Rupert Pupkin, un
artiste comique sûr de ses capacités, tente désespérément de percer dans le
milieu du show-business. Mais il se fait constamment rejeter par le milieu
professionnel. Il éprouve une grande admiration pour la star des plateaux de
télévision Jerry Langford, qu’il harcèle sans arrêt. Lorsque celui-ci le
rembarre violemment à son tour, Rupert décide alors de le kidnapper.
Des personnages torturés pliant la réalité à leurs attentes
et/ou névroses par des comportements hors-normes, voilà qui un sujet qui est de
Taxi Driver (1977) au Affranchis (1990) en passant par Shutter Island (2010), au cœur de l’œuvre de Martin Scorsese. King of Comedy sera une illustration
singulière de cette thématique en voyant le réalisateur s’attaquer à sa
première comédie. Le scénario du
journaliste de Newsweeks Paul
Zimmerman attire tout d’abord l’attention de Robert de Niro qui propose à Scorsese
de le réaliser vers 1974. Celui-ci n’y trouve pas de vrai intérêt ou
implication personnels, ne se considérant pas en tant que réalisateur en quête
ou directement sous les feux de la rampe. Ce n’est qu’après avoir traversé et
évacué son propre enfer personnel avec le cathartique Raging Bull (1980) que Scorsese voit réellement la portée du sujet
et décide de le réaliser. Le film prendra une dimension d’autant plus méta avec
le casting de Jerry Lewis qui de par son parcours comique, cinématographique et
télévisé symbolise la synthèse des problématiques du film.
Jerry Langford (Jerry Lewis) incarne ainsi l’idole, le
mentor possible et surtout le modèle à dépasser pour l’aspirant comique Rupert
Pupkin. Scorsese met en parallèle l’angoisse d’être au centre des
attentions et celle de ne pas l’être. Cela nourrit une attitude taciturne et la
solitude pour le présentateur vedette Langford, et une attitude insistante et
névrotique avec Rupert Pupkin. Scorsese isole un Langford aspirant à la
tranquillité et dont les environnements intimes (l’appartement, la maison de
campagne) joue sur un vide s’opposant au trop plein d’attention de son métier d’amuseur,
que ce soit les plateaux télé où les hordes de fans le harcelant en dehors.
Pupkin cherche au contraire à remplir le vide de son existence morne, en fantasmant
sa célébrité (le remplissage étant littéral avec les affiche et silhouette de
ses idoles dans son appartement) dans des recréations de talkshow, en admirant
de loin les stars (la collection d’autographe) et surtout en les poursuivant
pour avoir sa chance.
Une des audaces du film est de rendre la star franchement
antipathique alors que le fan ambitieux se dote d’un surprenant capital
sympathie. De Niro s’ouvre ainsi à un jeu et des personnages plus fantaisistes
qui l’éloignent d’une certaine image intimidante lui collant à la peau par ses
précédents rôles. L’excentricité de Pupkin transpire de sa tenue vestimentaire
et son look, une logorrhée qui agacera plus d’un interlocuteur et cette
insistance où le harcèlement n’est jamais loin. Scorsese trouve le juste
équilibre entre la dimension attachante du personnage avec une facette
inquiétante qui ne se devine que par la subtilité du jeu de de Niro (l’intonation
changeante de Pupkin quand il demandera à l’assistante si le rejet de ses
maquettes est du fait de Langford).
Les « fans » sont plus
pathétiques que menaçant dans cette adoration surmontant une inadaptation à la vie pour Masha (Sandra Bernhard) où un
manque de reconnaissance pour Pupkin. Leurs attitudes en présence de Langford reflètent
d’ailleurs ce qu’ils recherchent en lui. Marsha laissera son trop-plein d’émotion
l’envahir face à Langford à sa merci, Sandra Bernhard (elle-même issue du monde
du stand-up) laissant libre court à une géniale improvisation dans la gestuelle
imprévisible et le phrasé saccadé. A l’inverse pour Pupkin, Langford n’est qu’un
tremplin vers sa propre célébrité. Seul le feu des projecteurs l’intéresse, ce
que l’on comprend par son rejet des conseils à se faire la main sur scène. Plus
qu’une carrière comique, c’est d’être vu coûte que coûte par des millions de
spectateur qui l’anime.
Scorsese se déleste de la tension et de l’urgence qui ont
fait sa gloire jusque-là, rendant sa mise en scène moins visible pour la plier
aux ressorts de la comédie. La subtilité est donc de mise pour traduire le fantasme
puis sa concrétisation chez Pupkin et qui n’existe que par le prisme de l’écran
de télévision, celui où tout le monde peut l’admirer. Ainsi les rêveries « en
coulisse » où il s’imagine se faire proposer l’émission par Langford ne
laisse deviner leur facticité que par un jeu sur la durée des plans et le
montage. Par contre dès qu’il se voit en star du petit écran, Scorsese change
la texture de l’image pour lui faire adopter celle d’un écran de télévision.
Le
procédé sert à illustrer tout d’abord sa revanche imaginaire (le mariage
célébré par son ancien directeur de lycée), celle effective où il est seul sur la
scène télévisée et enfin le triomphe final où il semble être parvenu à ses
fins. Scorsese coupe d’ailleurs la séquence (enregistrée quelques heures plus
tôt) de son numéro, sans intérêt s’il n’est pas vu par tous. C’est donc quand
il se rendra dans un bar pour se regarder avec le public à la télévision que l’image
peut reprendre les contours de l’écran cathodique. Mal reçu et incompris à l’époque,
La Valse des pantins s’avère
désormais visionnaire des excès des « 15 minutes de célébrités »
chères à Andy Warhol.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta
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