Joey Wellman, habitant
de Cleveland, auteur d'un comic-strip « syndiqué » un peu oublié, Hepp Cat, se
rend en France où est organisée une exposition sur le thème de la bande
dessinée. Sa réelle motivation est de retrouver sa fille Elsie étudiante depuis
deux ans à Paris où elle fuit la culture américaine, qu'elle abhorre, et son
père, qui en est un produit typique. Joey propose à sa fille de venir passer le
week-end à la maison de campagne d'un brillant intellectuel parisien rencontré
le soir même : l'intellectuel en question n'est autre que Christian Gauthier,
spécialiste de Flaubert à qui Elsie tente en vain de faire lire sa thèse.
I Want to Go Home
est une des œuvres les plus incomprise et mal-aimée d’Alain Resnais. Remis en
selle par le succès de Mélo (1986),
le réalisateur décide pour son projet suivant de signer un film témoignant
de son attrait pour la comédie musicale et évoquant les rapports entre la France et
les Etats-Unis. Il décide de collaborer au scénario avec Jules Feiffer,
homme-orchestre auteur de roman, pièces de théâtre ou déjà quelques scripts
pour le cinéma. Mais surtout, Jules Feiffer est célèbre pour son travail dans
la bande-dessinée avec des comic-strip écrits et dessinés pour le New Yorker, Playboy, Rolling Stone et
aussi son travail d’historien du Huitième art avec The Great Comic book heroes, un des premiers essais sérieux sur la
bande dessinée. Resnais bien que féru de bd n’y voit pas un sujet possible pour
le film et Feiffer articule d’abord son script sur l’idée d’un ancien
combattant revenant sur les lieux du Débarquement. Cette approche est finalement
abandonnée pour une trame redonnant une place centrale à la bd dans une comédie
sautillante.
I Want to Go Home
est certes une ode à la bande dessinée mais qui l’utilise surtout comme prisme
d’une thématique plus profonde. Dans un premier temps Resnais en use comme une
figure de fossé culturel entre la France et les Etats-Unis. L’américaine Elsie
(Laura Benson) fuit donc ainsi son pays, l’étroitesse provinciale de sa ville
de Cleveland et la culture vulgaire de son pays (symbolisé par les bd de son
père) pour une France fantasmée dans ses grandes figures littéraires (Flaubert,
Racine, Jean-Paul Sartre…). Son père Joey (Adolphe Green) vient la voir après
deux ans d’exil sous prétexte d’une exposition sur la bd et au contraire dès
ses premiers pas en France semble prêt à rebrousser chemin face aux mœurs locales
rugueuses. Enfin l’intellectuel Christian Gauthier (Gérard Depardieu) voue une
admiration sans faille à Joey et à cette culture américaine loin du snobisme de
l’intelligentsia parisienne.
Tout dans l’entrée en matière très enlevée vise à
figer les personnages dans un cliché. L’américaine à Paris cherchant
maladivement l’assimilation pour Elsie, à l’inverse le touriste américain
critique et craintif sur tout ce qui le dépayse pour Joey et enfin le mondain
désinvolte et volubile avec Gauthier. Ces archétypes se prolonge avec leur
entourage, voir cette exposition bd où se côtoient une Geraldine Chaplin
superficiellement en extase, John Ashton caricature du réalisateur américain
alcoolique bas du front et quelques snobs dénigrant ce qu’ils voient pour
toujours les comparer aux « arts majeur ». Resnais donne donc dans la
comédie de situation enlevée mais assez prévisible (les taxis parisiens
forcément odieux) avant de révéler ses véritable intentions.
