Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Pendant la guerre
américano-mexicaine, le capitaine John Boyd (Guy Pearce) se voit muté dans un
fort isolé de Californie après avoir commis un acte de bravoure ambigu. Arrivé
à sa nouvelle affectation, Boyd et la garnison, fort réduite, du fort recueillent
un étrange individu traumatisé, Colqhoun (Robert Carlyle), qui leur relate les
actes de cannibalisme auxquels il a eu recours alors qu'il était bloqué dans
une grotte avec plusieurs personnes. Le colonel Hart, commandant du fort,
décide alors de diriger une expédition ayant pour destination cette grotte afin
de sauver d'éventuels survivants. Arrivés sur place, Boyd et le soldat Reich
descendent dans la grotte et y font un macabre découvert alors que le
comportement de Colqhoun est de plus en plus étrange.
Ravenous est
certainement un des films d’horreur les plus originaux et fous produits ces
dernières années.Le film s’inscrit dans
le sous-genre dit du survival, où les
hommes s’opposent entre eux dans le cadre d’une nature hostile, amie ou ennemie
dont les rigueurs les poussent dans leurs derniers retranchements. Le film
fondateur du genre est bien évidemment Les
Chasses du Comte Zaroff (1932) d’Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper
(qui en recycleront les décors pour un tout aussi fameux King Kong) où un le méchant affirmait sa supériorité en s’adonnant
au safari humain dans la jungle. Plus tard l’éprouvant Délivrance de John Boorman (1972) allait confronter de paisibles
citadins en randonnée à des autochtones hostiles, Sans Retour de Walter Hill (1981) des membres de la garde national
à de fantomatiques et menaçants cajuns dans une Louisiane cauchemardesque. Le
chef d’œuvre le plus récent du genre reste cependant Predator (1987), version moderne des Chasses du Comte Zaroff où un extraterrestre belliqueux vient s’adonner
à la chasse avec le meilleur gibier de la galaxie, l’humain.
Dans Predator, le
héros Arnold Schwarzenegger parvenait à vaincre son invincible adversaire en
régressant le temps d’une fascinante séquence à l’état d’homme de Neandertal, guidé
par son seul instinct de survie. Il est également question de faire face à
notre nature sauvage profonde dans Vorace,
mais plus pour y résister que de s’y abandonner. La scène d’ouverture donne le
ton avec le héros John Boyd (Guy Pearce) manquant de tourner de l’œil à la vue
d’un steak un peu trop saignant. Toute la thématique du film fonctionne ainsi
entre retour à la nature, instinct de survie et s’accrocher à la civilisation,
à ce qui différencie l’homme de la bête.
John Boyd s’y entend en survie, lui
qui est décoré en début de film pour un acte de bravoure dissimulant en fait
une profonde couardise sur le champ de bataille. Pas dupes ses supérieurs après
l’avoir décorés l’expédient dans une garnison perdue dans la Virginie reculée.
Là ses peurs vont se trouver littéralement incarnée à travers l’inquiétant Colqhoun
(Robert Carlyle), être étrange qui a réussi à se régénérer en s’adonnant au
cannibalisme. Il va décimer la garnison et soumettre Boyd à une dangereuse
tentation.
Antonia Bird, responsable des remarquables Prêtre (1994) et du polar Face (1997) déjà avec Robert Carlyle fut
dépêchée en catastrophe sur le tournage après le désistement de Milcho
Manchevski en conflit avec la production. Elle confère au film une atmosphère
unique où se distingue une profonde ironie, un humour noir et des écarts ensanglantés
rebutant pour ce qui est un vrai film d’horreur. Le scénario de Ted Griffin est
truffés d’astuces où il faut toujours se méfier de ce que révèle et masque dans
un premier temps un flashback (l’acte « d’héroïsme » de Boyd,
Colqhoun racontant ses mésaventures).
