Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

lundi 31 juillet 2017

Orca - Michael Anderson (1977)


Avec son équipage, le capitaine Nolan et ses acolytes Annie, Paul et Novak pêchent un requin. Il revend les animaux qu'il capture à des aquariums. Un jour, il rencontre Rachel, un professeur d'université qui voue une passion aux épaulards. Nolan se met alors en tête d'attraper un de ces animaux, en espérant en tirer un profit plus important. Lors de sa tentative de capture, il blesse mortellement une femelle épaulard sur le point de mettre bas. Dès lors, le mâle, furieux, prend en chasse le bateau du capitaine et dévore Novak. Il poursuivra Nolan jusqu'à ce qu'il obtienne sa vengeance.

Après avoir laborieusement ressuscité King Kong le temps d’un piteux remake en 1976, le producteur Dino de Laurentiis décide de surfer sur le succès des Dents de la Mer (1975) en produisant Orca. Voyant les recettes spectaculaires du  film de Steven Spielberg, De Laurentiis contacte son scénariste Luciano Vincenzoni en le chargeant d’écrire une histoire mettant en scène un cétacé encore plus intimidant que le requin blanc de Jaws. Vincenzoni après renseignement auprès de son frère passionné de zoologie va donc se rabattre sur l’épaulard pour son script (adapté du roman éponyme de  Arthur Herzog même si étrangement pas crédité dans le film).

Les Dents de la mer était avant tout un pur film de terreur qui prenait une dimension plus épurée et mythologique dans sa dernière partie. Cette facette mythologique imprègne à l’inverse totalement Orca, notamment dans la description de l’épaulard. Michael Anderson passe par l’imagerie rêveuse dans la scène d’ouverture pour dépeindre l’harmonie et la communion des épaulards, un coucher de soleil irréel accompagnant leurs sauts tandis que leurs impressionnantes silhouettes se fond en surimpression dans le paysage maritime. Des scènes plus réalistes et documentaires accompagneront ensuite leurs pérégrinations, la caution scientifique du personnage de Charlotte Rampling développant les caractéristiques spécifiques - sans doute extrapolées à des fins spectaculaire – du mammifère qui serviront l’intrigue : intelligence supérieure se rapprochant de l’homme, instinct familial et monogamie… Ces qualités deviendront de terribles armes contre le capitaine Nolan (Richard Harris), pêcheur cupide et désinvolte qui va décimer une famille d’épaulards en tentant d’en capturer un. Le lyrisme des scènes mettant en scènes les animaux constitue une dichotomie volontaire avec la légèreté des passages sur terre laissant voir le détachement mais aussi la profonde ignorance de Nolan sur ce monde sous-marin qui n’est rien de plus qu’un gagne-pain.

 La compréhension de ce lien ancestral entre terre et mer, l’équilibre du partage de ces eaux entre les hommes et les mastodontes, tout cela va constituer le parcours initiatique de Nolan. Le scénario inverse habilement le postulat de Moby Dick, l’épaulard étant en quête de vengeance et harcelant sur terre celui qui a tué sa famille. L’anthropomorphisme parfois appuyé (les gros plans sur le regard hargneux de l’épaulard qui s’imprègne de façon indélébile du visage de Nolan pour sa vengeance) s’inscrit constamment dans cette dimension mystique et mythologique qui fait tout passer. 

Les assauts redoutablement calculés de l’épaulard sont l’occasion de séquences particulièrement impressionnante et sans égaler la tension extrême d’un Jaws, Orca se montre nettement plus spectaculaire : ponton de port détruit, maison sur pilotis ensevelie, bateaux coulés et cela sans compter le haletant final dans un champ d’iceberg. Les effets spéciaux sont remarquable, le montage joue habilement des scènes tournées en bassin (Marine World de Redwood City en Californie précisément), en pleine mer (le tournage se partageant entre Malte la province de Terre-Neuve-et-Labrador, au Canada) tandis que les répliques d’épaulards sont si réussies qu’elles provoquèrent des échauffourées avec des défenseurs d’animaux pensant qu’ils étaient réels. 

 La grandiloquence et mélancolie du score d’Ennio Morricone complète la nature mystique de ce duel dont Nolan cherche en vain à se défiler. L’épaulard l’aliène minutieusement de son entourage et environnement pour ne plus lui laisser d’autre choix que de venir relever le défi lancé en mer. Le récit façonne un mimétisme habile entre le chasseur et la proie, y compris dans les fêlures familiale qui amènent Nolan à comprendre son adversaire dans ses instincts primaires comme sa haine. Richard Harris est remarquable, tout comme Charlotte Rampling amenant une vraie consistance (et la distance scientifique et mythologique façon Moby Dick justement par sa voix-off) à son personnage. 