Tous les archétypes ne s’articulent que dans des scènes
collectives (Joey perdu dans Paris, la scène de vernissage) ou solitaire
laissant le protagoniste fantasmer le pire comme le meilleur. Ce seront les
séquences intimistes qui révèleront que plus qu’une culture ou un pays, c’est
la peur de l’oubli qui fait courir les personnages. Cette facette s’exprimera
pour chaque personnage de façon tour à tour bienveillante puis douloureuse. L’attitude
détestable de Joey s’estompe lors de la belle scène où il narre son parcours de
cartoonist à Gauthier, que Resnais ponctue d’ellipse en forme de case arrondie
de bd. Son art se fige ainsi dans un passé révolu (où il se plait à citer ses
contemporain comme Herriman, Eisner,
Spiegelman ou Al Capp, références qui ne parleront d’ailleurs pas au public
français d’où l’échec commercial) alors qu’on apprendra qu’il n’est presque
plus édité aux Etats-Unis et notamment dans sa ville de Cleveland.
Elsie fuit
quant à elle inconsciemment la douleur de la séparation de ses parents dont
elle ne s’est jamais remise et voit la France et sa culture comme un refuge à
ses manques affectifs. Pour chacun d’eux la rancœur et la culpabilité s’affiche
dans les bulles dessinée surgissant dans le cadre avec les personnages honnis/adorés
de Joey, le Hep Cat et Sally Cat (dessiné par Feiffer). Resnais tisse des
moments cruels (la scène de l’appartement où elle rejette son père, celle elle
se cache à la sortie de vernissage) puis touchant pour l’exprimer telle cette
belle séquence où Elsie fond en larmes devant la bienveillance maternelle de la
bourgeoise Micheline Presle. Cette attirance/rejet des personnages s’illustre
aussi dans l’esthétique de leurs environnements, à mi-parcours la grisaille
parisienne laissant place à la campagne et ce château surgissant de la brume
comme dans un conte.
En filigrane l’amour de la bd et culture américaine de
Gauthier se comprendra mieux aussi dans cette seconde partie où l’on découvre l’aristocratie
provinciale dans laquelle il a grandi et ses moyens d’y échapper. Ce cadre clos
et cette unité de temps avec un bal costumé de personnages de bd rejoue
finalement une variante moderne de La
Règle du jeu (1939) en témoignant d’un monde en déliquescence. Il s’agira
moins ici de la société que du monde intérieur que se sont façonnés les
personnages dans les clichés entrevus durant la première partie. Comédie de
boulevard, marivaudage et les moments intimes plus attendrissants, tout y passe
sans être toujours réussi. Le personnage du réalisateur américain gueulard et
alcoolique est définitivement trop caricatural (républicain fan de Reagan en
plus du reste, peut-être conçu sur le modèle de Peckinpah semble-t-il) et
alourdit grandement l’ensemble. Par contre les rencontres et retrouvailles
inattendues qui (re) nouent des liens sont magnifiques. Elsie grimée en Titi
peut redevenir la petite fille que réconforte son père dans une cache d’enfant,
Joey et son aigreur attendrit l’aristocrate blasée Micheline Presle pour un
délicieux moment de romantisme décalé.
Le leitmotiv et titre du film I Want to Go Home exprime surtout une
volonté des personnages de trouver leur place, dans un ailleurs inconnu où qu’ils
ont toujours connu. L’endroit où l’on s’est traîné de force devient celui de l’amour
et de l’apaisement pour Joey dans un superbe final où le langage du dessin
transcende celui de la langue dans une belle communion collective. Ce lieu qu’on
voulait fuir s’avère le seul vrai où s’épanouir réellement pour Elsie. Resnais
emprunte finalement une forme plus virevoltante et lumineuse pour évoquer des
thèmes voisins de son Providence
(1977), Mon oncle d’Amérique (1980)
ou L’Amour à mort (1984). L’égo, la
destinée, le spectre de la mort et de l’oubli, tout cela peut se surmonter par
un grand éclat de rire masquant l’angoisse dans I Want to Go Home. Imparfait certainement (et gros échec commercial
à sa sortie) mais un des Resnais les plus attachant.
Sorti en dvd zone 2 français chez Mk2
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