Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 19 septembre 2023

Détour - Edgar G. Ulmer (1945)

 Un pianiste de bar, Al Roberts, part en stop rejoindre sa fiancée en Californie. Sur la route, un inconnu en décapotable (Haskell) le prend. Ayant pris le volant, Al s'arrête pour remettre la capote sous la pluie et découvre que le propriétaire de la voiture est mort dans son sommeil. Paniqué, il jette le corps et reprend vite la route.

Détour est une œuvre qui marque et accompagne l’avènement du film noir dans le cinéma Hollywoodien en ce milieu des années 40. Des œuvres comme Assurance sur la mort (1944), Phantom Lady de Robert Siodmak (1944) ou Laura de Otto Preminger (1944) en ont posés les inspirations littéraires, les bases formelles avec cette esthétique influencée par l’expressionniste allemand (les trois réalisateurs des films évoqués étant des migrants germaniques), ainsi que certains thèmes et figures récurrents comme la femme fatale et e poids du destin. Détour exprime la nature désormais « bankable » du genre lui permettant de passer des productions studios nanties à la série B plus modeste.

Edgar G. Ulmer parvient brillamment à mêler les contraintes économiques de son budget avec les thèmes et les figures du film noir évoquées plus haut. Toutes ces figures s’expriment par une épure qui développe l’ensemble du récit comme une sorte d’espace mental du héros, témoignant par le verbe (la lancinante voix-off constamment plaintive) et l’image du piège se refermant inexorablement sur lui. Il y a ainsi un minimalisme des péripéties où la malchance, les circonstances et une incapacité continuelle de Roberts (Tom Neal) à prendre la bonne décision l’enfonce toujours un peu plus dans la spirale de l’échec. Le scénario (adapté de son propre roman par : Martin Goldsmith) marie là un pessimisme social hérité de la Grande Dépression des années 30, où Roberts comprend que sa seule condition misérable suffira à le rendre suspect et coupable, et l’amène à faire le pire choix possible alors qu’il n’a rien à se reprocher. Globalement tous les protagonistes portent à des degrés divers ce poids de l’échec, que ce soit Sue (Claudia Drake) la fiancée chanteuse que Roberts cherche à rejoindre, Haskell (Edmund MacDonald) l’automobiliste au passé douteux, et bien sûr Vera (Ann Savage) véritable harpie si jeune et déjà marquée par la vie.

Cet échec annoncé s’inscrit par la narration en flashback et la manière de plier visuellement les environnements à la confusion mentale du héros, à son sentiment d’insécurité. Le travelling avant braquant la lumière sur son regard dépité introduit le saut dans le temps, plus tard le New-York brumeux dans lequel déambule Sue et Roberts est autant une façon d’économiser les frais de décors que de souligner l’horizon bouché des projets dont ils discutent. Après avoir joué de ce sentiment désabusé par l’atmosphère, Ulmer va le faire par sa caractérisation. 

La bascule se fait lors des discussions en voiture entre Roberts et Haskell, où l’on passe de cette atmosphère nocturne oppressants, de ces arrière-plans artificiels, à une tonalité plus urbaine et lumineuse à Los Angeles. L’échec prend alors les traits de Vera, anti-femme fatale souffreteuse et vénale, dont la beauté est altérée par les mauvaises expériences que l’on ne peut que deviner. Gouailleuse, agressive et fébrile, c’est un personnage pitoyable et intimidant qui plie Roberts à sa volonté par cette imprévisibilité. Ann Savage livre une performance sidérante et assez unique dans le Film noir, les amorces de romance ou d’attirance sexuelle plus attendue étant tuées dans l’œuf par le caractère trop rêche de Vera. Ulmer joue de cette idée de prison mentale avec cet espace de l’appartement, et rend abstraites les interactions au monde extérieur (là aussi l’économie de moyen et l’approche thématique se rejoignant). 

Le désenchantement de la voix-off joue sur le drame annoncé de façon subtile dans son mariage à l’image, comme si tout était écrit. On le ressent par la première apparition presque anodine de Vera en voyageuse anonyme dans un coin de l’image, la sollicitation de Roberts précipitant la chute future de ce dernier. C’est également le cas à la fin où il craint, anticipe et sollicite presque l’arrivée de cette voiture de police qui va l’emmener alors que rien dans l’intrigue ne justifie objectivement qu’il se fasse prendre à ce stade. C’est le propre du héros de film noir, à la fois acteur de sa perte et victime de la fatalité. 

Sorti en bluray français chez Elephant Films 

 

lundi 18 septembre 2023

Karnal - Marilou Diaz-Abaya (1983)


Un jeune marié emmène sa toute jeune femme dans sa ville natale pour vivre dans la maison de son père. Frappé par sa ressemblance troublante avec sa femme décédée, le patriarche convoite sa belle-fille. Quand les choses deviennent critiques, une violente querelle familiale éclate et se termine en tragédie.
Une vieille fille d'âge moyen raconte l'histoire pour laisser une trace de la chute du propriétaire prisonnier de son passé, révélant finalement sa propre identité.