Le film inscrit la notion de cannibalisme
autant dans une dimension purement fantastique et mythologique (les multiples
allusions à la légende du Wendigo se nourrissant de l’homme pour devenir plus
fort mais maudit par une addiction et faim insatiable à la chair humaine) mais aussi
philosophique sur la construction de l’Amérique. Colqhun est un émigrant
écossais et à la manière dont le pays s’est construit, pour survivre il doit
éliminer et se nourrir de l’autre pour faire son chemin et symboliquement s’installer
à son tour et devenir plus fort (l'ironie sur l'héroïme et le patriotisme en ouverture étant ainsi parfaitement justifié). Ce « courage », Boyd ne l’a pas mais menacé d'une mort imminente devra pourtant commettre l’infamie de se nourrir
d’un cadavre qui est sa seul planche de salut coincé dans une fosse. Confronté
à son tour à la « faim », il devra lutter avec lui-même pour ne pas
suivre le chemin de Colqhun assumant lui sa barbarie. Il y a quelque chose de
profondément marqué du vampirisme dans cette description du cannibalisme.
Robert Carlyle délivre une prestation extraordinaire et
compose un méchant d’anthologie. Alliant la ruse de l’homme avec le flair et l’imprévisibilité
de l’animal, il est absolument terrifiant. L’acteur est aussi savoureux lorsqu’il
tourmente Boyd par ses paroles sournoises et son ironie que quand il devient
soudain un terrible prédateur jouant avec sa proie. Les somptueux extérieurs de
Slovaquie (dans la chaine de montagnes des Tatras) sont filmés par Antonia Bird
comme une prison à ciel ouvert où on ne peut lui échapper. Guy Pearce fragile,
apeuré et au bord de la rupture est tout aussi excellent en anti-héros malmené.
La scène où il bascule soumis à une atroce tentation, rongé par la faim au fil
des jours avec une lune défilant et agissant sur sa volonté est un très grand
moment.
La terreur ambiante est constamment contrebalancée par un
humour très noir qui apporte un décalage contribuant à rendre le film si
unique. La bande originale de Michael Nyman et Damon Albarn (chanteur de Blur
et Gorillaz) contribue grandement à cette distance avec des ritournelles
entêtantes, répétitives et étrange se riant des écarts sanglants à l’image. Le
thème principal absolument hypnotique souligne ainsi brillamment l’ironie des
situations lorsqu’il se fait entendre comme lorsque Boyd s’échappe de la fosse
où il était coincé mourant peu de temps auparavant, la musique se riant de sa
vigueur nouvelle causée par son cannibalisme naissant.
Cette sophistication
peut laisser place à une musique purement tribale (à l’image de la dualité du
film) lors du très brutal mano à mano final entre Boyd et Colqhun qui se
conclura sur une géniale attente entre rédemption et victoire de la sauvagerie
(il est d’ailleurs dommage d’avoir l’issue à l’écran, couper un peu avant la
toute fin et laisser dans l’expectative aurait été jubilatoire). Une sacrée
bizarrerie et un grand film d’horreur donc, à découvrir absolument.
Les nouvelles aventures de la brigade de 21 Jump Street, un groupe de
jeunes policiers pouvant aisément se faire passer pour des adolescents
et ainsi infiltrer les réseaux des trafiquants de drogue qui sévissent
dans les milieux universitaires californiens.
C’est un programme des années 80 qu’on réactive, en ce moment on ressuscite les vieilles merdes. C’est sur une réplique de ce type que le boss bourru incarné par Ice
Cube décrit à nos héros leur future mission alors qu’il s’apprête à les
enrôler : une manière de rappeler la parenté du film tout en la balayant
d’un revers de la main. Pour les plus jeunes, 21 Jump Street est
une série culte de la fin des années 80 dont l’argument plutôt original
consistait à infiltrer de jeunes policiers dans des lycées pour
démanteler certains réseaux criminels. On en retient surtout aujourd’hui
le fait qu’elle révéla Johnny Depp (qui fait une savoureuse et
inattendue apparition dans le film) mais elle marqua les adolescents de
l’époque par les thèmes plutôt sombres abordés (drogues, alcoolisme,
mal-être adolescent…).
Ayant forcément vieilli, la série souffre
aujourd’hui du même malentendu que Miami Vice ou Starsky et Hutch,
synonymes dans la mémoire des téléspectateurs du kitsch 80’s et 70’s,
quand bien même ces dernières était plus intéressantes que leur
esthétique marquée (surtout Miami Vice, chef d’œuvre télévisuel
et laboratoire de Michael Mann producteur pour ses films à venir). Le
traitement de cette transposition de 21 Jump Street se situe justement entre les approches des adaptations de Michael Mann et Todd Philips. Starsky et Hutch
n’avait gardé de son modèle que l’ambiance seventies et la complicité
de son duo pour un traitement très potache. Les fans hurlèrent mais le
film était réellement drôle et réussi. Miami Vice évacuait,
lui, tout le fatras visuel de la série pour une approche plus moderne
mais où le script mêlait différentes intrigues d’épisodes et en
respectait le ton sombre et désespéré.
