« marchandise » est scrupuleusement examinée.
Parmi les visions récentes et redevables au film de Fleischer, Django Unchained (2012) de Quentin Tarantino n’hésitait pas à montrer l’horreur qui se trouvait pourtant atténuée par la dimension revancharde du film. Il en va de même pour Twelve years a slave de Steve McQueen (2015) où la tonalité de mélo appuyé accompagnait les situations les plus violentes avant l’apaisement final. Fleischer procède différemment en montrant l’abject dans un déroulé naturel – tant dans l’acceptation des noirs que dans la désinvolture des blancs - qui s’avère bien plus choquant comme ce petit garçon servant de tapis humain destiné à soulager les rhumatismes de James Mason. Les Maxwell père et fils ne sont que les rouages d’un système dont ils ne sont même pas les pires spécimens. Le lien étrangement affectueux (et qui nourrissait aussi Autant en emporte le vent) entre maîtres et esclaves est bien là même si la peur n’est jamais loin, notamment avec le personnage de Lucrèce Borgia en matrone de la plantation.
Tout le film met en parallèle contradictoire les blancs et
les noirs. La supposée race supérieure est criblée de tares physiques et mentales
entre Warren (James Mason) vieillard rongé de rhumatisme, Hammond (Perry King)
traînant une patte folle depuis un accident de cheval enfant, et enfin son
épouse Blanche (Susan George) jeune femme instable et alcoolique. Les seuls
moments où les blancs se montreront sous un jour positif seront lorsqu’ils
dépasseront ce racisme naturel envers les noirs. Ce sera le cas dans la romance
entre Hammond et Ellen (Brenda Sykes), notamment leur première scène d’amour où le
rapport dominant/dominé est biaisé par ce que chacun voit de plus profond chez
l’autre. On l’observera aussi dans le lien entre Hammond et l’esclave mandingue
Mede (Ken Norton), acquisition de prestige. La perfection physique de Mede
répond au handicap d’Hammond, l’esclave et le maître dérivent vers une
affection mutuelle qui culmine lors du sauvage combat mandingue. Tout le
dysfonctionnement de cette société s’exprime là avec Hammond exploitant Mede
puis cherchant à stopper le combat par compassion en le voyant en difficulté.
Touché de l’attention Mede se déchaîne et fini par vaincre son adversaire.
C’est cette monstruosité mêlée d’ambiguïté qui rend le film si passionnant car
ne cédant pas à un manichéisme explicite.
C’est le message de la conclusion cathartique, où la
rébellion des esclaves en filigrane (l’esclave renégat Cicéron (Ji-Tu Cumbuka)
est d’ailleurs un ajout de Fleischer par rapport au livre) explose enfin tandis
que la bienveillance factice de l’homme blanc vole en éclat où le racisme se
mêle à un machisme meurtrier. Le film sera un vrai succès commercial
(engendrant une suite opportuniste avec Drum
de Steve Carver l’année suivante) mais provoquera un énorme scandale qui
marquera un vrai coup d’arrêt à la carrière de Richard Fleischer qui ne
retrouvera plus ces hauteurs.
Sorti en bluray et dvd zone 2 chez Studiocanal
Bonsoir. Film enfin vu il y a un mois sur le cable. Je dis enfin car je connaissais la réputation sulfureuse et je ne m'attendais pas à ça. Franchement, on comprend pourquoi J'ai été choqué dés le début du film par ce traitement vis à vis des noirs traités soit comme des animaux ou des objets sexuels, et tout ceci montré avec un grand naturel. On peut comprendre que c'était normal et que cette "violence" correspondait à la réalité de cette société esclavagiste mais certaines scènes et certains dialogues sont durs à voir et à entendre en 2018 ! Un film de cette sorte ne pourrait certainement plus se faire de nos jours. Un film qui m'a mis mal à l'aise je vous l'avoue.. et je trouve quand même suspect le succès commercial qu'a eu ce film à sa sortie. Est-ce pour de bonnes raisons ?
RépondreSupprimerPour le succès commercial il semble que le livre était une sorte de roman de gare un peu putassier que le traitement sérieux de Fleischer a un peu anobli malgré tout - mais qui promettait un spectacle d'exploitation bien excessif au spectateur.
SupprimerEffectivement le film serait presque impossible à refaire tel quel aujourd'hui. "Django Unchained" rattrape ses excès (bien corsés aussi) par l'utopie de la vengeance et "12 year a slave" aussi par son final plus lumineux. Je trouve justement intéressante l'approche de Fleischer qui nous plonge dans une fange sans espoir avec naturel, ça mets mal à l'aise en usant du contexte contemporain permissif pour ne lésiné sur aucune horreur.
merci de votre réponse. Je suis toutefois content de l'avoir vu car j'adore Richard Fleischer.Ca m'en fait un de plus.*
RépondreSupprimerGrand film, pour moi c'est l'anti "Autant en emporte le vent" (déjà comparer les affiches du film, avec une connotation carrément sexuelle et transgressive pour le film de Fleisher) parce que Mandingo colle à la réalité de ce qui a été l'horreur du ramassage de coton (tout bénéfice totalement raciste pour les propriétaires) et de l'esclavage à cette époque aux U.S.A.,alors que "Autant..." n'est qu'une histoire d'amour (et encore) sans aucun plan sur les plantations, bref ce que les américains voulaient voir à cette époque.
RépondreSupprimerEt que certains continuent de nier ou de prétendre nécessaire à l'expansion de ce pays (Hello Trump !!). J'aime aussi beaucoup R.Fleischer (Les Flics ne dorment pas la nuit, par ex.) et je trouve très courageux d'avoir fait ce film en 1975, à Hollywood, ce qui dans l'absolu est aussi très tardif par rapport aux évènements évoqués.
De plus, l'implication de James Mason dans ce film fait aussi qu'il a bravé des interdits implicites de cette époque, he was a great man and actor.
RépondreSupprimerJustin a d'ailleurs précisé plus haut très justement: " Il s’agit là de démonter l’imagerie flamboyante de ce Sud vu en paradis perdu dans Autant en emporte le vent (1939), film emblématique de la caractérisation des noirs durant l’âge d’or en tant qu’êtres stupide, infantiles et satisfaits de leur condition soumise."
RépondreSupprimer."...redevables au film de Fleischer, Django Unchained (2012) de Quentin Tarantino n’hésitait pas à montrer l’horreur qui se trouvait pourtant atténuée par la dimension revancharde du film. Il en va de même pour Twelve years a slave de Steve McQueen (2015)."
RépondreSupprimerA nouveau citation de Justin plus haut, ces deux films n'arrivent pas à la cheville de "Mandingo" de part sa puissance évocative.