Karnal est le troisième et dernier volet de la trilogie féministe de Marilou Diaz-Abaya. Le projet naît d'une sollicitation du producteur Benjamin G. Yalung qui souhaite produire un film inspiré d'un article de Teresita Añover-Rodriguez publié dans la revue Mr. & Ms. Magazine et relatant le sordide fait divers qui vit une femme assassiner son beau-père qui abusait d'elle. Le producteur souhaite en faire un véhicule pour son amie l'actrice Cecille Castillo, célèbre notamment pour son rôle dans Caïn et Abel (1982) de Lino Brocka. La réalisatrice sollicite de nouveau le scénariste Rick Lee et, tout en gardant comme base le fait divers, ils décident de transposer l'intrigue dans les Philippines des années 30 alors colonisés par les Américains. Marilou Diaz-Abaya a le sentiment que ce contexte constitue un moment de transition entre les mœurs locales archaïques et l'influence occidentale plus progressiste pour les femmes. C'est aussi une manière de revenir en quelque sorte aux racines du mal, en capturant au berceau les causes de l'oppression patriarcale observée dans un cadre contemporain avec Brutal (1980) et Moral (1982).

Cette idée de retour à un passé primitif et presque mythologique s'inscrit dès l'ouverture du film où une narratrice (Charito Solis) d'âge mûr nous dépeint le contexte du récit et ses liens à celui-ci. L'histoire se déroule dans la région de Gulawin d'où est originaire sa mère qui l'a quitté et juré de ne plus jamais y revenir, déclarant que ce lieu est symbole d'enfer sur terre. Cette narratrice interviendra plusieurs fois et apportera diverses ponctuations funestes au récit en voix-off ou en insert sur son visage résigné, mais nous ne saurons sa véritable identité qu'à la toute fin. Narcing (Phillip Salvador) est un jeune homme revenant penaud à Gulawin dans la maison de son père, l'impitoyable Gusting (Vic Silayan), après avoir échoué dans sa volonté d'émancipation à Manille. Il est accompagné de son épouse Puring (Cecille Castillo) dont le point de vue va nous faire découvrir les mœurs arriérées de la région et de la famille.

Sur le chemin de la maison, le couple rencontre des connaissances de Narcing (dont une ancienne prétendante) et les présentations se font sans que Puring ait pu prendre la parole, devant déjà se montrer sous le joug de son mari aux yeux des autres. Les retrouvailles avec le père expriment déjà par le verbe et la disposition des personnages dans les compositions de plan, l'ascendant psychologique qu'il a sur sa progéniture et la façon dont il intimide toujours Narcing revenu à son statut de petit garçon tremblant. Un détail d'importance est alors révélé, il s'avère que Puring est le sosie de la mère défunte de Narcing, et donc de l'épouse du beau-père Gusting. On apprendra peu à peu les circonstances sordides de sa mort, brisée mentalement par la jalousie de son époux et les humiliations qu'il lui fit subir.

On voit donc parfaitement se disposer les éléments du drame à venir, à la fois par ces indices mais aussi par une connaissance de certains archétypes dans la construction de certains drames philippins contemporain au film. Le domaine agricole dirigé d'une main de fer par un maître/parent abusif et métaphore du régime du président Marcos est un motif déjà utilisé par Rick Lee dans Caïn et Abel. Le patriarche terrifiant, caractérisé comme un croquemitaine et charriant les pulsions les plus inavouables rappelle quant à lui le glaçant Kisapmata de Mike de Leon (1981). C'est d'ailleurs Vic Silayan qui jouait le père dans Kisapmata qui retrouve un rôle voisin ici. C'est une variation plus qu'une redite, le géniteur monolithique de Kisapmata laissant place ici à un être bien plus retors et vicieux, alternant autorité sèche (un simple raclement de gorge ravivant les mêmes terreurs enfantines pour Narcing et Doray) et bienveillance de façade avant de laisser exploser sa monstruosité. La direction que prend le récit s'anticipe donc aisément, mais la mécanique pour l'amener est absolument insoutenable de malaise. Il y aura tout d'abord une sorte de redite tragique où Narcing réitère les errances passées de son père en étouffant Puring de sa jalousie, en l'enfermant dans la maison et lui refusant tout contact avec l'extérieur où elle aurait la tentation de céder à un autre homme. 

