mercredi 1 juin 2011
La Tête contre les murs - Georges Franju (1958)
Un jeune homme passionné et idéaliste, dont l'équilibre est précaire, s'oppose à son père, avocat autoritaire qui le fait enfermer dans un asile psychiatrique.
La Tête contre les murs compte parmi les tentatives les plus réussies de visions du monde psychiatrique au cinéma, aux côté du Shock Corridor de Fuller ou plus tard Vol au dessus d'un nid de coucou de Milos Forman. Contrairement à ces films la veine dramatique est cependant moins appuyée avec un récit minimaliste et resserré au réalisme froid et austère. Cette touche est en grande partie due à Georges Franju dont c'est le premier film. Au départ, le projet est entièrement façonné par un tout jeune Jean-Pierre Mocky qui adapte le roman semi autobiographique de Hervé Bazin (qui fut lui-même interné par sa famille), recrute l'équipe technique et le casting (c'est notamment lui qui a la judicieuse idée de confier un mémorable rôle à Charles Aznavour). Cependant, freinés par son jeune âge et son manque d'expérience (nous sommes juste avant la Nouvelle vague qui décoincera heureusement bientôt ce genre de situation) la réticence des producteurs obligent Mocky à faire appel à Georges Franju dont ce sera le premier long-métrage de fiction. L'ensemble du film fonctionne donc sur l'équilibre entre les personnalités de Mocky et Franju.
A Franju, on peut attribuer une grande part de l'impressionnante force esthétique du film. Franju s'était au départ fait connaître grâce à deux court métrages aux réalismes saisissant, Le sang des bêtes sur le monde des abattoirs et Hôtel des Invalides consacré aux "gueules cassées". C'est cette même approche qui domine ici dans la description du quotidien d'un asile et des différentes pathologies qu'on peut y rencontrer. Ce parti pris fait ainsi froid dans le dos par son absence d'artifice, autant par la vétusté des lieux où les malades sont entassé comme des bêtes que par la violence sourde pouvant surgir à tout moment chez les plus déséquilibré (Mocky raconte d'ailleurs une scène assez glaçante à laquelle il assista avec Franju lors du tournage dans un vrai asile) le tout porté par la musique anxiogène de Maurice Jarre qui signait là son premier score au cinéma.
Mocky porte lui la force dramatique du récit en interprétant ce jeune homme en colère et écorché vif interné malgré lui. Sa jeunesse l'identifie à la rébellion du jeune héros d'autant qu'il a été témoin à l'époque de cette pratique révoltante qui voyait les familles interner abusivement avec la complicité des médecins leur progénitures en mal d'autorité. Il délivre une belle et fragile interprétation dont la touche romantique est un peu atténuée par une Anouk Aimée jolie mais nettement plus transparente dans le couple qu'ils forment.
On aurait cependant tort de n'attribuer que la seule réussite visuelle à Franju qui pose là toute les base de son chef d'oeuvre à venir Les Yeux sans visage. Comme dans ce dernier ici la froideur clinique se croise à une vraie poésie visuelle et une atmosphère à lisière du fantastique. Les scènes nocturnes dégagent ainsi une aura unique et oppressante où peuvent surgir de pur instants de cauchemar (l'insoutenable crise d'Aznavour durant l'évasion) mais aussi rendre la violence belle comme ce plan somptueux où un chasseur abat à fusil Mocky sur le point de s'échapper.
Les questionnements déontologiques annoncent également ceux des Yeux sans Visages avec les méthodes antinomiques des professeurs incarnés par Pierre Brasseur (futur chirurgien meurtrier des Yeux sans visages) et Paul Meurisse, l'un froid et pragmatique sur les patients qu'il a à traiter (des fous dont on doit protéger le monde extérieur) tandis que l'autre oeuvre dans l'idée d'une réelle guérison. L'imagerie menaçante de l'asile s'estompe donc par intermittence sans que le malaise disparaisse complètement lors des courts moments où on assiste à l'approche humaniste de Meurisse et la manière dont il tente de tirer la fibre artistiques de ses malades. C'est cette subtilité qui rendit le film si réputé dans les milieux médicaux qui en firent souvent usage pour illustrer leur théories durant des colloques.
