Le narrateur, sans
identité précise, vit seul, travaille seul, dort seul, mange seul ses
plateaux-repas pour une personne comme beaucoup d'autres personnes seules qui
connaissent la misère humaine, morale et sexuelle. C'est pourquoi il va devenir
membre du Fight club, un lieu clandestin où il va pouvoir retrouver sa
virilité, l'échange et la communication. Ce club est dirigé par Tyler Durden,
une sorte d'anarchiste entre gourou et philosophe qui prêche l'amour de son
prochain.
La fin des années 90 et donc de siècle aura vu le cinéma
américain poser à travers plusieurs films une vaste interrogation sur la place
de l’individu dans la société. Cela passe par une portée philosophique entre
inspiration SF littéraire et effets spectaculaires dans Dark City d’Alex Proyas (1998). The
Truman Show de Peter Weir (1998) est une fable plus directement rattachée à
l’imagerie americana dont il dénonce l’idéalisme publicitaire. Ces deux films
dressent leurs héros contre l’artificialité d’un environnement qui les
assujetti, tout comme le fera Matrix
des Watchowski (1999). Matrix et
Fight Club sortis à quelques mois d’écarts partagent pourtant un ancrage plus
contemporain dans cet esprit « fin de siècle », la prison de ses
personnages étant rattachée à une aseptisation perceptible de la société. Ce
mal-être existentiel en reste certes à l’argument SF dans Matrix mais tout concourt à relier le malaise à une réalité
aliénante et un certain esprit punk : Neo (Keanu Reeves) se libère autant
des chaînes de la Matrice que de sa médiocre condition d’employé de bureau,
d’une urbanité anonyme et des agents de la Matrice au look interchangeable de
cols blanc. Fight Club se nourrit
d’une même volonté anarchiste mais inscrit le doute dans la transcendance de
son héros, loin de la facilité de « l’élu » de Matrix - qui sera cependant remise en cause dans les deux suites.
Au départ Fight Club
est un brûlot littéraire paru en 1996 et
le premier roman de Chuck Palahniuk. La Fox en acquiert les droits par
l’intermédiaire de la productrice Laura Ziskin qui en quête d’un réalisateur
majeur pour l’adaptation, essuiera les refus de Peter Jackson, Bryan Singer ou
encore Danny Boyle pourtant loin d’être installés dans l’industrie
hollywoodienne. David Fincher est quant à lui fan du roman dont il avait
cherché à acquérir les droits mais reste encore échaudé par sa traumatisante
expérience au sein de la Fox pour Alien 3
(1993). Après avoir été rassuré par Laura Ziskin, David Fincher se lance dans
l’écriture du scénario avec Jim Uhls avec comme premier choix fort de réinstaller
la narration en voix-off. Celle-ci contient toute la dimension ironique et
humoristique d’un récit qui serait sinistre s’il en était dépourvu. Eliminée
car considérée comme désuète à l’époque, cette voix-off apportera un côté à la
fois ludique dans ses apartés et retour en arrière mais aussi plus ouvertement
construit que le livre tout en en respectant l’esprit.
Le film est pour Fincher
l’occasion de revisiter ironiquement sa prime carrière de réalisateur de
publicité. L’existence morne du narrateur (Edward Norton) se révèle par son
absence de nom, sa profession d’agent d’assurance et la neutralité des
environnements qu’il traverse : bureau anonyme, halls d’aéroport
interchangeables et appartement décoré aux dernières tendances. Ce cocon de
médiocrité est lucidement observé par la voix-off et illustré avec inventivité
par Fincher avec notamment ce fameux moment où Norton traverse son appartement
prenant les contours d’un catalogue Ikea. Le mal-être du personnage s’exprime
alors de manière physiologique et implicitement psychanalytique, avec une
insomnie chronique et un état de zombie perpétuel qui laisse apparaître en
image subliminale la silhouette de Tyler Durden (Brad Pitt) très tôt dans le
récit.
David Fincher rêvait avec Fight Club de signer un coming
of age tordu façon Le Lauréat
mais pour la génération des trentenaires. On pourrait également faire un
parallèle avec Mosquito Coast (1986) de
Peter Weir (1986). Dans ce film Harrison Ford incarnait un inventeur ne
trouvant plus sa place dans un monde contemporain où toutes les découvertes
majeures avaient été accomplies et qui allait se perdre dans une jungle,
victime de sa folie démiurgique. Fight
Club par d’une même réflexion mais pour les trentenaires de cette fin de
XXe siècle. Le narcissisme de cette génération (et qu’approfondira Fincher à
travers les réseaux sociaux de The Social
Network (2010)) et le contexte socio-économique d’alors fait naître leur
frustration de façon différente. Plutôt que les innovations inondant l’esprit
d’un Harrison Ford et dont le monde ne veut pas, ce qui manque aux héros de Fight Club, ce sont les sensations
fortes. Toutes les révolutions et rébellions semblent avoir été réalisées, leur
génération de famille monoparentale élevés par des femmes les ont empêchés de
s’accomplir et devenir de « vrais » hommes ». Tout en dénonçant
la vraie soumission de chacun à cette société du consumériste, Fight Club y cède sur de nombreux points.