21 Jump Street le film ne garde que le motif de la série (des
flics de retour au lycée) pour en faire une comédie policière sans
tomber dans la parodie. Les adaptations de série en roue libre ont pu
donner des résultats jouissifs (les survoltés Charlie’s Angels qui surclasse la série) comme catastrophique (Wild Wild West, de sinistre mémoire) ; il est donc inutile de faire un procès d’intention sur l’approche choisie. On a ici un pur teen movie dont le ton rappelle le méconnu College Attitude
(1999), où une Drew Barrymore adulte et journaliste retournait au lycée
pour un reportage et revivait une adolescence bien plus positive que
celle, difficile, qu’elle avait connue à l’époque. Il en va de même pour
Richard Jenko (Channing Tatum), sportif écervelé au lycée et Morton
Schmidt (Jonah Hill), ex souffre-douleur qui retournent sur les lieux de
leurs anciennes peines pour démanteler un réseau de dealer.
Le script a
l’idée brillante de les forcer à s’infiltrer dans des communautés
différentes de leurs vraies années lycée. L’ancien « intello » Jonah
Hill intègre ainsi les groupes les plus populaires tandis que l’ex «
cool » Channing Tatum rejoint les nerds scientifiques amateurs de chimie
pour une résolution progressive de leurs handicaps originels. Le
connaisseur de teen movie savourera la manière dont les forces
en présence du lycée se trouvent redistribuées, les exclus d’antan
(geek, hippie, gay…) sont désormais les modèles à suivre tandis que les
footballeurs et autres pom pom girls sont invisibles ou moqués. Les
anciens clichés si brillamment dessinés dans le classique Breakfast Club ou le plus récent et excellentLolita Malgré moin’ont plus cours, et la réflexion aurait même pu être poussée plus loin
en détaillant ces communautés (comme les hipsters) ou les nouveaux codes
de cette génération élevée à Facebook, Twitter et Youtube.
L’intrigue policière est bien menée mais secondaire : c’est donc bien
cette facette qui captive grâce au complémentaire duo. Jonah Hill (qui
jouait les vrais ados il n’y a pas si longtemps encore dans Supergrave)
est formidable de naturel dans le jeu émerveillé de cette seconde
chance, et Channing Tatum, faux gros bêta, dévoile une fragilité
étonnante. La série originelle ressurgit par quelques clins d’œil
(Channing Tatum porte le nom d’un attachant personnage secondaire de la
série, une télé diffuse la série lors du gunfight final et hormis Johnny
Depp, Holly Robinson fait un caméo en Judy Hoffs) mais n’est finalement
qu’un prétexte pour un formidable teen movie.
Une réussite qui
ne doit rien au hasard puisque le duo de réalisateurs Phil Lord et
Chris Miller est l’auteur d’un des films d’animations les plus fous vus
ces dernières années,Tempête de boulettes géantes, dont on retrouve de nombreux thèmes ici comme l’affirmation de soi et l’héroïsme avec le même humour ravageur.
Traumatisé dans son adolescence,
Maddalena possède une double personnalité. Le jour de la fête de sa
fille, Angela, elle s'enfuit vivre avec son amant Nino, avec qui elle
est Rosanna.
Au croisement du thriller, du mélodrame et du film psychanalytique, Madonna of the Seven Moons
est un des films les plus étranges et audacieux produit par la
Gainsborough. Le film adapte un roman de Margery Lawrence spécialiste du
récit à mystère et surnaturel et on sera servi tant on empruntera ici
des chemins inattendus. Alors qu'elle est encore adolescente au couvent,
Maddalena (Phyllis Calvert) est violée par un inconnu. La scène est
filmée comme dans un cauchemar, saccadée, sans parole et avec un
expressionnisme prononcé évoquant un film muet.