L'autre réminiscence réside dans le désir de plus en plus insistant de Guring pour sa belle-fille, les paroles et regards appuyés passant aux actes quand il va essayer de la violer. Cependant Narcing apparaît comme un lâche reproduisant des schémas primaires par peur d'être jugé par son père et les voisins, et cherchant le pardon de Puring comme un enfant en faute auprès d'une mère après lui avoir infligé une raclée. A l'inverse Guring est à la fois un serpent et un cerbère, languissant pour se rapprocher de Puring puis carnassier pour la posséder avec férocité. Marilou Diaz-Abaya déploie dans ce cadre archaïque les mêmes effets que dans ses films contemporains, les cadrages déroutants et la photo stylisée de Manolo Abaya instaurant une ambiance quasi fantastique dans la maison familiale. L'atmosphère se fait littéralement suffocante jusqu'à un rebondissement proprement stupéfiant intervenant à mi-film et emmenant l'histoire dans une autre direction, plus inattendue.

Cette première partie certes magistrale aura néanmoins déployé un schéma attendu et comme dit plus haut déjà exploité dans le cinéma philippin. Le seul ennemi, mais aussi le plus insurmontable, de cette deuxième partie est le conditionnement à la soumission des femmes philippines - le parallèle tout du long avec le personnage de la belle-soeur Doray (Grace Amilbangsa). Si elle n'ose se rebeller par le verbe et ne le peut par la force physique, Puring tentera l'émancipation en se montrant libre de son désir (cette féminité qui l'émancipe en faisant aussi une proie) à travers la liaison qu'elle va entretenir avec Goryo (Joel Torre), un muet faisant office "d'idiot" du village mais qui est en fait un être sensible partageant avec elle ce statut de paria - la douceur de leurs scènes d'amours contraste d'ailleurs avec la fièvre et le sentiment de possession du langage corporel de celles avec Narcing. Une fois l'adultère démasqué et les conséquences tragiques allant avec, Puring revient à un état d'errance, de soumission et de culpabilité chrétienne qu'elle avait initialement rejeté. Marilou Diaz-Abaya délaisse toute narration classique pour aligner une suite de tableaux hallucinés et cauchemardesques où l'on bascule dans le conte macabre, truffé de situation dérangeantes comme l'infanticide. 

Ce que l'on avait pris pour la malédiction d'une région, d'une maison ou d'une famille masque en fait la damnation d'être une femme. La narratrice nous révèle alors son identité et explique comment, même éloigné de Gulawin, l'enfer de ces lieux a accompagné ceux ayant eu le courage de les quitter. La réalisatrice refuse cependant de faire de ce monde patriarcal un envers abstrait et mythologique détaché de la réalité. Ainsi parallèlement à cette dimension baroque déjà évoquée, l'esthétique du film alterne avec une inspiration picturale classique, les tableaux du peintre Fernando Amorsolo servant de référence. Cela inscrit subtilement le film dans une vraie réalité historique, et laisse deviner la violence des mœurs sous les visions pastorales magnifiques qui parcourent le récit. Une œuvre captivante et sacrément audacieuse par sa manière de déjouer nos attentes, mais aussi la plus pessimiste de la trilogie en revenant ainsi aux sources des maux rongeant la société philippine.

dimanche 17 septembre 2023

La Cité des douleurs - Bei qing cheng shi, Hou Hsiao-hsien (1989)


 Août 1945. Après cinquante années passées sous le joug japonais, l'île de Taïwan est rendue à la Chine. En parallèle de la nouvelle naissance douloureuse d'une nation, se joue l'histoire tumultueuse d’une famille.

En cette fin des années 80, Hou Hsiao Hsien amorce un nouveau cycle politico-historique sur l’histoire de Taïwan qui va courir sur trois films : La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995). La Cité des douleurs est un des premiers si ce n’est le premier film taïwanais à évoquer la « terreur blanche », cette période qui au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale vit Taïwan après 50 ans d’occupation japonaise passer sous la tutelle Kuomintang (parti nationaliste chinois) dirigé par Tchang Kaï-chek. Ce dernier va établir à partir de 1949 la loi martiale, qui va perdurer jusqu’en 1987, l’assouplissement progressif du régime et l’évolution vers la démocratie se faisant après la mort de Tchang Kaï-chek en 1975 - et ce paradoxalement par le biais de son fils devenu président Chiang Ching-kuo, grand instigateur cette répression et qui mourra symboliquement en 1988 pour laisser place à cette nouvelle ère. Le contexte est donc propice à enfin évoquer les évènements pour Hou Hsiao Hsien qui va évoquer les premières heures de cette période funeste par le prisme d’une famille, d’une fratrie et des protagonistes gravitant autour d’eux.

L’ampleur de cet arrière-plan historique et l’usage d’acteurs professionnels (si l’on fait exception des trois premiers films de Hou Hsiao Hsien, qu’il renie Cute girl (1980), Cheerful Wind (1981), Green, green, grass of home (1982)) marquent une vraie différence avec le cycle autobiographique qui marqua la reconnaissance du réalisateur : Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand-père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) et Poussières dans le vent (1986). Cependant le style filmique, certains types de situations (les rixes de voyous) et le choix d’un microcosme à la fois géographique et familial pour déployer son récit rejoignent finalement ce qu’il a pu faire dans ses travaux précédents.

