Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 31 janvier 2023

March Comes in Like a Lion - Sangatsu no raion, Hitoshi Yazaki (1991)


 À Tokyo, Ice ramène son frère aîné amnésique Haruo de l'hôpital pour s'occuper de lui. Il hésite à y aller jusqu'à ce qu'Ice lui dise qu'elle est son amante. Il la suit. Combien de temps avant que sa mémoire ne revienne ?

March Comes in Like a Lion est le second film tardif du réalisateur Hitoshi Yazaki après un inaugural Afternoon breezes (1981) où il explorait déjà le thème des amours refoulés et coupables. Il évoque ici le tabou de l'amour fraternel incestueux dans un film très étrange. Le récit s'ouvre sur une vision de photo polaroïd de Haruo (Bang-ho Cho) et sa sœur Natsuko (Yoshiko Yura) enfants, accompagné d'un texte succinct nous disant que depuis cette époque Natsuko est voue un amour guère fraternel pour Haruo. Une ellipse nous amène à l'âge adulte où Haruo est victime d'amnésie pour des raisons que nous ignorons.

C'est l'opportunité pour Natsuko d'assouvir cette attirance taboue en faisant sortir son frère de l'hôpital et lui faire croire qu'elle est sa petite amie. Dès lors s'engage une narration flottante, dépourvue de vraies péripéties autre que la relation trouble des personnages. Natsuko est une jeune femme vivant dans les marges en se prostituant, paradoxalement la romance interdite est le seul éclair dans un quotidien solitaire que le réalisateur suit dans des déambulations tokyoïtes chargées de spleen. Haruo est quant à lui un homme-enfant se laissant porter par les évènements, en pleine redécouverte du monde qui l'entoure.

La première partie donne dans le quotidien romantique languissant, accompagnant sur une bande-son assez entêtante les pérégrinations du couple. Cette candeur est contrebalancée par les environnements assez sordides donnant à voir justement un Japon loin de l'urbanité fière des grandes villes, entre l'appartement insalubre du couple, les chantiers sur lesquels travaille Haruo. Cette précarité entrecroisée au lien fragile des personnage dessine déjà l'es ombres qui planent sur leur relation. A mi-film, une rupture de ton intervient alors qu'après une turpitude joyeuse, Haruo a cette phrase terrible : "Je me souviens". La mémoire ne lui revient pas à ce moment-là mais néanmoins des bribes de ses émotions passées semblent lui revenir. Dès lors la tension et la culpabilité s'installent avec cette crainte pour Natsuko que Haruo se souvienne et li reproche son mensonge. Hitoshi Yazaki multiplie les idées formelles, notamment rattachées aux miroirs pour traduire la crise identitaire d'Haruo et laissent flotter une ambiguïté qui restera irrésolue jusqu'au bout. Et si Haruo à un certain stade de l'histoire avait effectivement retrouvé la mémoire mais sans l'avouer à Natsuko afin de préserver leur relation ? 

Le doute existe grâce à la subtilité du jeu des acteurs où la culpabilité possible se mélange à une réelle passion dont ils ne peuvent se départir. Hitesho Yazaki fait passer tous ces questionnements avec une sécheresse narrative prononcée, des dialogues rares, la mise en scène et les différentes atmosphères installées se chargeant d'orienter nos émotions contradictoires. Dans cette idée, le tabou de la scène de sexe est absent dans la première partie très naïve et chaste, et l'interdit charnel n'intervient qu'une fois ce doute mémoriel installé pour rajouter au malaise dans le filmage. La dernière scène est assez magistrale de ce point de vue, franchissant un ultime interdit qui amènent les personnages à verser des larmes que l'on ne saurait qualifier de joie, ou d'un autre sentiment plus insaisissable. Un très joli film qui manie avec une rare nuance son postulat provocateur. 

Sorti en dvd japonais

 

dimanche 29 janvier 2023

Icare - Carlo Vogele (2022)


 Sur l’île de Crète, chaque recoin est un terrain de jeu pour Icare, le fils du grand inventeur Dédale. Lors d'une exploration près du palais de Cnossos, le petit garçon fait une étrange découverte : un enfant à tête de taureau y est enfermé sur l’ordre du roi Minos. En secret de son père, Icare va pourtant se lier d’amitié avec le jeune minotaure nommé Astérion. Mais le destin bascule quand ce dernier est emmené dans un labyrinthe. Icare pourra-t-il sauver son ami et changer le cours d’une histoire écrite par les dieux ?

