David Fincher avec ce Gone
Girl vient résoudre un malentendu qui ne fut jamais complètement dissipé
sur ce que beaucoup considère comme son meilleur film, Fight Club (1999). Certain y virent une diatribe punk contre la
société de consommation, une ode schizophrène et déjantée à la rébellion contre
un monde aseptisé. Le réalisateur y avait certes inséré ces éléments mais ce
n’était qu’un enrobage pour ce qui était une vraie comédie noire. Capturant le
mal-être des trentenaires dans une société normalisée où plus rien ne pouvait
être réalisé de neuf, Fincher se moquait autant des utopies consuméristes
qu’idéalistes, toutes réduites à une imagerie et des slogans stériles qui
s’avéreraient le nœud d’une folie vertigineuse le temps d’un twist resté dans
les annales. Fight Club était
jusqu’ici l’illustration la plus brillante d’une ironie qui court pourtant dans
de nombreux films de Fincher : l’outil de sécurité qui devient un piège
mortel dans Panic Room (2002),
l’espace communautaire de Facebook qui fera exploser une amitié bien réelle
dans The Social Network (2010), le
final mordant de The Game (1997). Gone Girl s’avère ainsi le pendant
contemporain de Fight Club, la cible et
le traitement correspondant à la maturité nouvelle de Fincher qui y distille un
fiel tout aussi savoureux.
Après le spleen des trentenaires, c’est le nouvel enfer des
quarantenaires et donc l’institution du mariage qui se voit passer au vitriol à
travers cette adaptation du roman Les Apparences de Gillian Flynn – qui
en signe également le scénario. Le postulat semble au départ nous emmener sur
les rives du thriller balisé. Le jour de leur cinquième anniversaire de
mariage, Nick Dunne (Ben Affleck) va constater un matin la disparition
mystérieuse de son épouse Amy (Rosamund Pike) tandis que leur maison saccagée
laisse envisager le pire. Pourtant, par son attitude étrange, les témoignages
des voisins et des éléments suspects quant à la vie du couple, tout semble peu
à peu désigner Nick comme le meurtrier de sa femme…
L’ambiguïté et un certain
décalage sont de mise dès les premiers instants du film, que ce soit dans le
déroulement au présent de l’enquête ou la narration en flashback du journal
d’Amy jetant un voile plus sombre sur le quotidien des époux. On pense autant
au David Lynch de Twin Peaks qu’au
Tim Burton d’Edward aux Mains d’argent
(1990) lorsqu’on voit s’effriter progressivement l’imagerie proprette de cette
Amérique pavillonnaire et provinciale. Les éléments ayant amenés le soupçon
initial vont ainsi illustrer un des maux dénoncés par le film : le culte
de l’image, celle-ci se formant et se déformant au gré d’une opinion versatile
facile à manipuler. Une quidam en quête de notoriété arrache un selfie à Nick,
sa multidiffusion immédiate générant les premiers soupçons sans que l’ombre
d’une preuve de sa culpabilité n’ait été trouvée.
Les tabloïds, talk-show à
sensation et réseaux sociaux achèveront parfaitement l’entreprise de
démolition. Les flashbacks de la rencontre et premiers moments de bonheur des
Dunne véhiculent de tels poncifs de comédie romantique dégoulinante que le
malaise d’Amy aux premières anicroches - difficiles mais somme toute commune à
la vie de couple – interroge quant à la réalité de ce passé parfait. A
l’inverse Nick loin de cette perfection d’ensemble multipliera les
tares plus ou moins vérifiées : menteur, infidèle, mari violent.
Etrangement c’est pourtant bien lui qui nous paraître le plus humain dans ce
vernis consensuel hypocrite et amorce alors les premiers soupçons d’une
révélation saisissante à mi- film.
Tout comme les grands desseins des adulescents apathiques de
Fight Club se voyaient noyé dans
l’enfer de la routine, le quotidien du mariage ne pourra suffire au rêve de
conte de fée flamboyant des personnages de Gone
Girl. Une folie schizophrène viendra détruire par l’inconscient ce carcan
dans Fight Club et Gone Girl obéit à un même dérapage
mental comme on viendra à le découvrir. Dans les deux films la force de Fincher
est de ne pas reposer sur son twist (beaucoup plus déroutant et inattendu dans Fight Club quand on peut le suspecter
dans Gone Girl) mais d’en user pour
emmener le récit sur les rives d’un humour noir savoureux.
Nick Dunne décide
enfin de jouer le jeu des médias et Ben Affleck par ses expressions contrites
et niaiseuses excelle à donner une réponse moqueuse au grand public en quête de
sensation. La réalité n’a aucun intérêt et toutes les forces négatives du film
poursuivent un cliché. Amy évidemment avec son idéal mis à mal par le réel, le
surprenant personnage incarné par Neil Patrick Harris (pathétique, hilarant et
dangereux à la fois grande prestation) poursuivant le fantasme d’une romance
adolescente et bien sûr le public qui vit son soap opéra en live par support
interposé.
L’incroyable est devenu la vraie réalité, au point que lorsque Nick
dévoilera son histoire à son avocat (Tyler Perry) hilare, celui-ci n’en doutera
pas un instant car « c’est son métier ». Fincher déroule ainsi sur
près de 2h30 une intrigue captivante de bout en bout où il réussit allier une
outrance et un grand guignol disparu dans son style plus sobre des dernières
années avec un style précis, froid et clinique pour observer ces psyché
torturées. Seul défaut, on aura une certaine impression de distance dans ce jeu
de massacre quand un Fight Club justement sous l’ironie était un vrai drame
humain et touchant sur l’apathie urbaine (que Seven annonçait d’ailleurs) ordinaire. Là malgré une conclusion
cinglante, l’empathie ne semble pas fonctionner complètement en dépit du
message corrosif : le mariage est une prison des apparences mais
certainement pas ou plus le refuge des sentiments.
En salle
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