Hou Hsiao Hsien travaille durant tout le film un équilibre subtil entre distance et proximité. Les grands bouleversements politiques sont évoqués selon cette approche distante (le changement de régime appris par une annonce radio lors de la scène d’ouverture) tandis que leurs conséquences s’observent par cette sphère du village et de la famille. Le rapport à l’occupant japonais est ainsi moins manichéen qu’attendu quand, au moment du départ se révèlent les solides amitiés nouées entre taïwanais et des Japonais pour beaucoup nés sur place et dont le vrai pays représente une terre étrangère. La bascule de certains décors et atmosphère témoignent de ce changement, notamment par le biais de la musique. L’influence japonaise perdure lors de ce passage où les personnages écoutent un extrait de Die Lorelei, le Japon ayant transposé dans sa colonie l’impact de la culture occidentale prégnante dans la société nippone du début du 20e siècle. 

Peu à peu cependant les sonorités du film évoluent, un pied dans le passé avec certaines chansons traditionnelles taïwanaises du temps de l’occupation japonaise, puis lors de l’arrivée des nationaliste une culture chinoise de plus en plus marquée comme la musique de l’Opéra de Pékin entendue dans les restaurants, mais aussi la persistance d’une identité locale lors des fêtes et célébrations où l’on retrouve du chant en dialecte. Cette identité floue et schizophrène va ainsi affecter le quotidien ordinaire et les discussions quand les locaux constateront amèrement que les prix restaient mesurés et le riz ne manquait jamais du temps des Japonais, contrairement au pouvoir continental corrompu.

Le réalisateur procède de la même manière dans la caractérisation des personnages, la fratrie représentant justement toutes les strates de ce rapport aux différents régimes ayant traversés Taïwan. L’impulsif et bougon frère aîné Wen-heung (Sung Young Chen) représente les racines locales, le frère cadet absent et porté disparu exprime les conséquences de la tyrannie japonaise, Wen-leung (Jack Kao) par ses mauvais penchants symbolisera l’avilissement amené par l’influence de la Chine continentale puis la répression de celle-ci quand il finira à l’état de légume après la torture. Wen-Ching (Tony Leung Chiu-wai) est naturellement isolé par son handicap (il est sourd) des préoccupations et tentations plus terre à terre de ses aînés et incarne, notamment par sa fibre artistique pour la photo, la facette romantique, idéaliste et rêveuse du futur de Taïwan. 

Sa seule présence apaise la scène et impose le calme à ses interlocuteurs de manière diégétique en les forçant à changer de ton du fait de sa surdité, mais bouleverse aussi de manière intradiégétique le dispositif filmique de Hou Hsiao Hsien par l’insertion de cartons pour montrer les échanges manuscrits du personnage avec son entourage. Cela amène une forme de retenue, un refus de l’emphase dramatique lorsque se révèlent les différents drames traversés par les personnages. Il en va de même du personnage d’Hinomi (Shu-Fen Hsin) dont on entend en voix-off très neutre les écrits dans son journal intime où elle narre les soubresauts du quotidien. L’attrait entre Wen-Ching et Hinomi est donc fort logique, le couple se façonnant un cocon dont l’innocence échappe un temps au délitement ambiant, tout en finissant par en subir les conséquences à son tour. 

On retrouve le style d’Hou Hsiao Hsien, fait de long plans fixes où la caméra est statique et laisse les humains s’agiter dans son cadre, pour des éclairs de violence et de barbarie, ou afin de capturer la langueur d’un présent apaisé fait de moments de vie, de repas et tâches domestiques. En nous noyant sous les langues et dialectes (le japonais, le mandarin, le shanghaïen), Hou Hsiao Hsien nous donne un instantané de la confusion intime et idéologique régnant à cette période, et expose crûment la répression armée visant à imposer une tendance plutôt que la quête d’harmonie pour un peuple devant se reconstruire. Les respirations ne peuvent venir que de ces longs panoramiques sur la nature entourant le village, travaillant cette idée de distance voulut par le réalisateur de façon plus omnisciente – ce à quoi le score de Naoki Tachikawa contribue grandement. 

Il y a à la fois une sorte de froideur dans l’observation de ce monde en déliquescence, et une profonde humanité dans la manière dont les destins individuels nous bouleversent. Ces deux approches se rejoignent lors de la magnifique scène de photo familiale à la fin du film, beau moment de communion figeant ce qui sera vite destiné à n’être qu’un souvenir fugace. Hou Hsiao Hsien immortalise par le biais de l’intime ce qui peut enfin être montré, ce qui ne doit pas être oublié par toute une nation. Une des réussites majeures du réalisateur et qui grâce au Lion d’or obtenu au Festival de Venise contribuera à une reconnaissance internationale bien plus grande pour les années à venir. 