La terre et la mer n’existe plus dans la dernière partie, la brume, le froid et le champ d’iceberg façonnant un espace épuré et abstrait théâtre de l’ultime affrontement. Le jeu de massacre réduit le champ au deux seuls adversaires, Michael Anderson multipliant les idées formelles les plus folles pour s’éloigner du réel et signer de vrais tableaux mythologiques. Une belle réussite froidement accueillie à sa sortie (pour cause d’une ressemblance exagérée avec Jaws dont il s’éloigne pourtant pas mal) mais qui au fil des ans et des rediffusions tv gagnera une aura culte méritée.

Sorti en dvd zone 2 français chez Studiocanal 

 

vendredi 28 juillet 2017

Le Kimono Pourpre - The Crimson Kimono, Samuel Fuller (1959)


Une strip-teaseuse est assassinée dans le quartier japonais de Los Angeles. Deux détectives, l'un américain, l'autre japonais, amis de longue date, qui se sont connus pendant la guerre, sont chargés de l'affaire. Mais, durant l'enquête, la rencontre d'une artiste-peintre va briser leur amitié, puis leur faire prendre conscience d'une autre conception de la vie.

Samuel Fuller avait déjà exploré la culture japonaise et notamment évoqué une romance mixte dans le formidable La Maison de bambou (1959), un des premiers films américain tournés au Japon. Quatre ans plus tard aborde à nouveau le sujet en plaçant cette fois le cadre de l’intrigue aux Etats-Unis, dans le Little Tokyo de Los Angeles. La trame policière autour du meurtre d’une strip-teaseuse (qui donne lieu à une ouverture saisissante avec cette femme en sous-vêtements courant apeurée en plein rue avec d’être froidement abattue) est un quasi prétexte pour aborder ces questionnements raciaux à travers l’enquête du duo de flic Charlie Bancroft (Glenn Corbett) et Joe Kojaku (James Shigeta). Quand on a le souvenir de l’évocation féroce du racisme dans un film contemporain comme Un homme est passé d John Sturges (1959), le début du film surprend par l’harmonie et l’acceptation de la culture japonaise dans cette ville de LA.

Cela passe d’abord par l’amitié et la complicité entre Charlie et Joe, quelques dialogues et situations suffisant à saisir le lien profond qui les unit, né de leur expérience durant la Guerre de Corée. Fuller prolonge cela par sa description de ce Little Tokyo avec le filmage de lieux, de rites (le tournoi de kendo à la police), costumes traditionnels typiquement japonais qu’on avait alors rarement l’occasion de voir et où comme dans La Maison de bambou il montre son profond respect de cette culture. L’effort est significatif, Le Kimono Pourpre étant un des rares films de l’époque où loin du tout-anglais hollywoodien on peut avoir des scènes entières dialoguées en japonais, notamment les interrogatoires de Joe auprès des migrants. Le conflit interviendra paradoxalement au moment où cette mixité d’ensemble pourrait pleinement s’épanouir à travers une romance interraciale entre Joe et l’artiste peintre Chris (Victoria Shaw), témoin de l’affaire. 

Fuller nous aura préparés en amont à cet écueil par la caractérisation des personnages. L’amitié fusionnelle de Joe et Charlie, qui vivent ensemble, repose notamment sur une volonté de célibat indéfectible. Quand chez Charlie cela relève d’un aspect relativement machiste et rouleur de mécanique (qui se ressentira dans sa séduction balourde quand il s’amourachera de Chris), cela semble relever d’un mal plus profond chez Joe. Un dialogue évoquera une relation avortée avec une nippo-américaine dont seul l’origine constituait un point commun entre eux, et Joe semble s’impliquer dans son job de policier avec une conviction qui semble presque justifier pour lui une identité américaine dont il doute. 

Dès lors la scène de séduction avec Chris se montre d’une grande subtilité pour exprimer ces sentiments contradictoires. Samuel Fuller joue subtilement d’un effet de rapprochement/éloignement par l’image à travers la gestuelle, le positionnement dans l’espace mais aussi le contenu de la conversation des personnages pour révéler ce rapprochement amoureux. Le dialogue amène cette complicité et sensibilité artistique commune par la vulnérabilité attachante que révèle Joe (loin de la balourdise de son acolyte) et le charme de cette découverte par Chris qu’on sent tomber amoureuse de lui. Le réalisateur filme cette proximité naissante tout en nous frustrant de l’enlacement et baiser attendu, le lien se nouant paradoxalement lorsque Joe se lève du canapé pour jouer du piano. La composition de plan concrétise cette romance avec Joe au premier plan jouant tandis que l’on distingue une Chris admirative et aimante en arrière-plan. 

La multi culturalité s’ajoute à la séquence puisque Joe joue une ritournelle japonaise au piano, sur lequel trône néanmoins un buste de Beethoven. Pourtant au moment des aveux de sentiments supposés conclure ce magnifique moment, Joe a un mouvement de recul qu’on attribue à une culpabilité envers Charlie, mais le mal est plus profond. Toute la question de racisme jusque-là totalement évitée refait surface, pas par l’entremise du monde extérieur (qu’il soit japonais ou américain) mais par le seul doute de Joe pas encore accompli dans son assimilation et qui interprète la supposée intolérance des autres, malgré la bienveillance de son entourage.

