Un homme, rescapé d'un
naufrage, se retrouve seul sur une île tropicale. Après avoir découvert le
lieu, le naufragé organise sa survie. Observé par les crabes et se nourrissant
de fruits, l'homme apprivoise son environnement. La végétation de l'île lui
permet bientôt de se construire un radeau. Mais ses multiples tentatives pour
quitter le lieu sont empêchées par une force sous-marine qui s'en prend à son
embarcation. L'homme découvre bientôt que l'animal qui a détruit son esquif est
une tortue à la carapace rouge...
La Tortue Rouge
est une œuvre qui a suscité la curiosité avant sa sortie en étant le premier
film occidental coproduit par le Studio Ghibli puis la surprise au Festival de
Cannes 2016 où il obtint la Caméra d’or dans la catégorie « Un certain
regard ». Pourtant pour l’amateur d’animation le néerlandais Michael Dudok
de Wit n’était pas un inconnu puisqu’il fit sensation il y a 20 ans déjà avec
son premier court-métrage Le Moine et le
poisson (1996), récompensé d’un César et nominé aux Oscars. La mélancolie,
la tonalité contemplative et la temporalité suspendue, tout se trouvait déjà
dans ce premier essai. Il rencontrera un même plébiscite avec son second
court-métrage, Père et fille (2000)
récompensé au Festival d’Annecy, vainqueur d’un Oscar et qui dessine les mêmes
contours dans une veine plus touchante encore. En 2004, Michael Dudok de Wit
est membre du jury du Festival d’Hiroshima et y fait la rencontre d’Isao
Takahata (Le Tombeau des Lucioles
(1988), Pompoko (1994)…) avec lequel
il sympathise et aura la surprise de le compter parmi les spectateurs d'un colloque qu’il
donne deux ans plus tard au Festival de Séoul. On suppose donc que c’est
Takahata qui aura poussé Ghibli à une collaboration, Dudok de Wit recevant en
2006 carte blanche pour un projet commun.
Le réalisateur réfléchit alors depuis longtemps à la
thématique d’un homme seul sur une île déserte, non pas dans un récit de survie
éculé mais plutôt dans l’idée de creuser le sillon du longing, cette attente et spleen intemporel qui parcoure l’ensemble
de ses court-métrages. Le processus d’écriture sera cependant très laborieux,
le scénario et les premières ébauches visuelles se lançant dès 2007. Michael
Dudok de Wit va prendre conscience que son scénario est trop détaillé, alors
que le longing ne fonctionne que dans
une épure qui laisse les sensations se propager de manière diffuse dans une
veine purement contemplative. La contribution de Pascale Ferran (Lady Chatterley (2006), Bird People (2014)) sera ainsi décisive
pour affiner le récit et atteindre l’équilibre délicat attendu. La Tortue Rouge
fonctionne sur un motif de ligne claire à la fois formelle et narrative qui se
révèle progressivement. Le film s’ouvre par le chaos des flots qui propulse le
héros sur une île déserte à la faune et au panorama très dépouillé.
Le
minimalisme de l’intrigue et l’épure de cet environnement semblent tout d’abord
s’opposer à l’activité et au mouvement permanent de l’homme. Le tumulte de la
civilisation l’agite encore dans sa pressante exploration de l’île, dans l’urgence
de construire un radeau pour quitter les lieux. Cette séparation s’illustre
plus concrètement dans une scène de rêve avec la nuit de l’île est en noir et
blanc et son échappée comme une impasse. Ce n’est qu’à travers une harmonie de
son être avec les lieux que l’homme pourra s’accomplir mais la violence du
monde moderne le poursuivra une dernière fois lorsqu’il s’attaquera par dépit à
une immense tortue rouge ayant détruit son radeau. Ce n’est que lorsque les
regrets l’assailliront pour cette violence qu’il se montrera prêt à changer. La
magie peut alors opérer, la tortue devenant une belle jeune femme dont il
faudra gagner la confiance avant de pouvoir l’aimer.
Le thème musical de Laurent Perez del Mar se fait entêtant
pour désormais accompagner les sentiments d’une trame déroulant la quête d’une
vie. Le mystère et l’incertitude expriment la solitude de l’homme dans le
silence et un espace apparaissant comme austère et étranger. Avec la romance cette
ligne claire de formes et de couleurs se révèle dans son entier poétique. La
mer synonyme de séparation et la faune hostile deviennent les éléments du jeu
de séduction et apprivoisement mutuel (la femme tortue attendant dans l’eau,
l’homme l’observant derrière un buisson). Visuellement le réalisateur navigue
entre épure et naturalisme qui convoque autant les travaux d’un Moebius que
justement ceux du Studio Ghibli, la simplicité « dessinée »
des visages des personnages se conjuguant à la richesse de la composition de
plan, d’un choix de couleur finement travaillé via le numérique. L’humain
s’inscrit dans l’univers désormais familier de l’île pour de magnifiques idées
visuelles et narrative comme l’explication de la civilisation que fait l’homme
à son fils avec un dessin sur le sable.
Le panorama limité de l’île rapidement exploré dépeint
finalement une boucle pour un récit jouant sur la répétitivité. Le jeune fils
traversera ainsi à son tour les mêmes lieux, trébuchera aux mêmes piège et
ressentira à son tour cette notion de longing.
Cette idée de boucle joue pourtant une note différente, une variation
correspondant à un être différent tandis que celle entamée par le naufragé,
arrivé au bout du chemin, peut s’achever. Là encore l’expression des sentiments
s’épanouira pleinement après le chaos d’une tempête avant qu’un nouveau chemin
s’ouvre. La retenue et délicatesse des émotions fonctionnent
magnifiquement par les choix audacieux de Michael Dudok de Wit qui signe un
véritable chef d’œuvre de l’animation.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
Un chef-d'œuvre, qui me serre encore le cœur rien qu'en y repensant.
RépondreSupprimerE.