C'est un traumatisme
aussi bref qu'halluciné que notre héroïne n'aura de cesse d'effacer de
sa mémoire au prix de sa santé mentale. La jeune fille n'aura pas le
temps d'encaisser le choc de cette agression puisque dans la foulée elle
doit quitter le couvent pour se marier selon la volonté de son père et
la douleur refoulée va avoir un effet surprenant sur elle. Nous la
retrouvons bien des années plus tard, mariée, heureuse et attendant le
retour de sa fille parti étudier depuis de longues années en Angleterre.
Le ton et l'esthétique du film est un choc permanent entre passé et
modernité. La demeure de Maddalena à Rome semble restée figée dans une
Renaissance pieuse et luxuriante tandis que Phyllis Carver arbore de
longue robes sophistiquée qui ajoutée à sa présence évanescente une
sorte d'icône religieuse en mouvement. Cela est contrebalancé par
l'énergie pétillante de sa fille Angela (Patricia Roc qui a pourtant le
même âge que Phyllis Carver) qui affirme sa féminité et sa séduction
avec un aplomb qui effraie Maddalena. Quelques indices annoncent le
basculement à venir quand on apprend que touché par une maladie
mystérieuse la mère n'a pas écrit à sa fille durant une année entière et
n'est pas venue lui rendre visite.
Tous ses changements semblent
profondément troubler Maddalena jusqu'au vrai choc lorsqu'elle apprend
les fiançailles d'Angela. L'agression initiale a en fait provoqué chez
Maddalena un dédoublement de personnalité et c'est à Florence qu'elle va
fuir pour endosser son autre "moi" et redevenir Rossanna, l'amante
volcanique du gangster local Nino (Stewart Granger) dont elle s'est
éprise lors d'une précédente crise quelques années plus tôt.
Phyllis Calvert d'habitude si douce et bienveillante trouve enfin un
rôle lui laissant exprimer une vraie démesure avec cette schizophrène.
Effrayée par toute évocation du sexe en Maddalena, elle devient lascive
et provocatrice en Rossanna les coiffures sophistiquées de la première
laissant place au cheveux lâchés de la seconde), Crabtree osant une
belle scène en ombre chinoise après l'étreinte entre les deux amants.
Une nouvelle fois les repères sont troublés avec cette intrigue se
déroulant de nos jour mais dont tout ramène au passé avec des décors
studio jouant totalement la carte du rêve éveillé, via le ton prude issu
de la personnalité de Maddalena (la procession religieuse tout droit
sortie d'un livre d'iconographie) ou par une outrance et une luxure
surprenante avec une pétaradante scène de carnaval finale.
Une pure
intrigue policière s'ajoute à tout cela avec les activités illicites de
Nino pour un mélange des genres pas loin d'être indigeste dans ses
ruptures de ton et multiples personnages secondaires. L'émotion parvient
néanmoins à émerger grâce à l'intense histoire d'amour entre Rossanna
et Nino, Stewart Granger délivrant une prestation ardente en brute
épaisse rongé par la passion.
On en espérerait presque que Maddalena ne
retrouve pas sa personnalité initiale pour qu'ils restent ensemble
malgré une toujours attachante Patricia Roc en fille menant l'enquête
pour retrouver sa mère, seul lien fort avec l'ancienne vie le personnage
du mari étant trop fade comparé à Stewart Granger.
Entre ce passé douloureux et le futur incertain, la résolution semble se
trouver dans un présent sous forme de recueillement dans un film
multipliant les symboles religieux. Seul moment heureux de son existence,
les années de couvent paisible apaise Maddalena par ces symboles tandis
que le versant païen par la culture gitane (une récurrence qui teinte
une grande partie des productions Gainsborough ici avec le mystère des
sept lunes) éveille ses ardeurs mais signifie aussi la malédiction qui
pèse sur elle.
Le script ne choisit pas réellement, la paix mais l'ennui
domine du côté de Maddalena tandis que la passion et la douleur forme
le tempérament de Rossanna. La conclusion poignante résout
dramatiquement ce conflit permanent par un poignant adieu. Objet
inclassable, Madonna of the Seven Moons
sera pourtant un grand succès au box-office anglais, établissant un peu
plus Stewart Granger comme la grande star montante locale et saluant
les audaces de Gainsborough qui en cette même année 1945 triomphe avec
Le Septième Voile autre ovni teinté de psychanalyse.
Sorti en dvd zone 2 anglais au sein du coffret ITV consacré à Stewart Granger et doté de sous-titres anglais et récemment réédité dans un coffret consacré au mélodrames Gainsborough chez Criterion avec "The Man in Grey" et "The Wicked Lady" dont on a déjà dit le plus grand bien sur le blog.
