Si au moment de sa disparition le 30 janvier 2011 il n’avait
plus composé pour le cinéma depuis dix ans déjà et grandement limité ses apparitions
publiques (notamment en France au festival de la musique de film d'Auxerre), la mort de John Barry avait constitué un choc pour le cinéphile. C’est ainsi
tout un pan d’émotions, de souvenirs et d’images mémorables rattaché à ses
partitions qui se ravivaient : Ce n’était pas seulement un des plus grands
compositeurs de musique de films qui nous a quittés, mais un artiste majeur de
la scène musicale des cinquante dernières années.
Barry l’icône du
Swinging London
L’arrivée de John Barry dans le monde du cinéma est une
petite révolution au début des années 60. Si les grands compositeurs de l’âge
d’or hollywoodien (Miklos Rosza, Elmer Bernstein, Max Steiner…) surent
s’adapter et intégrer des éléments des musiques en vogue à leurs bandes
originales, ils étaient issu le plus souvent d’une formation classique rigoureuse.
Féru de jazz grâce à son père, ayant pris goût à la musique par sa mère
pianiste, il a appris la musique presque en autodidacte. Entre la trompette
qu’il maîtrise seul durant son service militaire, les leçons qu’il suivit chez
l’arrangeur de jazz Bill Rosso et les percutantes prestations de son groupe
John Barry Seven, son parcours le rattache à une certaine musique populaire
plutôt qu’aux grands maîtres du classique.
De populaire, il n’y un qu’un raccourci à effectuer pour
définir ce que fut Barry durant les années 60 : une figure pop anglaise au même
titre que les Beatles ou les Kinks. Vivant également une trépidante vie de rock
star, cette aura lui vaudra cette une aussi désopilante que machiste Une de Newsweek sur son épouse d’alors (Jane
Birkin encore très sage et rangée avant de le quitter pour Gainsbourg) : « John
Barry, sa Jaguar Type E et sa femme Type E ». Au même titre qu’un Ennio
Morricone à cette période, Barry introduit les instruments les plus modernes et
inattendus dans la musique de film. Cette modernité se confond avec l’icône de
l'époque : James Bond. En dépit de la frustration de ne pas s’être vu attribué
le célèbre James Bond Theme (à l’origine de Monty Norman, mais c’est bien le
tonitruant réarrangement de Barry qui le rend si marquant), il lui offrira
certaines de ses partitions les plus novatrices.
Le mélange des genres au
service de la mélodie la plus pure, c’est la raison d’être de la pop sixties.
Barry l’applique en introduisant sonorités nippones dans You Only Live Twice, les premiers synthétiseurs et de la guitare
électrique dans On Her Majesty’s Service
tout en mélangeant ses influences jazz à des élans plus grandiloquents dans Goldfinger ou Thunderball. Jeune, dans l’ère du temps et convoquant les plus
grands artistes du moment sur les chansons écrites pour les Bond (Tom Jones
pour Thunderball, Nancy Sinatra sur You Only Live twice…), Barry symbolise
en grande partie la bande-son du Swinging London des années 60, dont il mettra
en musique certains des films cultes comme Le
Knack… et Comment l’avoir (1965).
Barry l’élégant
romantique
John Barry est à lui seul le représentant d’une certaine
forme d’élégance typiquement anglaise et de l’expression d’un romantisme
exacerbé. Les arrangements de cordes sophistiquées et simples à la fois, la
délicatesse et la répétitivité au service de la mélodie la plus pure auront
plus d’une fois mis admirablement en valeur les images. Sa capacité à écrire
des thèmes entêtants, Barry en aura usé sur des œuvres épiques comme Zulu (1963) ou La Vallée perdue (1971), aux atmosphères ténébreuses et martiales.
C’est pourtant dans l’expression de la mélancolie et des sentiments contrariés
qu’il dévoile toute sa majesté. We have
all the time in the world (version instrumentale, comme celle chantée par
Louis Armstrong dans Au service secret de
Sa Majesté) est une des plus belles mélopées romantiques du cinéma,
auxquelles on peut ajouter celle de La
Rose et la flèche ou évidemment le John
Dunbar Theme de Danse avec les loups.
