Chicago 1924. Deux
jeunes étudiants, Judd Steiner et Arthur Straus, commettent un crime
inexplicable, motivé par la conviction de leur supériorité intellectuelle et
sociale sur le monde et entraînés par l'étrange relation qui les unit. Ils sont
persuadés d'avoir commis le crime parfait, mais un détail les trahit. Risquant
la peine de mort, ils sont défendus par un célèbre avocat, Jonathan Wilk.
Dans la carrière touche à tout de Richard Fleischer, l’une
des rares thématiques récurrentes concernera l’exploration de la figure du
serial-killer. Chaque approche de Fleischer se montre originale et singulière,
donnant pour le plus classique et efficace dans le pur film noir (Assassin sans visage (1949)), le
thriller (Terreur aveugle (1972))
puis dans le plus stylisé (L’étrangleurde Boston (1968) et clinique (L’étrangleurde la place Rilington (1971). A travers ces traitements très différents
Fleischer oscille entre approche frontal où le tueur est une menace invisible
et terrifiante (Assassin sans visage
et Terreur aveugle) et une autre plus
trouble, où l’angoisse naît d’une exploration psychologique entretenant pour le
spectateur une inconfortable proximité avec cette figure du mal (L’étrangleur de Boston et L’étrangleur de la place Rilington). Compulsion se situe dans cette seconde
veine, d’autant qu’il inaugure les transpositions de vrais faits divers pour
Richard Fleischer. Le film illustre ainsi le même crime qui inspira La Corde (1948) à Alfred Hitchcock, lorsqu’en
1924 les étudiants Leopold et Loeb assassinèrent froidement un jeune adolescent
par pure démonstration de leur supériorité intellectuelle avec un crime
parfait. Hitchcock tout en conservant ce thème en avait surtout fait un exercice
de style technique avec un film entièrement en plan-séquence, cette distance
étant permise du fait qu’il adaptait la pièce Rope's Play de Patrick Hamilton inspirée des faits réels. Fleischer
se base lui sur le roman Crime de Meyer
Levin qui avait suivi de près les évènements.
L’approche de Compulsion
s’équilibre entre une facette psychologique dans la première partie puis plus
judiciaire dans la seconde. On s’attarde d’abord sur la relation
dominant/dominé entre Judd (Dean Stokwell) et Artie (Bradford Dillman), dangereusement
attirés par la réalisation d’un meurtre et grimpant graduellement dans les
larcins jusqu’à l’irréparable. Cet attrait du mal se manifeste différemment
pour chacun d’eux. L’assurance et une nature extravertie témoigne du complexe
de supériorité d’Artie, la logorrhée étant la surface la plus visible d’un
passage à l’acte imminent puis de son assouvissement. Judd au contraire exprime
cet égo de façon plus contenue et froide, sur une base plus intellectuelle (la
joute verbale avec le professeur sur Niszche) mais se montrera plus vulnérable
dans l’intime. Artie croit en sa supériorité, est fier de son milieu nanti et
extériorise ce sentiment par ses attitudes jamais éloignée de la démence à l’image
de la scène d’ouverture où il manque d’écraser un ivrogne en voiture.
Son
sourire carnassier s’oppose ainsi à la présence craintive de Judd dont l’attirance
homosexuelle est évoquée de manière sous-jacente dans les dialogues mais
surtout dans son attitude et sa dépendance/soumission à son camarade pour
franchir le pas criminel. C’est vraiment cet aspect qui intéresse Fleischer, le
film se caractérisant par une totale absence de suspense et notamment en ne
montrant pas le meurtre du duo. Ce sont les failles psychologiques habilement
développées qui perdent les criminels en herbe. Judd fébrile laisse des indices
qui feront remonter la piste aux enquêteurs quand Artie trop confiant joue un
jeu amical dangereux avec les journalistes auxquels il suggère de fausse piste.
L’égocentrisme et la fragilité forment un fissurant l’égo des meurtriers
rattrapés par leurs actes dans un déroulement remarquable.
La seconde partie fait donc intervenir Orson Welles en
avocat chevronné en charge de leur éviter la peine de mort. Le propos humaniste
et social du personnage permet de mettre en valeur tout le charisme et l’éloquence
d’Orson Welles pour un constat magistral. Au même titre que des origines
pauvres peuvent guider plus facilement vers un destin criminel, un milieu nanti
est susceptible de façonner des profils psychologiques instables. Judd tourne
mal par rejet de ses origines quand celles-ci confortent Artie dans son sentiment
d’impunité.
Ce n'est pas en se basant sur les accusés que la plaidoirie tente de
tempérer leur sentence, mais en questionnant les bas-instincts de l’accusation
qui en se croyant supérieures cette fois moralement exige la peine de mort. La
réflexion est passionnante, filmée avec sobriété par Fleischer et
magnifiquement interprétée par Welles. Fleischer pose déjà ce regard singulier
sur le mal qu’on trouvera dans L’étrangleur
de Boston et L’étrangleur de la place
Rilington, partagé entre le recul inquiet de celui qui l’observe et la folie de
celui qui l’exécute.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Rimini
Encore une des grandes réussites de Fleischer, passionnant par la minutie de sa reconstitution qui reste pourtant toujours intensément cinématographique et pas documentaire. Vu qu'une fois, mais j'en conserve une impression vraiment durable, jusqu'au morceau de bravoure final de la plaidoirie d'un Welles au sommet. On comprend pourquoi ce fait divers a ainsi pu si souvent fasciner les réalisateur (jusqu'à Barbet Schroeder). Mais c'est vrai que Fleischer s'est régulièrement distingué dans ce genre, qu'il aborde dès La Fille sur la balançoire.
RépondreSupprimerE.
Pour Barbet Schroeder tu parles de "Calculs meurtriers" ? Bien vu très bon film je n'avais pas fait le rapprochement (et pas vu le Hitchock ni le Fleischer à sa sortie) mais oui c'est exactement le même sujet. Un fait divers inspirant effectivement !
SupprimerOui, bon "Calculs meurtriers" rabaisse un peu vite ses prétentions et reste plutôt au niveau de son "JF partagerait appartement".
RépondreSupprimerEt là je suis en train de reconsidérer ta personne : tu aurais l'âge de quelqu'un susceptible d'avoir vu "The rope" à sa sortie ????
E.
Lol non je me suis mal exprimé je voulais dire que quand j'ai découvert le Schroeder en salle je n'avais pas encore vu La Corde et Le Génie du mal ^^ Pas encore immortel !
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