Et il semble que le film traîne en entier sur youtube profitez en tant que c'est là...
Holly Parker, d’origine modeste, épouse
Clayton Anderson un homme politique ambitieux, issu d’une famille aisée
et respectable. Le couple vit heureux et donne naissance à un garçon
Clayton Jr. Mais la belle-mère d’Holly, Estelle, qui vit avec eux ne
l’aime pas à cause de ses origines. Souffrant de solitude, Clayton étant
souvent absent, Holly devient la maîtresse de Phil, un ami de la
famille. Au retour de son mari, elle comprend qu'elle n'aime que lui et
décide de rompre avec son amant qu'elle est venue rejoindre chez lui. Au
cours d’une discussion houleuse, Holly qui se débat, le pousse
accidentellement dans les escaliers et Phil trouve la mort. Sa
belle-mère qui la faisait suivre par un détective, est vite au courant
de la situation.
Madame X
est le dernier grand rôle de Lana Turner (qui allait ensuite
progressivement se retirer des plateaux pour de brèves apparition à la
télévision comme dans le feuilleton Falcon Crest) et qui offre là ce qui est sans doute sa plus belle prestation. Le film adapte la pièce de Alexandre Bisson La Femme X
dont le cinéma su immédiatement saisir le potentiel puisque deux ans
après les premières représentations sur les planches avec Sarah
Bernhardt dans le rôle-titre, une première adaptation vit le jour en
1910. Trois autres versions muette suivront en 1916, 1920 et 1929 et le
parlant s'en emparera en 1937 dans un film réalisé par Sam Wood. David
Lowell Rich signe là la huitième et plus célèbre adaptation bien que
deux autres voient le jour en 1981 (avec Tuesday Weld et Eleanor Parker)
et en 2000.
Cette version est revue et corrigée à travers l'imagerie du
mélo hollywoodien des 50's, âge d'or du genre mais sans doute déjà un
peu désuet en 1966. Lana Turner y retrouva les sommets du box-office grâce à
l'immense succès de Peyton Place (1957) de Mark Robson et de Mirages de
la vie (1959) de Douglas Sirk. C'est d'ailleurs Ross Hunter, le
producteur de tous les grands mélos de Sirk à la Universal qui officie
ici et il hormis Sirk reparti en Allemagne il réunit ici toute la fine
équipe de l'époque avec Russell Metty à la photo et Frank Skinner
signant a bande originale. Rebondissements énormes, drames exacerbé et envolées outrancières, tout
ce qui fait le charme du grand mélodrame est ici largement exploité.
Holly Parker (Lana Turner) jeune femme d'origine modeste épouse Clayton
Anderson (John Forsythe) riche héritier aux grandes ambitions
politiques. Se sentant peu à peu délaissée par les multiples obligations
de son époux elle s'égare et entame une liaison avec le séduisant Phil
Benton (Ricardo Montalban). Son amour pour Clayton est pourtant le plus
fort et après la promesse de ce dernier de consacrer plus de temps à sa
famille elle décide de rompre avec son amant mais celui-ci meurt
accidentellement dans la violente altercation qui suit.
Sa belle-mère
Estelle (Constance Bennett) qui ne l'a jamais aimée saisit donc
l'occasion de se débarrasser d'elle par un odieux chantage. Pour ne pas
briser la carrière politique de Clayton par un scandale, elle devra
simuler sa mort et disparaître sous une nouvelle identité. Cette trame
rocambolesque et bien chargée s'avère bien prenante grâce à l'équilibre
du script de Jean Holloway, le travail sur la forme qui accompagne les
multiples péripéties et ruptures de ton ainsi que la très grande
performance de Lana Turner.
Le début est très elliptique avec ses moments de bonheur filant à toute
vitesse et dont on ne saura profiter à l'image de l'héroïne : mariage,
naissance, ascension politique. Le drame se noue à chaque fois que cette
narration se ralentit, ici avec les angoisses d'une Lana Turner
esseulée et de la liaison avec le séducteur Ricardo Montalban. La forme
plutôt sobre prend des accents baroques au fil de la déchéance
progressive de Lana Turner où défilent dans un tourbillonnant fondu
enchaîné les chambre d'hôtel sordides, les trajets de train tous
identiques, les amants de passages et les bouteilles vides entamée par
une Holly basculant dans l'alcoolisme.
