Depuis plusieurs
années le géomètre Giuseppe Di Noi (Alberto Sordi) s'est installé en Suède, où
il a épousé une femme suédoise (Elga Andersen) et est devenu un professionnel
estimé ; il décide d'emmener sa famille en vacances en Italie. Mais à la
frontière italienne, il est arrêté sans qu'on lui donne la moindre explication.
Convaincu que l'erreur sera vite éclaircie, le malheureux est mis en prison, à
l'isolement, et en arrive finalement à un vrai chemin de croix judiciaire, avec
des traitements humiliants et dépersonnalisant.
En 1970, le classique d’Elio Petri Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon montrait comment,
à l’aune d’une société italienne malade et corrompue, un coupable issu de
l’élite pouvait passer à travers les mailles des filets de la justice. Détenu en attente de jugement en
constitue une sorte de pendant inversé où cette fois l’innocent va se retrouver
plongé dans un cauchemar kafkaïen et sans espoir. La structure du film peut
également évoquer un autre des grands rôles d’Alberto Sordi, Mafioso (1962) d’Alberto Lattuada. Dans
ce dernier, Sordi sicilien installé à Milan retrouvait la terre de ces origines
dont les maux profonds allaient le rattraper dans une véritable descente aux
enfers. Dans Détenu en attente de
jugement, ce pays natal néfaste s’étend à l’Italie entière pour le géomètre
Giuseppe Di Noi (Alberto Sordi) installé en Suède et revenant en Italie en
famille après six ans d’exil. Pourtant dès la frontière il est arrêté pour
d’obscurs motifs et emprisonné.
Le début du film prête à rire au vu des outrages subis par
notre héros indigné – fouille rectale, déshabillage et interrogatoire absurde –
et persuadé d’être rapidement libéré. Pour cela, il suffit qu’il puisse
rencontrer le juge instruisant son affaire et s’expliquer. Seulement un enfer
d’incompétences, de je m’enfoutisme et de profonde inhumanité va prolonger plus
que de raisons le séjour de Di Noi derrière les barreaux. Le scénario de Sergio
Amidei adopte une structure singulière totalement dépourvue du classique
« introduction-conflit-résolution ». Après un bref aperçu de la
réussite professionnelle de Di Noi en Suède, les ténèbres recouvrent la
destinée du personnage pour ne jamais se dissiper. Nanni Loy dénonce dans un
premier temps l’incompétence de la machine judiciaire, baladant les détenus de
prison en prison sans information quant à leur sort dans un véritable
road-movie de la déchéance.
L’urgence des premières séquences d’emprisonnement
joue sur l’empressement et la certitude de Di Noi d’être bientôt libre et distille
ainsi un vague élan comique sous le drame. Le thème répétitif et mélancolique
du compositeur Carlo Rustichelli imprègne progressivement le récit d’une vraie
gravité où à l’image on perd la notion du temps à travers les multiples moyens
de transports - train, voiture de police, bateau - promènent notre héros d’une
geôle anonyme et uniforme à une autre. En parallèle on voit son épouse Ingrid (Elga
Andersen) se heurter aux rouages inextricables de l’administration. La
désincarnation de l’individu s’exprime avec ironie dans ces séquences absurdes
où le fonctionnaire interlocuteur a toujours un temps de retard sur
l’emplacement du détenu dont il ne saura jamais informer les proches. Dans leur
périple involontaire, les détenus subissent ou défient le regard plein
d’opprobre du quidam, exposé à la vindicte populaire avec une indifférente
cruauté.
Lorsque le voyage s’interrompt et que l’on se fixe dans une
même prison, c’est le dysfonctionnement du monde carcéral qui se révèle. Abus
d’autorité, mépris de l’individu et environnement insalubre forment un
quotidien où les figures de la justice croisées – juge indifférent, avocats
véreux graissant la patte des gardiens pour être recommandés aux désespérés –
ne laisse augurer aucun espoir de sortie. La photo de Sergio D'Offizi imprègne
d’une froideur bleutée le monde extérieur indifférent – particulièrement
parlante dans les scènes à Milan – et baigne les scènes de prisons de teintes marronâtres
et maladives où l’on voit Alberto Sordi perdre progressivement pied. C’est
lorsqu’il exprime avec véhémence l’injustice qu’il subit qu’il semble le plus
vivant mais passera au fil des désillusions à l’abattement le plus profond ou à
la vaine obséquiosité envers ses geôliers. Nanni Loy use souvent de la plongée
pour situer le piège inextricable où se trouve son héros, la première
humiliation par les gardiens dans sa cellule étant vu du plafond.
Son déni en
tant qu’individu et sa place négligeable dans ce monde de la prison l’écrasera
plus fortement encore avec une plongée l’isolant seul et délaissé des gardiens
– occupés à sortir le cadavre d’un détenu suicidé – en bas du ponton abritant
les cellules. Le semble ainsi oppresser de manière verticale le prisonnier
quand l’horizontal ne se délestera jamais d’un mur ou d’un lignée de barreaux
qui entrave toujours la portée du regard. Les allers-retours entre cette
justice ces mondes judiciaires et carcéraux viciés forment une boucle infinie
symbolisée par les va et vient hébétés qu’effectue Di Noi dans sa cellule, ne
comprenant toujours pas comment il a pu en arriver là. Les esquisses de
rébellion – la scène de messe et surtout la cauchemardesque séquence de
mutinerie - ne servent qu’à resserrer un peu plus le piège, à prolonge le
séjour tel ce personnage au départ coupable d’un simple vol d’olive mais dont
la peine s’éternise après avoir craché sur un directeur.
Alberto Sordi dans un de ces rares rôles intégralement
dramatique est exceptionnel. La vivacité de l’innocent cède bientôt à la
résignation du prisonnier, le teint prend peu à peu la pâleur de celui qui ne
voit guère la lumière du jour et le personnage termine le récit comme vidé de
sa substance vitale, la raison vacillante. La révélation de la nature grotesque
de l’accusation constituera le coup de grâce, le zèle stupide de ces
fonctionnaires que l’on a vu à l’œuvre ayant brisé la volonté d’un homme. S’il
termine le film libre, Alberto Sordi sera pourtant éternellement prisonnier des
peurs nées de cette terrible expérience comme le montrera la magnifique
dernière scène.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
Extrait
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