Le Pr Laborit donne un
cours sur le fonctionnement du cerveau et ses conséquences sur le comportement.
Parallèlement, trois personnages que tout sépare vivent, souffrent, évoluent,
se croisent. Janine, Jean et René n'ont
a priori rien en commun. Pourtant, ces trois personnes vont se rencontrer.
Janine, fille d'un militant communiste, est comédienne. Elle devient la
maîtresse de Jean, haut fonctionnaire marié. René, fils de paysan breton, a
choisi de travailler dans l'industrie et a, peu à peu, gravi les échelons.
Mon oncle d'Amérique
est la première des trois collaborations d’Alain Resnais avec le scénariste
Jean Gruault avant La vie est un roman
(1983) et L'Amour à mort (1984).
Comme toujours avec le réalisateur le projet repose sur une expérience visuelle
et narrative inédite, l’objectif étant ici de traduire par l’image les concepts
anthropologiques du professeur Henri Laborit. Celui-ci s’était fait connaître
pour ses travaux révolutionnaires dans la psychiatrie et la neuroscience et
Alain Resnais s’applique à en déployer une forme de vulgarisation à travers l’outil
cinématographique. Le début du film sera ainsi assez déroutant par une mise en
parallèle schématique des concepts de Laborit avec l’introduction des
personnages qui permettront de les éprouver en situation. La voix-off du
scientifique accompagne des images animalières et de laboratoire, le montage
alterné présentant tout aussi machinalement (sur une voix-off féminine de
Dorothée) la biographie complète de Jean Le Gall (Roger Pierre), René (Gérard
Depardieu) et Janine (Nicole Garcia). Cette mise en place neutre devient plus
prenante au fil des destins des personnages appliquant les théories
scientifiques. La construction même du récit obéit à cette idée : le
principe du cerveau reptilien (le plus instinctif, commun à tout le règne
animal et assurant les réflexes de survie) lors des scènes d’enfance où se
construit la personnalité des héros à travers leur premières expériences, le
cerveau limbique (commun à tous les mammifères, celui de la mémoire, qui guide
notre comportement) réaction du précédent et qui laisse apparaître les affects
positifs comme négatifs et enfin le néocortex (propre à l’humain qui permet
d'associer des idées provenant d'expériences plus abstraites) qui viendra
complexifier la donne dans la dernière partie.
Resnais parvient à éviter toute lourdeur grâce à une
narration certes déroutante mais toujours prenante. Entre le bourgeois Jean Le
Gall, le fils de paysan René et la fille de militant communiste et comédienne
Janine, on traverse trois milieux sociaux très différents qui permettent d’appliquer
par la fiction (et l’humain) les cheminements de pensée d’Henri Laborit. Le
personnage de Jean Le Gall dégagera tout le film la dimension à la fois rêveuse
issue du cerveau reptilien (les souvenirs d’enfance sur son île l’attachement à
son grand-père qui l’y amenait) et le déterminisme du cerveau limbique (l’exigence
scolaire des parents, la culture de ce milieu bourgeois). Il en va de même pour
René dont la ténacité et l’envie d’ailleurs tient de l’agression permanente se
dégageant de son éducation rurale, sa réussite professionnelle adulte tenant de
sa volonté de la quitter mais également les angoisses qui en naîtront en se
pensant constamment menacé, en sursis.
Enfin le goût du travestissement, le
plaisir de capter l’attention de Janine vue dès ses jeux de petite fille
amorcent sa carrière mais aussi la théâtralité avec laquelle elle affronte les
situations personnelles (la dispute avec Le Gall où elle lui demande de l’enfermer
après une dispute). Resnais fonctionne également par association d’idées, en
plus des inserts scientifiques s’ajoutant des extraits des comédiens favoris
des personnages là aussi pas attribué au hasard : Jean Gabin pour le prolo
René, Danielle Darrieux pour le distingué Jean Le Gall et Jean Marais pour la
maniérée Janine.
C’est une manière très originale de venir perturber une
narration classique avec ce surlignage/explication scientifique qui donne un
tour ludique et amène autant une hauteur amusée (le mimétisme entre Depardieu
et le directeur rival dans l’usine) qu’une empathie marquée, la prestation
écorchée et sobre de Gérard Depardieu étant particulièrement touchante. Le
risque aurait pu être qu’en endossant une totale croyance dans les concepts de
Laborit, Resnais cède à une démonstration mécanique du pouvoir du cerveau. Il n’en
sera rien car illustrer ces théories est pour lui un moyen de s’amuser avec les
codes narratifs plus qu’un moyen d’imposer une idée. Dans Providence (1977) par exemple après avoir célébré la toute-puissance
du créateur dans la première partie, il en montrait les limites avec l’envers
réel du décor où les failles affectives du héros se révélaient. Il en va de
même ici où la complexité de l’esprit humain et les situations imprévisibles
auxquelles il peut être exposé perturbe un comportement attendu.