Vu dans le cadre du festival parisien Filmosa, le film restauré bénéficiera d'une ressortie en 2024

jeudi 14 septembre 2023

Moral - Marilou Diaz-Abaya (1982)

Le succès commercial et critique de Brutal (1980) va entraîner naturellement la reprise de l'association entre le producteur Jesse Ejercito, la réalisatrice Marilou Diaz-Abaya et le scénariste Rick Lee avec Moral, deuxième volet de la trilogie féministe de Marilou Diaz-Abaya. Il s'agira d'un prolongement thématique du film précédent, mais certainement pas d'une redite quant à l'approche choisie. Après le film-dossier frontal et éprouvant de Brutal, Moral se présente davantage comme un récit d'apprentissage dans la lignée de Le Groupe de Sidney Lumet (1966) ou encore le film russe Moscou ne croit pas aux larmes Vladimir Menshov (1979). On y retrouve ce postulat d'observation d'un groupe de jeunes femmes à travers leur entrée dans l'âge adulte, leur quête d'identité, peines de cœurs, et ici associées aux spécificités (et plus particulièrement patriarcales) de la société philippine. 

Le film s'ouvre sur ce qui constituait l'argument principal de Brutal, une cérémonie de mariage de convenance car il s'avère que la mariée est enceinte. Il s'agit de Maritess (Anna Marin), jeune étudiante certes pas aussi contrainte que dans le film de 1980, mais suivant la norme plutôt que s'attirer les foudres du jugement moral. Elle va exposer un pan du patriarcat déjà exploré par Marilou Diaz-Abaya mais de façon (dans un premier temps) moins violent, tandis que ces trois amies Kathy (Gina Alajar), Joey (Lorna Tolentino) et Sylvia (Sandy Andolong) vont permettre de développer des questionnements différents. Chacune des jeunes filles révèlent dans leur attitude une impasse face à l'oppression masculine inhérente aux normes de la société philippine. Joey assume une liberté sexuelle et un refus de l'attachement en multipliant les amants éphémères. 

Cette émancipation de façade dissimule pourtant la blessure de l'abandon de sa mère lors de ses dix ans, cette dernière fuyant justement l'autoritarisme d'un mari épousé trop jeune car enceinte. En gagnant chèrement sa liberté, cette mère a causé le déséquilibre émotionnel de sa fille incapable de s'attacher, ou maladroite quand elle s'y risque avec son ami militant Jerry (Michael Sandico). Sylvia, mère célibataire et indépendante, ne vit quant à elle que dans le souvenir de son époux Robert (Juan Rodrigo), parti du foyer pour assumer son orientation homosexuelle. Enfin Kathy rêve de réussir dans la chanson mais se heurte à la fois aux limites de son talent et des mœurs du monde du spectacle où la coucherie est un accélérateur vers la notoriété.

On s'éloigne du formalisme stylisé et parfois agressif de Brutal pour donner dans la chronique (même si tout aussi soignée magnifique photo pastel de Manolo Abaya entre réalisme et revue de mode ), mais on retrouve le talent de Marilou Diaz-Abaya pour capturer un esprit profondément urbain et contemporain. Alors que la trame et les milieux défavorisés illustrés dans certains classiques du cinéma philippins comme Manille (1975) ou Insiang (1976) donnaient presque l'impression de pouvoir se dérouler très antérieurement à la période de leur intrigue (comme des archétypes de mélodrames), Moral tout comme Brutal sont dans leur fond et leur forme des œuvres profondément modernes. 

Les quatre héroïnes semblent issues de la classe moyenne voire aisées et le patriarcat ne s'exerce pas sur elle par le biais économique, mais par un conditionnement social, des maux intimes plus profonds. Ainsi les moments joyeux et insouciants sont légion à travers les facéties du groupe d'amies qui sort en boite de nuit, prennent des drogues et pour certaines prennent un amant passager, mais pour à chaque fois être rattrapées par une culpabilité, un jugement extérieur, un malheur (grossesses indésirées) comme retour de bâton à leur audace. L'intérêt du scénario est de ne pas être binaire, les choix de vie de toutes les héroïnes, qu'elles soient dans la norme ou non, étant remis en question car ne découlant pas véritablement de leurs envies, ou si oui montrant vite ses limites.

