En 1942, le
major-général Clive Wynne-Candy (Roger Livesey), chef de la Home Guard,
supervise un exercice de défense de Londres. La guerre est censée commencer à
minuit, mais les soldats anglais chargés de jouer les Allemands décident
d'ouvrir les hostilités plus tôt. Le major-général est fait virtuellement
prisonnier dans un bain turc par le Lieutenant Spud Wilson qui mène les
opérations du camp allemand. Wynne-Candy laisse éclater sa fureur et met en
avant qu'une telle insubordination n'aurait pas été tolérée quarante ans
auparavant, l’époque où l’on revient aux
des premiers exploits de Clive Wynne-Candy.
Michael Powell et Emeric Pressburger signent une de leurs œuvres
les plus audacieuses avec ce Colonel
Blimp. Les duettistes des Archers devaient au contexte de cinéma de
propagande anglais leur association et leur premières réussites majeures.
Cependant à l’instar de nombreux films produits durant cette période et soumis
au même cahier des charges patriotiques, ils surent s’en démarquer que ce soit
par un certain regard critique envers leurs congénère anglais ou l’absence de
manichéisme dans la vision de l’ennemi allemand pas uniformément maléfique (L’Espion noir (1939), Le 49e Parallèle (1941) ou Un de nos avions n’est pas rentré (1942)). Colonel
Blimp va pousser cette logique dans ces derniers retranchements avec ce
portrait d’un militaire bien éloigné de l’hagiographie. Au départ le Colonel
Blimp est un personnage de bande dessinée crée par le satiriste David Low et
publié dans le London Evening Standard.
Le personnage est une caricature destinée à moquer les manières des classes
supérieures, Low l’illustrant en chauve moustachu et rondouillard déclamant de
grandes opinions politiques décalées de la réalité alangui dans la vapeur d’un
sauna.
C’est donc avec stupeur que le producteur Arthur Rank se
voit exposer l’idée d’adapter Colonel Blimp au cinéma, dans un climat général
totalement à contre-courant de cette tendance satirique. Le scénario brillant d’Emeric
Pressburger et la promesse d’avoir Laurence Olivier dans le rôle-titre convainc
cependant Rank mais le projet va rencontrer de nombreux écueils. Winston
Churchill ayant eu accès au scénario par l’intermédiaire du Ministère de le la
guerre (qui doit donner son accord à l’usage de matériel militaire) voit le
film d’un mauvais œil et va notamment empêcher la démobilisation de Laurence
Olivier. Powell se rabat ainsi sur Roger Livesey, un autre contretemps
dramatique voyant Wendy Hiller (victime d’une fausse couche dans un
bombardement) remplacée par la débutante Deborah Kerr qui aura la lourde tâche
d’endosser les trois grandes figures féminines du récit.
Powell joue sur deux tableaux dans ce retour vers le passé.
Formellement on donne dans une imagerie flamboyante où le faste des décors et
la mise en scène rattache ces temps glorieux à un certain romantisme et une
dimension rêvée. Les mouvements de caméras nous faisant découvrir le restaurant
et l’orchestre participent à cette ampleur et se conjuguent à l’apparat élégant et
fantasmatique de Mlle Hunter (Deborah Kerr) jeune anglaise installée à Berlin,
guide et motif de la visite de Blimp. A cette beauté formelle s’ajoute l’autre
caractéristique rattachée à ce passé, l’importance de l’honneur dans l’expression
du conflit. La prise de bec avec le propagandiste débouche ainsi sur une scène
de duel à l’épée où Powell s’attarde de manière moqueuse sur tout le protocole
qui précède ce règlement de compte de gentlemen. L’absurdité de l’instant est
également saisie dans les visages étrangers des deux adversaires, Blimp et Théo"
Kretschmar-Schuldorff (Anton Walbrook) dépêchés là pour des motifs qui les
dépasse sans être de vrais ennemis l’un pour l’autre. Conscient de cet absurde quand
le combat débute, la caméra de Powell s’élève en laissant disparaître les
combattants dans un fondu enchaîné laissant place à une vision féérique de
Berlin enneigée. L’image se rapproche de celle d’une boule à neige et renforce
cette idée de passé rêvé et romanesque. Le lien entre les époques peut alors
révéler ces premières ébauches à travers l’amitié naissante entre Blimp et
Theo, l’attachement simple dépassant la barrière de la langue, du drapeau et au
final de la rivalité amoureuse quand Theo sortira vainqueur du triangle
amoureux formé autour de Mlle Hunter.