La photo de Russell Metty s'orne
d'une palette agressive, presque psychédélique pour signifier la
dépravation de l'héroïne avec des teintes violettes sombres et
décadente. Lorsque cette fuite en avant s'arrête brièvement, c'est pour
voir une Holly inconsolable refuser un nouveau bonheur possible (la
romance avec le musicien danois) ou la retrouver physiquement ravagée
(remarquables maquillages qui vieillissent une Lana Turner au départ
aussi pimpante qu'à sa grande époque) entre les griffes d'un ignoble
maître chanteur (Burgess Meredith). La mise en scène n'a de cesse de
perdre la silhouette frêle de Lana Turner pour illustrer ce sentiment de
désespoir et de profonde solitude.
Le jeu très expressif de Lana Turner se prête parfaitement à ce
personnage brisé et l'actrice bouleverse plus d'une fois. On n'est pas
prêt d'oublier sa détresse face aux peurs nocturnes de son petit garçon
qu'elle s'apprête à quitter, plus tard lorsqu'elle s'effondre de douleur
le soir de noël hantée par le souvenir de son bonheur disparu. Le
sommet est atteint lors de l'épilogue flamboyant osant l'emphase la plus
totale.
Holly accusée de meurtre voit le moyen d'en finir
définitivement en laissant la procédure suivre son cours et la mener
vers une peine de mort en forme de délivrance pour elle qui n'est plus
personne si ce n'est cette Madame X suscitant la curiosité des journaux.
C'est sans compter le tour du destin puisque l'avocat commis d'office
ne sera autre que son propre fils (Keir Dullea futur héros du 2001 de Kubrick). Le double sens des échanges, de la
plaidoirie entre la mère et le fils, la connivence et l'affection
inexplicable pour ceux pensant être des inconnus l'un pour l'autre
créent ainsi de très grand moment d'émotion jusqu'au grand final où Lana
Turner magnifique s'abandonne totalement et se libère de toutes ses
souffrances.
Trois sœurs se marient. L'une devra
subir un époux tyrannique, l'autre trompera stupidement un bien brave
époux, tandis que la dernière connait le bonheur parfait, si ce n'est la
mort de son enfant.
They were Sisters
est un des mélodrames les plus réussis produit par la Gainsborough où
si l'on trouve les stars du studio James Mason et Phyllis Calvert le
film dénote par certains points avec les classiques du studio. On
s'échappe donc ici du film en costume pour une intrigue contemporaine
s'étalant sur vingt ans de 1919 à l'époque de production, le ton se fait
plus sobre et intimiste loin des récits romanesques aux rebondissements
extravagants d'un The Wicked Lady
et la dose de provocation habituelle est plus diffuse. On doit sans
doute cette retenue au roman de Dorothy Whipple (paru deux ans plus
tôt), surnommée la Jane Austen du XXe et dont les ouvrages rencontrèrent
un grand succès en Angleterre dans l'entre-deux guerre à l'égal d'un
Graham Green. Pour rester dans la comparaison avec Jane Austen, on peut
voir There were Sisters comme un Raison et Sentiments
moderne avec une intrigue suivant les destins et amours contrariés de
trois sœurs sur une période de vingt ans, de la jeunesse insouciante à
l'âge mûr douloureux.
Lucy ( Phyllis Calvert), Charlotte (Dulcie Gray) et Vera (Anne Crawford)
sont trois sœurs aux caractères bien différents qui vont les entraîner
dans des voies singulières. Arthur Crabtree pose leurs natures
respectives en début de film lors d'une scène de bal où leur
comportement annonce déjà le futur. La provocante et séductrice Vera
(que l'on découvre en bas et sous-vêtements dès l'ouverture) jubile face
aux regards admiratifs des hommes sur son élégance sur la piste, la
douce et fragile Charlotte en retrait se laisse séduire par le plus vil
des séducteurs présents et la bienveillante Phyllis ne se préoccupe que
du bien-être de ses sœurs, du plus futile (l'ouverture où elle prête ses
bas à Vera) au plus prévoyant puisqu'elle distingue immédiatement la
malveillance de Geoffrey (James Mason) faisant la cour à Vera.