Maritess mariée de plein gré est ainsi vite prise au piège dans la famille de son époux, le cadre (la maisonnée commune où circule tous les enfants), les dialogues et situations lui rappelant qu'en tant que femme, son devoir s'arrête à procréer et surtout pas d'avoir des envies personnelles - alors qu'elle aspirait à une carrière de journaliste. Sylvia s'accroche aussi à un ex-mari ayant su accepter son penchant, le film se montrant très direct pour illustrer l'homosexualité. Sylvia est la figure la plus autonome mais finalement celle la plus dépendante d'un homme. On comprend que le problème est plus complexe que le désir ou le rejet des hommes, la coexistence ou la séparation avec eux, mais réside dans les fondations d'un système où le rapport doit être plus équilibré - une subtilité déjà appréciable dans Brutal. On le comprend notamment lors des tentatives infructueuses de Kathy dans le monde de la chanson, où elle est tout autant victime des avances d'une manager lesbienne que d'un vieux producteur libidineux.

Les quatre héroïnes sont très attachantes et chaque destin se suit avec intérêt, tout en révélant progressivement une éprouvante noirceur pour traduire les maux qu'elles subissent et infligent. Joey montre son handicap affectif lors d'une surprenante scène où elle malmène une enfant, cette aversion qui se traduisant plus tard physiologiquement par son incapacité à en avoir lors d'une fausse-couche. Au contraire les accouchements répétés de Maritess sont une expression subie de la maternité, encore plus quand elle résulte de viols conjugaux que Diaz-Abaya nous montre sans fard. L'addiction à l'homme débouche sur une prison, mais son rejet est tout autant une impasse. 

La conclusion n'est donc pas supposée apporter de solution toute faite et laisse même planer des doutes sur l'avenir de certaines (Maritess retournant avec son époux repenti), mais d'appuyer sur la profonde amitié et sororité qui unit les quatre amies. C'est donc ensemble, libres et joyeuses qu'on les quitte roulant vers un futur qu'elles sauront affronter par l'entraide. Le film par sa structure plus lâche n'eut pas à sa sortie le même succès que le choc plus direct que provoquait Brutal, mais semble à force de rediffusions télévisées et reconnaissance critique plus tardive être devenu un véritable classique du cinéma philippin, étant classé en 2019 meilleur film philippin réalisé par une femme.

mardi 12 septembre 2023

Cousine, je t'aime - Opera Prima, Fernando Trueba (1980)

Matias est un journaliste divorcé de 25 ans qui essaie d'écrire un roman policier. Violeta, sa cousine, a 18 ans et étudie le violon. Tout les sépare mais ils tombent pourtant amoureux l'un de l'autre.

Premier long-métrage de Fernando Trueba, Opera Prima témoigne déjà de l'appétence du réalisateur pour la comédie américaine. Mais alors qu'il ira piocher ses influences dans le Hollywood classique et la screwball comedy dans ses œuvres suivantes, Opera Prima est lui lourdement marqué par l'ombre plus contemporaine de Woody Allen. Le personnage de Matias (Óscar Ladoire), tout en logorrhée angoissée noyant ses névroses sous les tics et les références culturelles est clairement un pendant latin de la figure emblématique créée par Woody Allen. L'intrigue rappelle plus spécifiquement Manhattan (1979) à travers la romance avec Violeta (Paula Molina), cousine plus jeune que Matias retrouve adulte à Madrid après avoir été son premier amant lorsqu'elle avait 15 ans. Matias souffre aussi des mêmes frustrations que le Woody de Manhattan par sa carrière d'écrivain qui piétine et ses relations difficiles avec son ex-femme (Kiti Mánver). Trueba a clairement du mal à s'extirper de cette influence écrasante et ce jusque dans sa conclusion une nouvelle fois variation de celle de Manhattan.

Le charme opère par intermittence lorsque Trueba parvient à instaurer quelques situations plus spécifiquement associées au contexte espagnol. Sous les peurs et l'insécurité amoureuse de Matias transparait aussi celle de l'homme espagnol confronté à une nouvelle génération de jeunes femmes indépendantes et émancipées, les dissensions venant ici de l'amitié de Violeta avec un collègue musicien, et d'un voyage au Pérou qu'elle envisage avec lui sans l'assentiment de Matias. Il y a aussi le contexte provoquant de la Malavida en germe qui se profile en arrière-plan durant les hilarantes scènes d'interview d'artiste de Matias, qui expérimente les éructations d'un simili Bukowski ou la nymphomanie d'une réalisatrice (Marisa Paredes) férue d'érotisme. Le couple vedette dégage un charme certain, en particulier les scènes de séduction qui précèdent l'officialisation de la relation. 