Powell moque son héros essentiellement dans ce qui se
rattache à son identité anglaise (le montage délirant où s’alignent les
trophées muraux des safaris de Blimp à travers le monde) quand il pose un
regard tendre sur sa nature dépassée et sentimentale. Cette approche se trouve
renforcé dans la seconde partie se déroulant au crépuscule de la grande Guerre
en 1918. Blimp est désormais un officier mûr qui représente déjà un vestige
pour ses interlocuteurs, ce qu’on saisit en deux moment-clés. Ce sera tout d’abord
quand il fera face à l’incompétent agent de transport américain au front, ce
dernier se montrant distrait face à ses récriminations et Blimp lui signifiera
les campagnes auxquelles il a participé et où pareille désinvolture n’aurait
pas été tolérée. Après son départ les jeunes américains moqueurs s’interrogeront
sur ses guerres inconnues dont Blimp a bien pu leur parler. L’autre révélateur
sera plus sombre quand Blimp interrogera un groupe de prisonnier allemand de
manière ferme mais courtoise, sans obtenir d’information. Là encore après son
départ, on constate sa manière dépassée de faire la guerre quand son second
(vétéran des guerres sud-africaine) se montrera nettement plus menaçant dans
son interrogatoire et laissant entendre qu’il n’hésitera pas à recourir à la
torture pour avoir satisfaction – ce qu’une scène plus tardive laisse entendre
avec les informations arrachée d’une manière ou d’une autre mais restée
invisible au naïf Blimp. Ces « méthodes » semblent pour l’instant
uniquement attribuées aux allemands mais le mal infuse et la guerre selon le
code d’honneur du gentleman tend déjà à disparaître. Là encore l’amour et l’amitié
tendent à être les seules valeurs auxquelles se rattacher. Blimp croise alors
un double de la femme qu’il n’a jamais oubliée avec l’infirmière Barbara
(Deborah Kerr) qu’il épousera et renoue malgré la fraîcheur du conflit et le
climat de défaite avec son vieil ami Théo.
Le travail sur les décors est
également une réflexion sur l’opposition entre l’idéal romanesque et le présent
sombre qui guide le film. Les ténèbres, un décor studio boueux et des
matte-painting accentuant les visions de désolation bénéficient de l’inventivité
d’Alfred Junge pour nous montrer le théâtre de la guerre. La démesure d’un
intérieur d’église fige la rencontre de Blimp avec Barbara et perpétue son
obsession. Le verdoyant Yorkshire qui voit s’épanouir leur romance est décuplé
par le technicolor subtil de George Perinal. Le contexte fragilisant la
relation Blimp/Théo est brillamment traduit formellement aussi. Le cadre
élégiaque et musical des retrouvailles ne fera pas oublier qu’il se déroule
dans un camp de prisonnier et suscite alors la froideur de Théo. Enfin la
réconciliation aura lieu dans une sorte de mausolée de cet Ancien Régime, la
salle à manger de Blimp qui présente Théo à un groupe d’amis militaire de haut
rang. Tandis qu’ils rassurent Théo dépité sur le comportement de l’Angleterre vis-à-vis
de l’Allemagne, ce dernier n’est pas dupe et voit déjà la misère et les dérives
à venir de sa patrie. La guerre et l’ère des gentlemen semblent bien révolues
et s’arrêtent désormais à des mots auxquels on ne croit plus.
La mélancolie domine ainsi la dernière partie contemporaine.
Blimp et son esprit chevaleresque est un anachronisme face aux méthodes
déloyales de l’ennemi nazi, ce qu’il comprendra par son éviction en douceur et
son incrédulité face à la roublardise des jeunes turcs n’ayant cure que « la
guerre commence à minuit ». Le visage de Deborah Kerr est à la fois celui
du souvenir et de cette jeunesse qui le dépasse, l’actrice incarnant pour
conclure Angela, chauffeur de Blimp. Le personnage de Théo se montre tragique
et bouleversant pour exprimer les épreuves qu’il a surmontées (incroyable
prestation d’Anton Walbrook dans la confession où il narre comment il a tout
perdue dans cette Allemagne nazie) sa lucidité et surtout son amour pour sa
possible patrie d’adoption (où l’on devine encore plus la voix d’Emeric
Pressburger).
C’est donc lui, le refugié allemand, qui devra ouvrir les yeux de
son ami anglais et lui faire comprendre que pour vaincre la Bête nazie, le code
d’honneur n’a plus lieu d’être – élément qui fera parmi d’autres grincer les
dents de Churchill. Powell articule ce cheminement en amont, tissant une
mélancolie des figures amusantes d’antan (l’ellipse sur les trophées de chasse
ne vient plus combler le vide d’un chagrin d’amour de jeunesse mais sur le
deuil de son épouse pour notre héros) et la redite de la conclusion par
rapport l’ouverture ne prête alors plus
à rire en ayant suivi le parcours de Blimp au fil de ces quarante années.
Acceptant sa nature de fossile, le vieillard en souvenir du chien fou qu’il fut
va même se montrer bon perdant et inviter à dîner son vainqueur. C’est pourtant
bien la tristesse de la conscience du temps qui passe - même quand il emprunte les traits magnifiques de Deborah Kerr - qui imprégnera par-dessus
tout cette magnifique conclusion.
Trop universel en ces ères manichéennes, le film sera
incompris à sa sortie et sera longtemps uniquement visible dans une version
amputée de 20 minutes et à la narration chronologique qui en enlève la portée.
Il faudra attendre les années 80 et une restauration dans sa version d’origine
pour en refaire un des plus beaux et poignants films de Powell et Pressburger.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta
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