Une scène scelle également l'avenir sentimental des trois sœurs avec le
mariage de Vera avec Geoffrey dont la désinvolture annonce le pire, la
charmante rencontre de Lucy et l'homme de sa vie William (Peter
Murray-Hill vrai époux de Phyllis Calvert à la ville) et Vera qui
accepte détachée la demande en mariage de Brian (Barry Livesey frère de
Roger Livesey) plus par convenance que par amour pour ce prétendant
réellement épris d'elle. Une ellipse nous les fait retrouver vingt ans
plus tard où chacune a récoltée ce qu'elle a semé.
Lucy vit des jours
heureux à la campagne malgré la perte douloureuse de sa petite fille
quelques années plus tôt, Vera néglige sa fille et trompe allégrement
son mari et surtout Charlotte vit un véritable enfer conjugal face à la
tyrannie de Geoffrey. C'est les tourments de Charlotte qui constituent
le pivot du récit mettent en valeur les deux autres sœurs dans les
caractères dépeint au début, le souci de Lucy pour les autres la faisant
s'immiscer dans le ménage pour sauver Charlotte et l'égoïsme et la
frivolité de Vera provoquant le drame final.
Le récit alterne donc d'une famille à une autre, le calvaire domestique
de Charlotte, le havre de paix de Lucy et l'hypocrisie régnant chez
Vera. Le drame personnel des adultes est lié à celui des enfants avec de
remarquables et charmants jeunes acteurs joués notamment par la jeune
starlette Ann Stephens et la future étoile de ballet anglaise John
Gilpin, tous deux très émouvant en rejetons malmenés par un James Mason
plus odieux que jamais. Ce dernier campe sans doute là le méchant le
plus abject de toutes ses prestations Gainsborough avec cet époux
sadique et manipulateur. Sourire en coin maléfique, regard ténébreux et
suavité cachant une violence verbale et physique pouvant surgir à tout
moment, Mason est l'infamie personnifiée ici et plus que jamais the man they loved to hate
comme le surnommais la critique anglaise.
C'est d'ailleurs avec ce rôle
outrancier qu'il prit conscience du carcan où il était enfermé et
décida de poursuivre sa carrière aux Etats-Unis. Dulcie Gray est très
touchante en épouse brimée et joue bien de sa frêle silhouette et de son
visage triste pour exprimer la destruction psychologique progressive de
son personnage. Phyllis Carver est parfaite aussi béquille de toute ses
âmes blessées loin de ses personnages de victimes tout en dévoilant
subtilement une certaine fragilité quant à son drame personnel d'avoir
tant d'amour à offrir et pas d'enfant.
Ancien directeur photo promu à la mise en scène par le studio (on lui doit les somptueuses visions gothique de Fanny by Gaslight ou The Man in Grey)
délivre ici une mise en scène sobre qui s'efface pour mettre en valeur
son casting inspiré mène avec brio cette intrigue sans véritable temps
forts où s'enchaîne bonheurs et malheur jusqu'à un final judiciaire plus
surprenant. Les excès de la firme n'ont donc pas cours ici mais
pourtant on se rappelle que l'on est bien devant un Gainsborough devant
ce sous-entendu à peine dissimulé suggérant l'attirance incestueuse de
James Mason pour sa fille aînée Margaret (jouée par Pamela Mason épouse
de James Mason et seulement de sept ans sa cadette mais ça passe
aisément), leur première scène ensemble laissant même croire qu'ils sont
amants. Superbe mélodrame en tout cas qui sera salué par le public
puisque le film sera le quatrième plus gros succès du box-office anglais
en 1945.
Brendan Frye (Joseph
Gordon-Levitt) est un élève du lycée de San Clemente, une ville du sud de la
Californie. Il reçoit un coup de fil de son ex-petite amie, Emily (Emilie de
Ravin), terrifiée et en larmes, le suppliant de l'aider. Elle disparaît peu après.
Avec l'aide d'un autre lycéen solitaire, et le soutien prudent du surveillant
général (Richard Roundtree), Brendan décide de la retrouver pour s'assurer
qu'elle va bien. Son enquête le mène dans le milieu fermé des bandes, où il
croise d'autres personnages, tels la superficielle Laura (Nora Zehetner), le
lunatique et violent Tug (Noah Fleiss), le fumeur de joints Dode (Noah Segan),
la séductrice Kara (Meagan Good), le sportif Brad (Brian J. White) et « The Pin
», le baron de la drogue local (Lukas Haas). Ce dernier va se révéler être un
personnage clé dans la quête ultime de Brendan pour découvrir la vérité
derrière la disparition d'Emily.
