Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Chaleur et Poussière - Heat and Dust, James Ivory (1983)
Les
destins croisés d'Olivia Rivers et d'Anne, sa petite-nièce : la
première, épouse d'un fonctionnaire en poste à Satipur, aux Indes
britanniques, dans les années 1920, deviendra la maîtresse du Nawar
local ; la seconde, après une désillusion amoureuse, quitte son emploi à
Londres en 1982 et part en Inde, à Satipur, sur les traces de sa
grand-tante, après avoir rencontré un survivant de cette première
époque, Harry Hamilton-Paul...
Heat and Dust
entame un formidable cycle créatif pour l'association liant le
réalisateur James Ivory, son producteur Ismael Marchant et la scénariste
Ruth Prawer Jhabvala réunis sous la bannière Merchant Ivory Production, leur maison de production. Le trio réunis depuis 1963 et le premier script de Ruth Prawer Jhabvala pour Merchant Ivory Production où elle adaptait son roman The Householder allait atteindre durant dix ans une reconnaissance publique et critique massive jusqu'aux Vestiges du jour (1993). Ruth Prawer Jhabvala adapte d'ailleurs à nouveau ici un de ses plus fameux romans avec ce Chaleur et Poussière paru en 1975 et pour lequel elle reçut le prestigieux Prix Booker.
Le
ton du film se partage constamment entre un idéal de romanesque et un
rêve, un fantasme de romanesque. Cette différence se fait à travers la
double narration du film, contemporaine et d'époque, la première
poursuivant sans cesse la seconde. Anne (Julie Christie), à travers les
documents, témoignage et pèlerinage entamé sur place marche donc sur les
traces de son arrière tante Olivia (Greta Scacchi) épouse d'un
fonctionnaire en poste en Indes dans les années 20 et qui abandonna tout
pour l'amour d'un prince indien. La narration offre un joli jeu de
miroir entre les époques où si le mimétisme se fait par des même lieux
traversés à 60 ans d'écarts, le ton diffère grandement. En 1920
l'héroïne est en opposition constante à son environnement.
Quand
l'aristocratie anglaise toise les indiens et leur culture du haut de
leur condescendance coloniale, Olivia s'y sent comme un poisson dans
l'eau et s'ennuie dans les dîners mondain auquel elle doit se soumette.
Pétillante, fougueuse et débordant d'énergie ce pays est fait pour elle
et c'est par elle qu'on le découvre vraiment à travers son regard
émerveillé le temps de beaux moments comme la longue séquence de
pique-nique. Cette séduction du pays se concrétisera progressivement à
travers celle exercée par le Nawab (Shashi Kapoor) dont le charme, le
bagout et le charisme la fera succomber.
La partie contemporaine
ne manque pas d'attrait non plus grâce à la prestation pleine d'allant
de Julie Christie. On y retrouve la vision bariolée de l'Inde mais sous
un jour plus intimiste. Comme son ancêtre, Ann se sent en communion avec
cette contrée mais elle n'a pas l'entrave raciale et de classe de son
ainée et peut s'y épanouir pleinement. Pourtant ce qui peut être vu
comme une avancée est en fait un obstacle.
La force de l'histoire
d'amour d'Olivia venait de sa rébellion progressive envers son milieu et
ses semblables, l'accomplissement de l'interdit magnifiant cette
romance par le danger encouru. Ann court après ce genre de sensation
suivant la route de sa grande tante mais son environnement est plus
paisible, la proximité et les relations mixtes sont acceptées (à l'image du boudhiste occidental farfelu incarné par Charles McCaughan, le dialogue moquant ceux venant en Indes pour suivre un gourou) et
lorsqu'elle s'abandonnera à une histoire avec son hôte Inder Lal (Zakir
Hussain) leur jolie histoire n'atteindra jamais le souffle de celle du
passé.
Le présent trop sage semble avoir perdu cette flamme qui animait
une Inde pourtant montrée comme une poudrière dangereuse (le pays
n'obtenant son indépendance que plus de 20 ans après les évènements du
film) mais où la menace agit comme un stimulant au contraire d'un monde
moderne endormi. D'ailleurs si l'Inde contemporaine et ses habitants
paraissent idylliques, la vision du passée s'avère moins manichéenne
avec notamment un Nawab soupçonné de complicité avec des voleurs pillant
le village.
Ivory capture ces moments avec une grande élégance et sobriété, loin de la flamboyance affichée par un David Lean sur La Route des Indes
au sujet proche. La narration prend son temps, explique calmement les
tenants et aboutissants géopolitiques, la psychologie des personnages de
manière à la fois très littéraire et poétique mais sans lourdeur grâce
au brio et à l'inventivité du montage. On vogue ainsi d'une temporalité à
une autre, le glissement se faisant par la réutilisation d'un décor,
par l'incursion d'une voix-off dans le passé ou le présent (les
entrevues entre Julie Christie et Harry Hamilton-Paul), la répétitivité
de certains moments.
La conclusion obéit aux deux tonalités exprimées
tout au long de l'intrigue. Le passé fut douloureux mais vibrant et
passionné, le présent est lui serein mais incertain avec cette ultime
vision solitaire de Julie Christie. L'actrice y est formidable de
douceur et de charme, pendant parfait d'une Greta Scacchi quasi
débutante et au tempérament espiègle et séducteur inoubliable.
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