Carlo Vogele signe une jolie relecture du mythe d'Icare dont il exploite les zones d'ombres (sorti de la péripéties connue et tragique des ailes se brûlant au soleil) pour l'enrichir d'une matière romanesque différente. C'est précisément les figures d'Icare et du minotaure Astérion dont l'amitié enfantine subit tous les conflits intimes et géopolitiques qui forment l'arrière-plan du mythe, que ce soit le conflit entre le roi crétois Minos et les Grecs, ainsi que la maternité contrariée de la reine Pasiphaé ou la relation père/fils tumultueuse entre Icare et Dédales - ces derniers points revisités pour le film. Tout le récit tend à dérouler le mythe originel comme quelque chose d'inéluctable et de subit par les personnages qui aspirent à autre chose. 

C'est particulièrement touchant concernant le minotaure délesté de ses atours monstrueux et inquiétant pour n'être qu'une créature apeurée et jouet d'enjeux qui la dépasse. Tous les changements visent à donner une profondeur à l'archétype, ce qui correspond également à l'esthétique du film. L'animation se partage en 2D et 3D, la 2D offrant des à-plats puisant leur inspiration dans diverses sources picturales grecques antiques dans les compositions de plan et l'usage des décors, la 3D apportant une modernité avec un design plus bd franco-belge pour les personnages. L'alternance entre un score de musique baroque posant une gravité plus haute et des éléments plus immersif de sons orientaux. 

Dès lors tout en emboitant les évènements du mythe avec les libertés de son film, Carlo Vogele leur donne une tonalité différente. La confrontation entre Thésée et Astérion, le sort final d'Ariane ou le fameux vol fatal d'Icare trouvent une portée dramatique qui dévient le sentiment attendu et donnent aux personnage une forme de libre-arbitre par rapports au destin assigné par les Dieux. Le film trouve un vrai équilibre par une accessibilité de ce mythe pour les jeunes et/ou néophyte tout en s'autorisant une gravité, un premier degré assumé (le réalisateur passé par Aardman et Pixar souhait vraiment s'éloigner du ton distancié en vogue dans l'animation grand public actuelle) de surprenants élans de sensualité plus adulte. 


 Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez M6 Vidéo

 

vendredi 27 janvier 2023

Faux Mouvement - Falsche Bewegung, Wim Wenders (1975)

Vivant sous l'emprise d'une mère oppressante, le jeune Wilhelm décide de partir à Bonn avec l'envie de devenir écrivain. Dans le train, il rencontre un ancien athlète olympique et sa compagne. Une actrice et un jeune homme les rejoignent. Dès lors, rien ne se passera comme prévu pour Wilhelm... 6 jours dans la vie d'un jeune homme, 6 jours pour décider de son avenir et se confronter à l'apprentissage de la réalité.

Faux mouvement est une œuvre qui creuse un des sillons thématiques fétiche de Wim Wenders celui de l’errance, géographique comme existentielle. Le réalisateur se plaît à détourner la simple attente de road-movie inhérente à ce sujet, surprenant à chaque fois le spectateur. Son précédent film Alice dans les villes (1974) travaille ainsi davantage ce principe d’errance sans but plutôt qu’une veine picaresque proche du contemporain La Barbe à papa de Peter Bogdanovich (1973) au sujet proche. Plus tard ce sera toute l’imagerie mythologique du western qui sera anesthésiée dans le magnifique Paris, Texas (1985). Le détournement est d’ici d’ordre littéraire pour Wim Wenders. Le film adapte très librement le roman Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe, publié en 1802. Le livre était, comme son titre l’indique, un roman d’apprentissage voyant un jeune homme aux aspirations d’acteur parcourir le monde au sein d’une troupe de théâtre, faire l’expérience de l’amour et de la réalité sociale qui transformera sa vision jusque-là uniquement biaisée par le prisme des arts.

Faux mouvement reprend ce principe dans le cadre d’une Allemagne contemporaine. Cependant l’aspect candide du roman de Goethe s’estompe sur bien des points. Le Wilhelm (Rüdiger Vogler) n’est déjà plus si « jeune », en tout cas le jeune adulte curieux et avide du monde laisse place à un trentenaire torturé qui végète et est poussé à affronter l’extérieur par sa mère (Marianne Hoppe). Il rêve d’être écrivain sans parvenir à écrire une ligne, si ce n’est les réflexions existentielles qu’il couche sur son carnet intime. Toute la relecture de Wim Wenders tire vers l’épure et l’abstraction, à l’image des perspectives étriquée de son héros qui entame un périple plus modeste en train vers la ville de Bonn. Le contact du monde ne se fait plus via une troupe de théâtre, même si le principe d’excentriques qui vont accompagner Wilhelm perdure. Les compagnons de route forment un groupe d’artistes tout aussi usés et sans but que Wilhelm, la troupe de théâtre du livre devient la réunion d’inadaptés sans but pour Wenders. Tous les arts y sont tristement représentés avec une actrice solitaire (Hanna Schygulla), un musicien vieillissant (Hans Christian Blech), une adolescente acrobate mutique a(Nastassja Kinski dans son premier rôle) ou un poète en herbe (Peter Kern).