La trame policière est donc un catalyseur qui se greffe parfois grossièrement à l’ensemble, notamment le final où une coïncidence et un dialogue trop explicatif du coupable permet de résoudre l’affaire. De même on sent pour Fuller l’obligation de greffer un peu artificiellement des scènes d’actions (la double confrontation avec un colosse coréen) ou des figures pittoresques ((la peintre excentrique jouée par Anna Lee qui rappelle en moins intéressant la Thelma Ritter du Port de la drogue (1953)) quand l’intérêt est clairement ailleurs, dans cette romance contrariée et l’atmosphère si particulière du film. Néanmoins les prestations subtiles (le couple Victoria Shaw/James Shigeta aussi charismatique qu’attachant) et l’absence de manichéisme (le final loin des conventions où l’amour ne résoudra pas tout) font de ce Kimono Pourpre un spectacle remarquable et captivant.

Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis 

 

mardi 25 juillet 2017

Le Vagabond de Tokyo - Tōkyō Nagaremono, Seijun Suzuki (1966)

Tetsu, yakuza et favori de Kurata, le chef de son clan, décide de se ranger. Kurata lui offre un travail régulier. Mais cette faveur leur vaudra les critiques d'Otsuka, un autre chef de clan. Ainsi Tesu est condamné à quitter Tōkyō, et devenir une sorte de yakuza errant, un vagabond, pour préserver l'honneur de Kurata.

Le Vagabond de Tokyo est le film qui amorce la chute de Seijun Suzuki avant la rupture définitive et le renvoi de la Nikkatsu que causera La Marque du tueur (1967). Le film est à contre-courant avec ce genre du yakuza-eiga alors en déclin et qui forcera la Nikkatsu à une mue radicale en se réorientant vers le roman porno. Pourtant sur le papier Le Vagabond de Tokyo avait tout pour plaire, son postulat mêlant habilement archétype du genre mais aussi des thématiques novatrices avec une démythification de l’imagerie chevaleresque du yakuza, popularisé quelques années plus tard par la série des Combats sans code d’honneur ou Le Cimetière de la morale (1975) de Kinji Fukasaku. Si le classicisme sert un certain confort du genre pour le spectateur et l’innovation un renouveau thématique, Suzuki n’emprunte aucune de voies, Le Vagabond de Tokyo étant un pur terrain d’expérimentation formelle.

Tout le film constitue un va et vient entre les conventions et cette bascule, les aspects (décors, situations) initiés par le réalisateur dans ses films précédents étant constamment malmenés. Tetsu (Tetsuya Watari) est un homme de main sans but depuis que son chef de clan Kurata (Ryuji Kita)  s’est rangé des affaires. Seulement les biens des repentis suscitent la convoitise des autres clans yakuza qui vont monter un complot diabolique pour parvenir à leur fin. La réussite du piège ne tient qu’à la profonde fidélité et au lien quasi filial qu’entretient Tetsu avec Kurata et qui lui a fait renoncer à tout, son honneur mais aussi son amour pour la chanteuse Chiharu (Chieko Matsubara). Seijun Suzuki dresse visuellement une dichotomie entre la distance prise par Tetsu avec le monde yakuza et une réalité criminelle qui le poursuit inlassablament. L’ouverture en noir et blanc montre donc notre héros subir un passage à tabac sans broncher, un élément en couleur exprimant la tentation à renouer avec sa vie violente. L’abstraction des situations et des décors ne servent qu’à construire un fossé entre la droiture désuète de Tetsu et un monde des yakuza déliquescent où seules les valeurs de l’argent ont désormais cours.

 La stylisation bariolée des environnements yakuzas associés à la corruption urbaine de Tokyo s’afficheront donc peu en peu en parallèle de l’épure de l’errance rurale d’un Tetsu exilé. Le passé se rappelle constamment à lui par la violence et les sbires de ses ennemis qui le poursuivent. C’est également les seuls lieux où une amitié sincère peut se manifester à travers un yakuza indépendant et lucide. C’est par lui que notre héros prend douloureusement conscience de son statut de petite main à sacrifier sur l’autel du profit. Cet espace mental de confusion et de solitude est l’occasion pour Suzuki d’exploiter à son avantage les coupes budgétaire d’une Nikkatsu de plus en plus réfractaire à ses écarts. 

Les scènes d’actions tiennent parfois lieux de quasi aparté et/ou insert sans début ni conclusion s’immiscent dans un rebondissement dramatique plus vaste et le gimmick pop (par effet de lumière ou cadrage inattendu) rend chacun de ces instants indélébiles à la rétine. Le tout culminera dans un mémorable climax final où les comptes se règlent dans un décor blanc immaculé et dépouillé où le changement de couleur de veste du héros tient lieu d’émancipation dans un déchaînement de violence. Un objet inclassable à l’influence considérable dont la plus récente et assumée sera La La Land de Damien Chazelle. Une belle mise en bouche avant l’ultime outrage que sera La Marque du tueur. 

 Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films