Les époques éloignées de ces films et la dimension de gestes courtois, noble et
romanesque qui s’y attachent l’auront souvent inspiré, telle la partition
oscarisée de Out of Africa (1985) le
plus méconnu Quelque part dans le temps
(1980) ou d’autres films historiques comme Un lion en hiver (1968) ou Marie Stuart Reine d’Ecosse (1971). Tout cela aboutira à un style très identifiable,
souvent copié mais jamais égalé avec le même touché délicat. La descendance la
plus marquante est d'ailleurs à chercher parmi les artistes pop comme Goldfrapp ou The Divine Comedy.
Barry le novateur
On aurait tort de réduire John Barry aux deux facettes
précédemment citées, qui sont les plus identifiables. Il s’était montré capable
de scores novateurs et en adéquation avec leur sujet dans La Poursuite impitoyable (1967), histoire de lynchage rural dans le
Sud des USA que lui, le dandy anglais, noyait de guitares sèches, de sonorités
traditionnelles et d’harmonica typique du cru. Macadam Cowboy (1969), avec ses ambiances urbaines et son urgence,
se montrera tout aussi réussi. Barry saura également se remettre en question sur
ses Bond des années 80 (il composera onze épisodes au total) en alliant des
instruments modernes (boîtes à rythmes, synthétiseurs) à son brio orchestral
sur A View To A kill ou The Living Daylight (où il offre un
écrin splendide à des artistes aussi différents que Duran Duran, A-ha ou les Pretenders).
La plus grande force de Barry est également de relever par la seule force de sa musique des métrages discutables (le très inégal Moonraker (1979)), voire médiocres (l’infâme remake de King Kong de 76), au point de se demander quelles images lui ont été montrées pour délivrer une musique d’une telle beauté. La disparition de John Barry suivait celle d’autres compositeurs légendaires durant les années 2000 (Basil Poledouris, Jerry Goldsmith..) et où seul John Williams (guère inspiré sur le dernier Star Wars) est encore bien vivant et actif. Barry représentait une touche, un savoir-faire, une identité anglaise et universelle qu’on retrouve encore chez les compositeurs actuels les plus doués (Alexandre Desplat, Michael Giacchino...).
Excellent article, merci Justin! On pourrait limiter John Barry à ses compositions lyriques et épiques, mais ce serait oublier l'incroyable oreille et inoubliable score qu'il apportait à tellement de films qui ne seraient pas les mêmes sans lui! Qu'est ce qui t'a donné envie d'écrire cet article? Tu devrais aussi le faire pour d'autres compositeurs, j'ai l'impression qu'il y a une réhabilitation du statut de compositeur de musique de film comparés aux scores d'aujourd'hui qui n'ont pas vraiment de partition mémorable dans le cinéma grand public américain.
RépondreSupprimerIl y a une bonne compil des ses scores et autres, "The Best Of The EMI Years"; c'était aussi un super compositeur de jazz, voir la B.O de "The Ipcress File", géniale et atmosphérique (trompette en écho)...
RépondreSupprimerQuand aux thèmes de Bond, j'ai un faible pour celui de "Diamonds Are Forever" chanté par Shirley.
@ Stéphanie en fait c'est un texte que j'avais écris au moment de sa mort mais que finalement je n'avais pas publié sur le blog, quelques années plus tard et après remaniement le voilà enfin ^^ Sinon oui j'essaierai de temps en temps d'élargir un peu sur la musique de film, je l'avais déjà fais pour Joe Hisaishi et ses composition pour Miyazaki ici
RépondreSupprimerhttp://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2014/01/hayao-miyazaki-et-joe-hisaishi.html
@ Catherine et oui je n'en ai pas parlé mais la BO de The Ipcress File est aussi une de mes préférée de lui.