La réunion des protagonistes ne suit aucune logique narrative classique, ce sont des âmes perdues qui auront su se reconnaître et décider de faire un bout de chemin ensemble. L’exaltation artistique tourne court durant les échanges entre eux où les meurtrissures passées pèsent davantage que les espérances futures – le passé d’athlète sous le régime nazi du musicien. L’errance nourrit leur mélancolie, dans l’oppressant cadre urbain des villes ou l’inquiétant vide des campagnes, de maisons abandonnées en appartement exigu de ville-dortoir. La passion est absente de cette longue marche, ou alors moralement discutable à travers l’ambiguïté de la relation entre Wilhelm, mais également le musicien, et l’adolescente Mignone (Nastassja Kinski adolescente mais déjà filmée comme objet de désir). C’est souvent fascinant mais ce côté creux recherché par Wenders finit néanmoins par lasser sur la longueur, ne trouvant pas le rebond formel, dramatique ou d’interprétation qui nous sortirait d’une torpeur certes totalement volontaire. Plus qu’un regard mélancolique sur le monde qui l’entoure, Wim Wenders lui tourne carrément le dos et ne croit plus en lui. 


 Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Film

 

mardi 24 janvier 2023

Fred Astaire, la haute société du spectacle - Timothée Gérardin

Timothée Gérardin consacre ce passionnant essai à la figure de Fred Astaire, génie de la danse et immense star de la comédie musicale de l’âge d’or hollywoodien. Tout l’ouvrage tourne autour de l’équilibre ténu qu’entretient, à l’instar d’autres vedettes des studios, Astaire entre sa nature d’artiste et de produit. Il en va de même pour toutes les stars hollywoodiennes certes mais Astaire, par ses aptitudes exceptionnelles à la danse dispose d’un attrait plus spécifiquement identifié (que les adjectifs, les personnalités qui peuvent être plus artificiellement fabriqués par le studio pour façonner ses vedettes) sur lequel capitaliser. Le but est pour lui de maîtriser artistiquement et de profiter commercialement (en s'intéressant vite au pourcentage des recettes de ses films, en étant un des premiers acteurs à faire assurer ses jambes) de cette facette dans la manière dont se concevra sa persona filmique.

Des succès des années 30 en duo avec Ginger Rogers (Top Hat (1935), Shall we dance (1937), La Grande Farandole (1939), au léger creux des années 40 en passant par les triomphes des années 50 (Tous en scène (1953), Drôle de frimousse (1957)), Timothée Gérardin retrace comment Astaire façonne cette persona filmique, l’adapte et la réinvente avec le temps, le contact des réalisateurs. L’auteur définit cette dualité artiste/produit par différents schismes contenus dans les films et leur conception. Le contexte de Grande Dépression des années 30 est en contrepoint des cadres aristocratiques des films d’Astaire à cette période, lui-même y prenant des atours et manières de nanti sans en être un. C’est la légèreté et l’insouciance qu’il amène dans ces environnements qui lui confèrent cette hauteur par laquelle il surmonte sa condition sociale, mais aussi les réticences de ses love interest féminins plus conscientes que lui des dures réalités de la vie. Timothée Gérardin nous montre la singularité d’Astaire affirmant son individualité de danseur qui ne s’étend que par le couple, mais s’éloigne de la démultiplication anonyme et virtuose des comédies musicales de Busby Berkeley à la même période (42e rue (1933), Prologue (1933)). Cette fantaisie d’Astaire s’exprime donc par le ce sentiment de décontraction et facilité dans ses chorégraphies, ses pas de danses, la magie par laquelle il enjoint ses partenaires féminines, les figurants et en définitives le public à l’accompagner et partager cette vision de la vie. Il y a un sentiment d’inné qui se manifeste par le fait qu’Astaire joue rarement des personnages de danseurs et que cet allant semble venir naturellement. Timothée Gérardin explique pourtant bien à quel point un travail et une recherche acharnée intervient en amont pour donner cette impression factice de décontraction.