Le charismatique Tyler Durden apparaît aussi puéril que réellement habité par
sa cause, son propos cinglant n’étant jamais loin de ces slogans publicitaires
qu’il abhorre tel le célèbre « La première règle du Fight Club est : il
est interdit de parler du Fight Club ». Le Fight Club de mouvement marginal devient
à sa manière une franchise nationale et identifiable (la dernière partie où de
ville en ville le narrateur repère d’instinct ceux abritant un Fight Club) par
ses codes. Brad Pitt au sommet de sa photogénie (que Fincher questionnera
autrement dans Benjamin Button (2008)
incarne ainsi un idéal trop parfait de danger et de style, une icône de t-shirt
dont les atours nous préparent finalement déjà au twist final. Ces éléments
ajoutés à la schizophrénie entre masculinisme extrême et la promiscuité crypto
gay de Pitt/Norton sèment donc le chaud et le froid. L’hilarant et inventif
sens de la provocation (l’introduction de Tyler Durden et ses activités) prend
un tour de plus en plus menaçant, l’abêtissement des « space
monkeys » prenant peu à peu le pas. Le clinquant et le quelconque
s’entrecroisent constamment dans les décors choisis, dans la gamme chromatique
de la photo de Jeff Cronenweth. La banalité des espaces de bureau clinique
parait alors aussi étudiée que l’incroyable et poisseux décor de la maison de
Tyler Durden.
L’accusation de fascisme qu’a parfois pu essuyer le film à
sa sortie s’écroule donc au vu de ces nombreuses contradictions volontaires.
David Fincher filme au contraire une comédie noire où ce qui semble être
dénoncé est repris sous un emballage arty et crade, où les rebelles
reproduisent ce à quoi ils s’opposent en reprenant les mêmes codes - la
lobotomie du job alimentaire ayant laissée place à celle de la cause creuse. Il
faut cependant admettre que c’est un vernis qui se dévoile au fil des revisions
(l’adrénaline punk étant la sensation initiale jubilatoire) et à l’aune de la filmographie entière de Fincher
où règne une même ironie. L’outil communautaire virtuel de The Social Network naît d’un chagrin d’amour et brise ainsi une
amitié réelle, L’outil de protection ultime devient un tombeau dans Panic Room (2002) et l’enfer se
dissimule sous le cocon bourgeois et pavillonnaire de Gone Girl (2014).
Dès lors sous le supposé « message » et
l’avalanche d’effets virtuoses (la scène d’introduction partant du méandre du
cerveau au réel et annonce la caméra virevoltante de Panic Room, la stupéfiante séquence d’accident routier) c’est le
drame humain qui finit par captiver dans Fight
Club. Edward Norton incarne ainsi parfaitement cette apathie urbaine
désespérée (déjà au cœur de Seven (1996)
et avec une solution toute aussi extrême pour son serial-killer) puis cette
galvanisation artificielle qui dissimule une profonde dépression. Le personnage
apparaît de plus en plus chétif et souffreteux tandis que l’acolyte Durden
devient le dominant de plus en plus glamour et érotisé. C’est encore plus
flagrant pour Marla Singer (Helena Bonham Carter), élément féminin gratuitement
provocateur - notamment une scène de sexe comme on n’en avait jamais vue - dans
un premier temps puis vraie victime du film à la lumière du retournement final.
Fight Club est un
film bien de son temps par les peurs et les doutes qu’il incarne, mais
finalement aussi visionnaire. Le monde-supermarché à grande échelle peuplé de
marques et la solitude ont depuis été décuplés par les réseaux sociaux.
Certaines images seraient impossibles à reproduire tel quel aujourd’hui
(l’effondrement de buildings final se restreint aujourd’hui à l’abstraction des
films de super-héros) et le recrutement des membres du Fight Club (ainsi que le
vide moral et existentiel qu’il vient combler) rappellera une triste actualité
contemporaine. La critique à de rares exception près ne sera pas sensible à la
vision de Fincher et la jeunesse fera un triomphe au film - Echec aux
Etats-Unis mais succès relatif dans le monde dont 1 millions d’entrée France,
mais par contre carton historique en dvd – et l’érigera au rang culte ans doute
pour de mauvaises raisons dans un premier temps – le fameux syndrome du Scarface de Brian De Palma (1984). Loin des polémiques désormais, Fight Club demeure un objet inclassable et aussi schizophrène que son personnage principal. Fincher revisitera cette illusion d’un monde idéal avec certes plus d’élégance et de finesse dans The Social Network ou Gone Girl, mais l’iconoclasme sale gosse et rock’n’roll de Fight Club reste son manifeste le plus éclatant.
Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Fox et rssort en salle le 26 juillet
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