Bien qu'abrupte, la conclusion magistrale opère une fusion parfaite des approches de Mocky et Franju, l'esthétisme de l'un magnifiant l'humanisme de l'autre. Le héros rattrapé une ultime fois alors qu'il pensait avoir retrouvé sa liberté se voit ainsi emprisonné dans une voiture d'infirmier, son visage en détresse nous accompagnant et s'estompant peu à peu tandis que le véhicule s'éloigne dans des ténèbres de cauchemar. Le découpage de la scène finale répond par mimétisme à l'internement du début et renforce ainsi le côté inéluctable et implacable de ces jeunes gens brisé par l'autorité inhumaine de leurs aînés.
Sorti en dvd chez Pathé avec une interview passionnante de Mocky en bonus expliquant la genèse du film et la collaboration avec Franju.
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Bonjour,
RépondreSupprimerje cite votre analyse pertinente de "La tête contre les murs" sur mon blog,amateur : http://cine-zoe-marcello.blogspot.com/
Je cherchais en effet à "démêler le sien du sien" de G.Franju et JP Mocky.
Vous dîtes juste à propos du talent de Georges Franju ; son oeuvre ultérieure le démontrera amplement.
JP Mocky, cependant excellent dans son rôle (et son adaptation ?) n'atteindra jamais ces sommets.
Je découvre votre blog, donc je n'ai pas eu le temps de lire encore. Mais Ava
Gardner en ouverture ne peut que m'inciter à découvrir !!!
Bien à vous. Marcello.
vous écrivez :
RépondreSupprimer"La Tête contre les murs compte parmi les tentatives les plus réussies de visions du monde psychiatrique au cinéma, aux côté du Shock Corridor de Fuller ou plus tard Vol au dessus d'un nid de coucou de Milos Forman."
Le pb est que ces derniers (ainsi que la menace de lobotomie dans SOUDAIN L ETE DERNIER dans un milieu féminin sérieusement aliéné) sont beaucoup plus inquiétants.
Franju est à des années lumière de
Mocky : LES YEUX SANS VISAGE,
JUDEX sont les produits d'un talent fou. Le surréalisme dont les Surréalistes n'ont pas le monopole, qui comme l'indique le mot valise "cadavre exquis" est le mariage heureux du comique, du morbide, de l'esthétique et de la poésie sont la signature incomparable de Franju.
Je place à cet égard (tant pis si je suis à contre courant : je persiste et signe) JUDEX en tête, LES YEUX SANS VISAGE ensuite. L'opposition entre les deux attitudes : Paul Meurisse contre Pierre Brasseur, relève aujourd'hui d'un cliché suranné. L'hôpital psychiatrique "portes ouvertes" (avec ses réussites et ses échecs : la femme de
Hans Bellmer, Unica Zürn se suicidera, en se jetant du troisième étage, lors d'un w-e de liberté auprès
d'Hans Bellmer, lui-même dans une chaise roulante et enfoncé dans des séries noires) avec Deleuze et son compère en France, Minguzzi en Italie, a pour le moins quatre ou cinq décennies.
Le casting est heureux : Anouk Aimée est infiniment plus séduisante dans LA DOLCE VITA, mais Alida Valli et Francine Berger (Bergé ?) sont d'une suprême beauté, On peut regretter de ne plus retrouver en Pierre Brasseur le fin matois qu'il était quinze ans plus tôt dans LES ENFANTS DU PARADIS…
Le but de "La Tête contre les murs" n'est pas forcément d'accentuer l'aspect oppressant et inquiétant (encore que je trouve ça aussi glaçant que le Mankiewicz) mais surtout le réalisme. Le film est tourné dans un vrai asile et avec de vrais fous et cela se ressent par rapport à la stylisation du Mankiewicz aussi réussi soit il (pas revu le Forman depuis très longtemps donc je ne m'avance pas dessus). Le film de Franju est d'ailleurs encore aujourd'hui utilisé en école de médecine par les enseignants, c'est dire. Sinon mon favori est Les Yeux sans visages et j'ai le dvd de Judex qui traîne depuis un moment deux films à traiter par ici un de ces jours !
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