En analysant les collaborations d’Astaire avec des les grands maîtres de la comédie musicale hollywoodienne (Vincente Minnelli, Stanley Donen), il montre comment, de l’onirisme de Minnelli à la sophistication de Donen, ces gimmicks identifiés peuvent être transcendés pour à la fois réinventer et magnifier Fred Astaire. C’est cette aura de dandy rêveur qui guide la tonalité des films, faisant une grande différence avec un Gene Kelly où la performance physique, l’effort est bien plus mis en avant. L’auteur ne masque pas les travers machiste et paternaliste qui traversent les films (notamment sur la fin où Astaire est désormais bien plus vieux que ses partenaires féminines) mais la persona filmique de l’acteur les articule davantage sur une logique d’enchantement (de l’amoureuse comme du spectateur) que de la domination, ce qui les rend encore magiques aujourd’hui. Une des très bonnes idées du livre est d’avoir mis en place un système de QR Code qui renvoie vers les vidéos YouTube de numéros dépeints en détail, ce qui offre des exemples où l’image parle autant que l’analyse pertinente de l’auteur. Un ouvrage passionnant qui donne une envie folle de se replonger dans la filmographie chaloupée de Fred Astaire. 

Publié chez Playlist Society

lundi 23 janvier 2023

La Lune dans le caniveau - Jean-Jacques Beineix (1983)


 Gérard, un docker, est obsédé par sa recherche de l'homme qui viola sa sœur, provoquant le suicide de cette dernière. Sa quête lui fait rencontrer la riche Loretta, dont il tombe amoureux au point d'oublier sa maîtresse Bella. Jalouse, cette dernière tente de le faire tuer. Gérard en réchappe et retourne à son obsession, oubliant les deux femmes.

Après le succès de l'inaugural Diva, La lune dans le caniveau est pour Jean-Jacques Beineix l'occasion de transformer l'essai dans un second film ambitieux. Il s'agit d'une adaptation du roman éponyme de David Goodis, bénéficiant de moyens conséquents, d'un casting prestigieux et d'un tournage dans les prestigieux studios italiens de Cinecitta. La Lune dans le caniveau confirme les qualités formelles de Diva mais aussi et surtout ses nombreuses failles narratives. 

On a beaucoup reproché à l'époque à Beineix, Luc Besson ou à leurs contemporains britanniques également venus de la publicité une esthétique justement chiadée, maniérée, publicitaire et clippesque. Un reproche parfois injuste mais qui s'applique malheureusement au film de Beineix où tout ce qui tient de la narration, la caractérisation et la progression dramatique est sacrifié sur l'autel d'un formalisme certes souvent somptueux (très marqué 80's avis aux allergiques) mais tournant à vide. 

Les prémices sont pourtant prenant avec ce héros déchiré entre deux femmes, deux milieux sociaux et par une profonde culpabilité et instinct de vengeance après le suicide de sa sœur. Beineix ouvre sur une hypnotique et haletante scène de meurtre sous influence giallo se terminant sur une image mémorable qui donne son titre au film. Par la suite le réalisateur tisse des atmosphères stylisées et hors du temps avec ce cadre portuaire interlope où les différentes communautés irriguent le design de cette ruelle reconstituée, les figurants bariolés. Chaque protagoniste est introduit avec des effets marqués, papier glacé fascinant pour Nastassja Kinski (tout en symbolique entre la pureté de sa robe blanche et le stupre de sa voiture rouge), volcanique et jalousie de femme-enfant avec Victoria Abril. Gérard Depardieu est cependant le seul à parvenir à une certaine profondeur au-delà du maniérisme de Beineix qui devient de plus en plus vain. 

Les mystères et les questionnements initiaux sont noyés dans des longueurs interminables fait de couchers de soleil, ruptures oniriques et sérieuses fautes de goût dans l'interprétation (les séquences grotesques des prostituées de bar). On sent que l'on baigne dans un vrai moment formel qui renvoie à des productions contemporaines plus réussies comme Blade Runner mais Beineix ne semble vouloir répondre à la concurrence que par le visuel sans que le film fasse un tout prenant. La Lune dans le caniveau n'est pas assez ouvertement expérimental pour pardonner ses failles narratives, et trop poussif pour constituer un spectacle accessible. Il n'en conserve pas moins un vrai pouvoir de fascination dans ses meilleurs moments mais ses manques le figent en curiosité de son époque. 


 Sorti en dvd zone 2 français chez M6 Vidéo