Ce film évoque la vie de l'acteur Bob Crane qui, dans les années 1960, était animateur vedette d'une émission de radio à succès. Il est également père de famille et époux comblé. Mais lorsqu'on lui propose le rôle vedette d'une série humoristique, c'est le début de la gloire destructrice. Sa rencontre avec le technicien vidéo John Carpenter, qui le pousse à développer son obsession de l'image mais aussi des femmes. Au fil des années, dans une quête de plaisir et de sexe, Bob Crane va peu à peu perdre sa famille, sa carrière et lui-même...
Pour Paul Schrader, l’art délicat du biopic est tout sauf une récréation. Avec Mishima, il réalisa une œuvre unique en son genre, parvenant à marier la poésie des écrits et la personnalité trouble de l’auteur japonais, grâce à des fulgurances picturales de tous les instants. Auto Focus est au départ un projet moins personnel (le scénario n’est pas de lui mais proposé par le studio) mais Paul Schrader va y trouver des thèmes irriguant son œuvre. Tout comme Mishima, Auto Focus dépeint le destin d’une personnalité controversée, Bob Crane, star sulfureuse des années 60 morte dans des circonstances sordides. Le film adapte plus précisément The Murder of Bob Crane, livre de Robert Graysmith (auteur de Zodiac, adapté plus tard par David Fincher) qui s’attardait en détails sur les circonstances ayant conduit le héros de la série Papa Schultz (Hogan’s heroes en VO) au point de non-retour.
Hormis Blue Collar un peu à part, toute l’œuvre de Paul Schrader, réalisateur comme scénariste, semble se partager entre une attirance pour le stupre et le vice qui s’oppose à une obsession pour la dimension chrétienne du péché et de la rédemption. Ce sont ces facettes qui lui permettront de si bien collaborer avec Scorsese (pour lequel il écrivit Taxi Driver, Raging Bull, La Dernière Tentation du Christ ou encore A tombeau ouvert) pétri des mêmes questionnements. Tout comme Scorsese mais de manière plus prononcée encore, cette dichotomie vient de l’éducation même de Schrader. Il est élevé dans une famille calviniste à l’éducation stricte lui interdisant même de voir des films, sa passion pour le cinéma naissant sur le tard à la fac.
Tout d’abord critique (et auteur d’une thèse Le style transcendantal au cinéma : Ozu, Bresson, Dreyer faisant référence), il devient par la suite un des scénaristes vedettes du cinéma américain des seventies. Cet Hollywood de tous les excès (narrés dans le détail dans le livre Peter Biskind, Le Nouvel Hollywood) Schrader y plongera de plein pied comme pour se débarrasser des derniers oripeaux de son éducation religieuse. L’inévitable culpabilité qui en naîtra nourrira la dualité et la schizophrénie de ses meilleurs films et scénarios. Le héros d'American Gigolo voyant son mode de vie se retourner contre lui, la description sordide du milieu porno naissant dans Hardcore ou encore sa relecture toute personnelle de L’Exorciste dans Dominion sont là pour témoigner de la piété qui l’habite encore.
Au contraire, sa relecture de La Féline de Tourneur (où une métaphore sur la frigidité féminine devient une ode à l’éveil du désir) et Patty Hearst où une kidnappée se range du côté de ses ravisseurs, démontrent son attrait pour l’interdit. Quant à Mishima, Affliction et Taxi Driver, ils illustrent le type de personnages qu’affectionne Schrader : pétris de bonnes intentions mais rongés par leurs démons, les poussant à commettre des actes néfastes et auto destructeurs. Auto Focus, s’avère donc être un condensé idéal de toutes les problématiques du réalisateur, et à travers le parcours de Bob Crane, c’est sans doute un certain reflet du sien que Schrader entraperçoit.
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Auto Focus se fait donc le récit d’une lente descente aux enfers, montrant un Bob Crane prêt à tout sacrifier au profit de son train de vie dissolu. L’esthétique du film renvoie l'image d'un conte de fée inversé. Le début véhicule une belle imagerie « americana », avec la banlieue pavillonnaire proprette où vit Crane, les intérieurs tellement artificiels que l’on pense davantage à une maison témoin qu’à un vrai foyer. Les couleurs criardes et pop des vêtements, les physiques WASP de la famille de Crane constituent une sorte de cliché idéal coincé entre les années 50 et 60, dimanches à l’église inclus. Schrader force le trait pour mieux tout faire voler en éclat lorsque l’existence de Crane se disloque. La photo se fait de plus en plus sombre et désaturée, la mise en scène très « ligne claire » publicitaire laisse place à une caméra aux mouvements incertains témoignant de la confusion intérieure d'un Crane qui a dépassé les limites. Greg Kinnear, avec son allure de gendre idéal reflète parfaitement la fausse image que pouvait véhiculer Bob Crane et délivre une belle prestation en obsédé sexuel pervers. Schrader l'embellit subtilement par la magie du numérique et de rajouts capillaires avant de faire disparaître ces artifices dans la seconde partie pour renforcer sa déchéance physique. Schrader dont la filmographie est souvent partagée entre esthétique tape-à-l’œil (La Féline, Mishima) et imagerie austère (Affliction) ne pouvait trouver meilleur écrin que le destin tragique de Bob Crane.
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Le point le plus fascinant reste cependant la relation amour/haine, dominant/dominé entre Bob Crane et John Carpenter (aucun lien avec le réalisateur d'Halloween). Schrader évite l’écueil faisant de Hollywood la grande Babylone pervertissant un innocent Bob Crane, ce dernier étant déjà un amateur de revues pornos. La célébrité ne sert donc que d’élément déclencheur pour attiser une libido déjà bien bouillonnante, et qui trouvera sa pleine expression avec la rencontre de John Carpenter. Schrader capte avec une acuité rare l’étonnante promiscuité et la quasi-relation de couple de deux hommes hétérosexuels. Modeste technicien chez Sony, Carpenter désinhibe Crane en lui faisant découvrir un monde de plaisir et de perversion tandis que celui-ci par sa notoriété lui donne accès aux filles faciles.
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Il va sans dire que l’on voit d’un autre œil une rediffusion de Papa Schultz après la découverte de l’envers du décor, pour ce qui demeure sans aucun doute un des meilleurs films de Paul Schrader.
Sorti en dvd zone 2 français chez Sony
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