La scène d'ouverture muette où Violeta suit longuement Matias dans la rue est irrésistible, tout comme la tension érotique lorsqu'elle se change devant lui dans son appartement, grâce à la répétition de ce moment pour une issue différente. La réussite n'est cependant pas totale à cause d'un rythme incertain et des réminiscences alleniennes déjà évoquées. Tout comme dans son Sé infiel y no mires con quién (1985) à venir et certes plus réussi, les contextes contemporains rendent boiteux ce mélange avec la comédie américaine chez Trueba, alors que dès qu'il l'associera à un fond historique plus consistant sous la légèreté, les films gagneront en profondeur dans son cycle autour de la Guerre Civile avec Manolo (1986), Belle Epoque (1992) et La Fille de tes rêves (1998). Encore bancal donc mais pas désagréable, le meilleur était à venir.

Sorti en dvd espagnol

dimanche 10 septembre 2023

Brutal - Marilou Diaz-Abaya (1980)


 La jeune Monica est retrouvée en état de choc auprès des cadavres de trois jeunes hommes empoisonnés, dont son mari Tato, dans la maison de son couple à Manille. La journaliste Clara Valdez (Charo Santos passe un accord d’exclusivité avec l’avocat de la défense afin d'écrire un livre qui fera la lumière sur l’affaire. Problème, Monica est catatonique et ne semble pas vouloir révéler les raisons de son geste.

Brutal est un saisissant brûlot féministe qui inaugure pour la réalisatrice Marilou Diaz-Abaya une trilogie dénonçant le patriarcat et la condition féminine au sein de la société philippine – Moral (1982) et Karnal (1983) suivront. Il s’agit de la seconde réalisation de Marilou Diaz-Abaya, venant après l’inaugural Chains (1980) produit en indépendant et qui fut un échec commercial. Ce galop d’essai en forme de fable gothique était cependant une belle carte de visite pour la réalisatrice qui revenait là aux Philippines après une formation prestigieuse aux Etats-Unis et à la Film Course at London International Film School en Angleterre. Le producteur Jesse Ejercito, impressionné par la facture visuelle de Chains offre à la réalisatrice de réaliser pour lui une commande dont elle sera libre de choisir le sujet, à la seule condition d’engager Amy Austria, sa vedette montante révélée récemment dans Jaguar de Lino Brocka (1979).

Marilou Diaz-Abaya va opter pour un sujet plus ancré dans la réalité sociale philippine et s’inspirant d’une expérience personnelle, lorsque durant ses années d’université elle vit une de ses camarades, tombée enceinte, contrainte par sa famille d’épouser le père pour éviter le scandale. Elle verra ensuite son amie sombrer progressivement, lui confiant les violences physiques et sexuelles qu’elle subit auprès de son époux sadique. Marilou Diaz-Abaya souhaite dénoncer ce type d’engrenage auquel sont soumises les femmes et va s’adjoindre les services de Ricky Lee pour en rédiger le scénario. Lee est alors en passe de devenir un des scénaristes les plus prestigieux du cinéma philippin et a déjà évoqué cette thématique, notamment chez Lino Brocka dans Jaguar justement et poursuivra dans Caïn et Abel (1982). Si cette condition féminine oppressée et le patriarcat de la société philippine est évoquée dans de nombreuses productions locales, le fait d’y poser un regard féminin (même si le scénario est écrit par un homme) par sa réalisatrice et d’y confronter un véritable cadre urbain contemporain le démarque d’autres œuvres marquantes comme Insiang de Lino Brocka ou Kisapmata de Mike de Leon (1981) fonctionnant davantage comme de purs mélodrames.

Cette dimension de mélodrame ne s’affirmera que progressivement dans Brutal qui s’avère dans un premier temps un « film-dossier » presque froid. La saisissante ouverture livre en pâture la jeune Monica (Amy Austria) à la foule de badauds et de journalistes, alors qu’elle est exfiltrée d’une sordide scène de crime où gisent trois hommes qu’elle a empoisonné, dont son mari Taro épousé deux mois plus tôt. L’ambitieuse journaliste Clara (Charo Santos) y voit un article et scoop juteux susceptible de la sortir des pages de mode et va s’arranger avec l’avocat de Monica pour médiatiser l’affaire. Elle va se heurter au mutisme de l’accusée refusant d’expliquer son geste, et va peu à peu découvrir les circonstances ayant menées au drame auprès de son entourage, dont Cynthia (Gina Alajar) meilleure amie de Monica.

La narration fonctionne en poupées russes, le flashback des dires de Cynthia voyant s’enchâsser d’autres retours en arrière (tentant de) rapporter le propre récit des expériences de Monica tout en maintenant le mystère du crime. On a là un véritable instantané de la jeunesse philippine, et une illustration de l’oppression et la schizophrénie auxquels sont soumises les femmes. Monica, éduquée dans une famille pieuse et soucieuse de respectabilité, est ignorante de toutes les réalités sociales comme biologiques des relations hommes/femmes. Une séquence lorgnant sur le Carrie de Brian de Palma (1976) la voit découvrir accidentellement sa menstruation, dépeinte par sa mère comme la punition de Dieu aux femmes à cause d’Eve responsable de l’exclusion du jardin d’Eden. Cette culpabilité pesant implicitement sur les femmes est cruellement expérimentée par Monica quand, rentrant du lycée elle est victime devant chez elle d’un exhibitionniste rapidement chassé par son père qui la rend coupable de l’agression – préfigurant ainsi la réaction qui suivra son futur viol. Ainsi même innocente, chaste et effacée, Monica se voit accusée, victime et soumise à la loi des hommes.