Après une
longue expérience sur un rat en cage soumis à des chocs électriques, Laborit
dépeint l’apprentissage de la punition/douleur par l’animal qui
sait désormais l’anticiper et la fuir. Resnais le contredit pourtant dans la
scène suivante où Jean Le Gall retrouve Janine sur l’île quelques années après
leur rupture et où après l’avoir tout d’abord fuit (échaudé par la manière dont
elle l’a rejeté) il accepte finalement la promenade qu’elle lui propose,
ranimant brièvement la complicité d’antan. Cet instinct de protection prend un
tour plus alambiqué aussi à travers le mensonge d’Arlette Le Gall (Nelly
Borgeaud) feignant la maladie incurable pour récupérer son époux. L’attitude
soumise renvoie paradoxalement à un instinct de survie inapplicable à un rat
passant d’une cage à une autre.
Les idées de Laborit s’avèrent passionnantes de bout en bout
notamment la manière dont les inhibitions de la civilisation nous rendent plus
vulnérables et se répercutent à des maux physiques et psychologiques typiquement
modernes (développement croissant d’une cellule cancéreuse, dépression
nerveuse). C’est comme si l’Homme payait cette conscience qui le rend plus
complexe par des troubles qui lui sont propre aussi. Là aussi c’est illustré
avec brio par Resnais, faisant surgir le mal-être physiologiquement (les coliques
néphrétiques de Jean Le Gall après son renvoi de Radio France) comme
mentalement (la tentative de suicide de René). Janine (magnifique Nicole
Garcia) est sans doute le personnage qui l’exprime le mieux, le dépit amoureux
autorisant toutes les dérives pour le laissé pour compte. Le travail sur le
montage d’Albert Jurgenson est impressionnant, sachant aussi bien déployer la
veine la plus expérimentale que le classicisme romanesque et il se réinvente
après les prouesses réalisée sur Je t’aime,je t’aime (1968) ou Providence.
Le guide des affects de l’Homme pour Resnais repose
finalement sur la nature insaisissable de ces attentes et déceptions. C’est là
que s’explique cet étrange titre de film, Mon
Oncle d’Amérique. Pour le travailleur engoncé dans sa condition, l’Oncle d’Amérique
est la funeste légende de celui qui a rêvé et échoué. Pour l’actrice Janine, c’est
le fantasme des feux des projecteurs et Jean Le Gall le nanti un idéal qu’il
est certain de toucher du doigt. Le film sera un des plus grands succès
commerciaux (1,3 millions France) et critique (Prix Méliès en 1980, Prix
FIPRESCI et Grand Prix Spécial du Jury du Festival de Cannes 1980, nomination à
l'Oscar du meilleur scénario original pour Jean Gruault en 1981) d’Alain
Resnais, tout en dégageant une polémique entre Henri Laborit et la communauté
scientifique qui n’avait pas compris que la magie du film repose sur le ressenti
plus que l’explication rationnelle.Un précurseur du Vice Versa de Pixar ?
Sorti en dvd zone 2 français chez Mk2
Well said, sauf que les références d'acteurs (reflets de leur inconscient ?), pour Nicole c'est Jean Marais et pour Roger Danielle Darrieux...
RépondreSupprimerLes extraits courts de films sont d'ailleurs judicieusement insérés au cours des phases d'angoisse ou de colère des personnages. Depardieu et Gabin ça le fait !!
Ah oui j'ai inversé, effectivement c'est bien vu pour chacun d'eux. L'élégante distinction de Danielle Darrieux pour Roger Pierre, le théâtral Jean Marais pour Nicole Garcia et Gabin/Depardieu on ne pouvait pas trouver mieux. Les inserts sont toujours bien vus !
SupprimerLes moments sur l'île (où Jean Le Gall a passé son enfance) sont très beaux, Quand Janine et lui s'y retrouvent par hasard (?) après leur rupture (basée sur la ruse de la femme de Jean), quand elle marche dans l'eau comme pour lui affirmer qu'elle a été trompée et qu'elle l'aime toujours (c'est du moins ce qui m'est apparu, cela fait un moment que je ne l'ai pas revu), l'intermède comique lors de la partie de chasse (bien sûr Roger Pierre a des ressorts comiques acquis sur scène), quand Jean évoque son enfance...
RépondreSupprimerComme tu le dis, Nicole Garcia est en état de grâce.
Oui c'est vraiment un des plus beaux moments du film, Resnais y montre le côté plus imprévisible de l'esprit humain et s'affranchit de la démonstration scientifique pour privilégier l'émotion. Les hésitations à avouer le motif de la rupture, tout comme la nostalgie qui se dégage de la scène (et visuellement c'est somptueux) en font vraiment une scène superbe.
Supprimer