Pour son premier film Rian Johnson réalise un remarquable
film noir revu et corrigé en milieu lycéen, cadre plus habituellement réservé à
la comédie et au drame. Johnson pense son film comme un véritable hommage au
genre, cinématographique comme littéraire notamment avec des citations directes
de Dashiell Hammett, des dialogues et situations repris de ses romans tel
ce moment issu du Faucon Maltais où le héros demande comme signal à son
associée de klaxonner quatre fois — une longue, une courte, une longue, une
courte — pour le prévenir. Plus que ces références faciles, c’est la manière dont Rian
Johnson intègre les codes du film noir dans le cadre lycéen qui s’avère la plus
intéressante.
Les grands films noirs classiques oscillent entre pure approche
atmosphérique offrant une sorte de réalité rêvée et onirique chargée d’atmosphère
(plutôt ceux des années 40) ou une tonalité plus urbaine et réaliste vers
laquelle penchera le genre dans les années 50 pour muter en polar urbain durant
la décennie suivante. Pour une intrigue policière teenager tenant compte des
contraintes réelles du quotidien de ces protagonistes adolescent, mieux vaut se
tourner sur l’excellente et trop courte série Veronica Mars.
Johnson opte donc pour l’option la plus
labyrinthique en offrant une vision altérée et irréelle du monde lycéens :
adultes et donc parents quasi absent ou faisant de la figuration, aucune scène
de cours et personnage ne rentrant quasiment jamais chez eux à l’image du héros
incarné par Joseph Gordon Levitt. Un enjeu émotionnel et obsessionnel focalise
les enjeux d’un scénario fort tortueux où l’on sait seulement que notre jeune
détective cherche à comprendre ce qui est arrivé à sa ex petite amie disparue
et qui l’avait contacté terrorisé peur avant de se volatiliser. On va ainsi traverser un univers vicié truffé de personnages
manipulateurs et violent où notre Brendan (Joseph Gordon Levitt) devra démêler
le vrai du faux et affronter divers danger.
L’ambiance étrange évoque un autre ovni du teen movie à
savoir le Donnie Darko (2001) de Richard
Kelly par sa photo pastel, ses décors dont le vide confine à l’abstraction entre
banlieue pavillonnaire fantomatique, couloirs de lycée abandonnés et terrain de
football désertique. Le Twin Peaks de
David Lynch n’est pas loin non avec certaines intuition rêvées de Brendan digne
de Dale Cooper. Johnson mêle de manière inventive et/ou décalée des situation
typiques de polar, Brendan devant faire la taupe et rendre des comptes au proviseur/commissaire
qui le couvre et le menace, la guerre des gangs et les enjeux financiers
opposant les malfrats en herbe s’adaptent plutôt bien à cette criminalité
précoce.
Joseph Gordon Levitt est le meilleur tout du film en Philip
Marlowe adolescent. Il partage la mélancolie romantique du Dana Andrews de Laura avec un aspect plus bagarreur et
teigneux à la Bogart surprenant vu sa frêle carrure (sachant répondre aux coups
-la scène où il corrige un quater back de football- comme encaisser si besoin)
tout en inventant une vraie figure asociale et mutique éloignée de la futilité
de ses camarades. C’est cette rage contenue qui lui permettra de sortir des
nombreux périls incarné par des ennemis haut en couleurs. Lukas Haas fascine en
parrain de la drogue tirant les ficelles, Nora Zehetner vénéneuse femme fatale
et Noah Fleiss en homme de main brutal.
Il est dommage que Johnson n’ait pas
mieux exploitée Emily De Ravin dont le charme évanescent aurait permis de créer
une figure aussi fascinante que (pour rester chez Lynch) Laura Palmer par son
destin tragique et renforçant l’intensité de la quête de Brendan car malgré l’intérêt
le rythme s’égare parfois un peu, trop en apesanteur même si le final est superbe de tragédie. Belle réussite néanmoins que Rian Johnson
confirmera avec un tout aussi alambiqué mais plus romantique Une arnaque presque parfaite (2008).