Au contact de Cynthia à la sexualité libérée, Monica choisit alors timidement la voit de l’émancipation en assumant sa féminité, en jouant de ses charmes par des tenues plus attrayantes et le maquillage. La réalisatrice n’est cependant pas dupe, en filmant toute la mue de Monica selon les principes du male gaze. Cynthia invective Monica comme le ferait un homme en vantant sa grosse poitrine, et lorsqu’elles dansent ensemble dans son appartement sur le Rock with you de Michael Jackson, la caméra plutôt que de capturer la supposée libération de son corps s’attarde plutôt lourdement sur les tressautements de ses seins. Elle ne bouge, n’existe et respire que pour satisfaire le regard et le désir des hommes. Il y a cependant un espace où cette logique est moins binaire, celle des cours de danse que prend Monica. Marilou Diaz-Abaya filme ces scènes de danse comme un brillant entre-deux, le cadre artistique autorisant le contact espéré et redouté avec l’homme et partenaire piste, et le lâcher-prise lascif où Monica peut laisser exploser sa sensualité sans crainte. Les effets de montage et de surimpression, la langueur chaloupée des rythmes disco, la beauté des corps émancipés, apportent une sensation hypnotique et torride dans une pure esthétique clippesque faisant sens - la chorégraphie par mimétisme prémonitoire anticipant l'horreur révélée de la dernière partie. C’est clairement dans ces moments que la singularité de la réalisatrice se ressent. A l’inverse, et ce même si la séquence est brillante, la photo (assurée avec le montage par Manalo Abaya, époux de la réalisatrice), la bande-originale synthétique et l’atmosphère précédant le terrible viol de Monica s’inscrivent dans une influence assez commune au sein du cinéma philippin du cinéma de genre (le giallo, John Carpenter, Brian de Palma) se mariant au récit social.

La réalisatrice sait cependant se jouer brillamment de certains codes. Contrainte par sa famille d’épouser son agresseur, le conditionnement de Monica se traduit visuellement par une improbable imagerie de roman-photo montrant sous un jour romantique les premières semaines de lune miel avec l’infâme Tato (Jay Ilagan). Le naturel de ce dernier revient pourtant bien vite et le foyer devient le théâtre de violences et de débauche où il livre Monica en pâture à ses amis. Tout au long du film, Marilou Diaz-Abaya entrecoupe cet éprouvant récit de séquences presque hors-sujet montrant la vie de couple de la journaliste Clara et de son compagnon Jake (Johnny Delgado). Ces scènes « inutilement » longues semblent servir grossièrement à montrer un modèle de couple moderne et sans entrave, Clara vivant en concubinage et, tout à son travail, laissant l’ensemble des tâches domestiques à Jake.  Marilou Diaz-Abaya a grandie dans une classe sociale élevée, baignée très tôt dans les arts et a vécu une partie de sa vie à l’étranger pour ses études. Elle n’a donc pas pleinement été confrontée ce patriarcat de la société philippine (et accédant assez facilement à ce métier de réalisatrice en définitive), et assume assez courageusement cela à travers le personnage de Clara placé face à ses contradictions. Les situations puis les dialogues explicitent la « vitrine » à afficher plutôt que la réalité que représente son couple qu’elle délaisse comme le ferait égoïstement un homme « pour le travail ».

Ce n’est qu’en comprenant cela qu’elle peut se montrer sincère, désintéressée (l’affaire de Monica faisant l’objet d’odieuses spéculations) et digne de recueillir les confidences de l’accusée. Le récit se déleste alors de la froideur du film-dossier pour devenir un mélodrame poignant lors des aveux finaux. Les outrages subits par Monica vont loin dans la crudité, la mise en scène verse dans l’onirisme cauchemardesque (toutes ces pièces et murs nimbés de blanc) pour traduire l’hébétude de l’héroïne vivant presque de l’extérieur l’horreur traversée comme par réflexe de protection. Il n’y a plus cette introduction froide des flashbacks mais un dispositif de confessionnal où les masques tombent (la réalité de l’attitude libérée de Cynthia), dans lequel se constitue une sororité bienveillante où enfin, Monica s’autorise à parler et raconter son calvaire. Une œuvre brillante dont l’acuité du propos et le brio de la forme la place comme grandement en avance sur son temps, et bien plus pertinente que nombre de film féministe contemporain loin d’égaler sa subtilité.